Une doctrine pré-apocalyptique conçue pour l’anti-Messie : la R2P (R to P) ou Responsability To Protect

La RESPONSABILITE DE PROTEGER : c’est la nouvelle doctrine US du R2P, enseignée depuis 2005 dans toutes les chancelleries du Monde et dans toutes les écoles militaires pour futures élites et dictateurs démocratiques (!)

Voilà un credo digne du futur Faux-Messie qui imposera ce devoir d’ingérence humanitaire et cette responsabilité de protéger (malgré eux) à tous les acteurs libres qui refuseront l’autorité de ceux qui se veulent se faire un NOM ( ou NWO pour New World Order)

ICI ! le site officiel du R2P…

Selon Edward S. Herman : La « responsabilité de protéger » est une fausse doctrine conçue pour miner les fondements mêmes du droit international. C’est le droit réécrit en faveur des puissants. « Les structures et les lois sous-jacentes à l’application de la R2P exemptent les exécuteurs des grandes puissances des lois et règles qu’ils imposent aux puissances inférieures. » Bien évidemment, lancer des interventions humanitaires transfrontalières au nom de la R2P reste l’apanage absolu des Grandes Puissances – spécificité communément admise et regardée comme parfaitement naturelle à chaque fois que ