NIGERIA : silence, on massacre…

NIGERIA Massacres de Boko Haram : où sont les unes chocs ?

Alors que le monde est mobilisé pour sauver Charlie de la barbarie intégriste, le Nigeria est au bord de l’explosion, dans une certaine indifférence.
Dessin de Ruben

Un journaliste en colère. Le Sud-Africain Simon Allison, qui a couvert de nombreux conflits africains, dans l’excellent Daily Maverick. Colère contre l’oubli, contre le silence.« Il y a massacres et massacres, écrit Allison. Le massacre de Paris était effrayant, mais ce n’était pas la pire chose qui s’est passée la semaine dernière. Et de loin. Au nord-est du Nigeria, dans la ville de Baga – où tout du moins à l’endroit sur la carte où se trouvait autrefois Baga, parce qu’il n’y a plus grand-chose de cette localité maintenant. Pendant cinq jours, les combattants de Boko Haram sont entrés dans la ville et ont anéanti hommes, femmes, enfants. Le nombre de morts varie, mais Amnesty International a cité des rapports suggérant qu’il pourrait y avoir jusqu’à 2 000 victimes – ou l’équivalent approximatif de 133 attaques [117 précisément, si le bilan est confirmé] de Charlie Hebdo. » Selon The Times, le gouvernement nigérian estime cependant le bilan du massacre à « seulement » 150 morts. Le monde est resté silencieux Et le journaliste de constater avec regret que le massacre de Baga n’a pas inondé la presse mondiale d’éditoriaux passionnés, de couvertures chocs ou d’éditions spéciales. « Même au Nigeria, les 17 morts à Paris ont obtenu plus de presse que les centaines et centaines de morts à la maison, selon l’analyste des médias Ethan Zuckerman, qui a également souligné que le président du Nigeria Goodluck Jonathan a exprimé ses condoléances à l’Etat français mais n’a rien dit rien de Baga. » Et Allison, de conclure : « Plus de 2 000 personnes sont mortes, et le monde est resté silencieux. Pis, l’Afrique est restée silencieuse. Donc, oui, nous sommes Charlie, mais nous sommes encore plus Baga. Notre indignation – et notre solidarité – des horreurs de Paris est aussi un symbole de la façon dont nous, Africains, négligeons nos propres tragédies et donnons la priorité aux vies occidentales au détriment de nos propres vies. » La tragédie du silence Le quotidien britannique The Guardian s’interroge : « La seule question qui doit être posée est comment cette menace terroriste a-t-elle pu se développer dans des proportions si effroyables, tuant des milliers de personnes et en en déplaçant des millions, dans un Nigeria démocratique depuis dix ans ? Et comment l’arrêter ? » Comme en écho, l’éditorial du quotidien This Day, de Lagos, appelle au secours sous le titre : « Sauver le Nigeria ». « La balkanisation du Nigeria serait un désastre pour les Africains et les peuples noirs », écrit l’auteur de l’article, qui considère en premier lieu que ce sont les Nigérians et les Africains qui sauveront ce pays. « Le Nigeria peut survivre en 2015, c’est la question que chacun se posera en élisant notre prochain chef de l’Etat. » Autant dire demain, car le vote fatidique est prévu le 14 février.

Boko Haram a détruit 16 villages et fait 2 000 morts au Nigeria

10/01/2015 | 14h04
Baga, au Nigeria, après une attaque du groupe islamiste le 21 avril 2013 (REUTERS/Stringer)

Il s’agirait du massacre “le plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram” selon Amnesty International.

Seize villages détruits, 2 000 morts et 20 000 personnes en fuite. C’est le bilan catastrophique de l’attaque perpétrée par la secte islamiste Boko Haram au Nigeria du 6 au 8 janvier. La ville de Baga et une quinzaine de villages situés au nord-est du pays ont été dévastés par les fanatiques qui ont tué sans discernement.

“Même l’Etat islamique, qui a tué des milliers de personnes et cible à dessein des minorités, ne semble pas agir de manière aussi gratuite dans ses carnages. Il semble que tout le monde – musulmans, chrétiens, camerounais, nigérian – soit une cible pour Boko Haram”, affirme le Washington Post.

Une ville entièrement rasée

En août 2014, le leader de la secte, Abubakar Shekau, avait annoncé la création d’un “Califat islamique”. Depuis les intégristes se sont emparés de l’Etat de Borno, au nord-est du Nigeria, où ils sèment la terreur. Baga était la dernière ville qui était encore sous le contrôle du gouvernement national. Ce n’est désormais plus le cas, puisqu’elle a été entièrement rasée. Selon un rescapé interrogé par l’AFP, “de nombreux cadavres jonchaient le sol” et “la ville tout entière brûlait” lorsqu’il s’est échappé.

Certains habitants en fuite ont été poursuivis et abattus par les intégristes alors qu’ils tentaient de gagner la brousse, rapporte Musa Bukar, responsable administratif de cette zone de l’Etat de Borno, interrogé par l’AFP. D’autres ont réussi à trouver refuge sur une île du lac Tchad, où ils sont dans une situation périlleuse, sans vivres. Le président nigérian et son armée ont été incapables d’endiguer l’influence de la secte, qui menace désormais le Cameroun voisin.

“Le massacre plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram”

Dans un communiqué publié le 9 janvier, Amnesty International évoque le massacre “le plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram”. D’après Daniel Eyre, chercheur sur le Nigeria à Amnesty International :

“Il semble que l’attaque contre Baga et les localités alentour pourrait être la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe”.

L’expansion de ces nihilistes et l’incapacité de l’armée nigériane à leur nuire préoccupe les pays voisins. Le président camerounais Paul Biya a ainsi appelé lors de son discours du nouvel an devant le corps diplomatique à “une réponse globale” et à une aide internationale pour leur faire face. Le président nigérian, Goodluck Jonathan, critiqué pour son impuissance face à cette menace, pourrait être mis en difficulté lors de l’élection présidentielle qui aura lieu le 14 février. En un an, Boko Haram a en effet réussi à prendre le contrôle de plus de 20 000 km2 dans le nord-est du pays.

A la mi-avril, le groupe avait kidnappé plus de 200 lycéennes nigérianes, promises à être “vendues sur un marché”, “mariées” de force ou réduites en “esclavage” selon le chef de la secte. Elles sont toujours portées disparues depuis 270 jours, comme le rappelle le LA Times.

 

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Nigeria : «Sur cinq kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres»

Aminu ABUBAKAR (AFP)
En avril 2013, la ville de Baga avait déjà été la cible d'une offensive de Boko Haram.
En avril 2013, la ville de Baga avait déjà été la cible d’une offensive de Boko Haram. (AFP)

Un témoin, qui a survécu samedi 3 janvier à une attaque de Boko Haram près du lac Tchad, témoigne de la violence du groupe islamiste.

Des tirs, des hurlements, puis une fuite nocturne à travers la brousse jonchée de cadavres. Yanaye Grema est resté terré trois jours pendant que les combattants de Boko Haram ravageaient sa ville de Baga, sur les rives nigérianes du lac Tchad [Peut-être 2000 morts en quelques jours selon Amnesty International]. Samedi 3 janvier, la milice d’autodéfense de ce pêcheur de 38 ans venait d’être défaite par la puissance de feu du groupe islamiste, lancé dans une vaste et sanglante offensive contre plusieurs localités de l’extrême nord-est du Nigeria.

Caché entre un mur et la maison de son voisin, protégé par le feuillage d’un margousier, Yanaye Grema écoutait le massacre se dérouler autour de lui. «Tout ce que j’entendais c’était des tirs d’armes à feu, des explosions, des hurlements, et les « Allah Akbar » des combattants de Boko Haram», raconte-t-il à l’AFP par téléphone depuis Maiduguri. «Chaque nuit j’escaladais la palissade de ma maison pour avaler rapidement des graines de manioc, boire de l’eau, et ensuite je retournais dans ma cachette.»

«Certains hommes de Boko Haram campaient près du marché principal de Baga, à quelque 700 mètres à peine de ma cachette», explique-t-il. «La nuit je pouvais voir la lumière de leur générateur. J’entendais aussi des acclamations et des rires.»

Evasion

Lundi, le nombre de combattants en patrouille a diminué. La ville n’était plus aussi quadrillée, offrant au pêcheur une fenêtre d’évasion. «Mardi, ils ont commencé à piller le marché et toutes les maisons de la ville. Vers 18h, ils ont mis le feu au marché et ont commencé à incendier des maisons. J’ai décidé qu’il était temps de partir avant qu’ils ne se dirigent dans ma direction. Vers 19h30, je me suis hasardé hors de ma cachette et j’ai commencé à partir dans la direction opposée au bruit des islamistes. Il faisait sombre, donc personne ne pouvait me voir.»

Ce n’est qu’en quittant sa cachette que le pêcheur réalise l’ampleur de l’offensive, qui pourrait s’avérer l’une des plus meurtrières de Boko Haram en six années d’insurrection. «Sur cinq kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres, jusqu’à ce que j’arrive au village de Malam Karanti, qui était également désert et brûlé.»

À lire aussi :Boko Haram sème la désolation au Nigéria

Dans la brousse, Yanaye rencontre un vieux berger peul, qui lui conseille de se diriger vers l’ouest afin d’éviter les bandes de Boko Haram. Accélérant le rythme, il rattrape vite un groupe de quatre femmes, fuyardes également. L’une d’elles transporte sur son dos un bébé. «Elles m’ont dit qu’elles avaient fait partie de centaines de femmes arrêtées par Boko Haram et retenues dans la maison d’un chef de district, que Boko Haram avait converti en centre de détention pour femmes.» Trois de ces femmes avaient été séparées de leurs enfants, selon lui.

Les femmes étant «trop lentes», il a donc continué seul. Marchant et courant durant toute la nuit, il arrive le mercredi matin au village de Kekeno, à quelque 65 km de son point de départ. Le lendemain, il prend un bus jusqu’à la ville de Maiduguri. «Je serai toujours reconnaissant à ce vieux Peul, son conseil m’a sauvé la vie», dit-il.

Au moins 16 localités rasées

Des officiels ont affirmé cette semaine que l’attaque avait forcé près de 20 000 personnes de Baga et des localités près du lac Tchad à prendre la fuite, certains traversant même la frontière tchadienne. Ce n’était pas la première à viser Baga. Près de 200 personnes y avaient été tuées en avril 2013. Des combattants de Boko Haram avaient attaqué la ville, l’incendiant en grande partie, ce qui avait provoqué une violente confrontation avec l’armée nigériane.

Samedi, les islamistes ont rencontré moins de résistance et sont parvenus à prendre le contrôle de la ville ainsi que de la base de la Force multinationale (MNJTF), censée regrouper des soldats nigérians, nigériens et tchadiens dans la lutte contre Boko Haram, mais où ne se trouvaient que des troupes nigérianes au moment de l’attaque. Au moins 16 villes et villages de la zone ont été rasés. Les analystes estiment que l’offensive du week-end visait les milices d’autodéfense assistant l’armée dans sa contre-insurrection.

Aminu ABUBAKA

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Au Nigeria, peut-être le pire massacre de l’histoire de Boko Haram

Gabriel PORNETSur cette capture d'écran d'une vidéo du groupe islamiste nigérian Boko Haram, le leader Abubakar Shekau est au centre.
Sur cette capture d’écran d’une vidéo du groupe islamiste nigérian Boko Haram, le leader Abubakar Shekau est au centre. (Photo Ho. AFP)

Amnesty International enquête sur l’attaque de Baga, perpétrée dans le nord du pays par le groupe islamiste, depuis une semaine. L’ONG évoque le chiffre de 2 000 morts.

Les témoignages recueillis laissent déjà penser à un véritable massacre. Cité dans un communiqué d’Amnesty International, Daniel Heye, chercheur sur le Nigeria, s’inquiète: «Il semble que l’attaque contre Baga et les localités alentour pourrait être la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe». Selon l’ONG, des centaines de civils, peut-être même des milliers, auraient été tués. Le chiffre de 2000 morts est évoqué.

«Il est plus que jamais impératif que Boko Haram cesse immédiatement ces assassinats absurdes de civils et que le gouvernement nigérian prenne des mesures pour protéger une population qui vit dans la peur constante des attaques», a déclaré Daniel Eyre. Amnesty International continue de recueillir des informations sur ce qui s’est passé à Baga et autour de la ville.

Gabriel PORNET

 

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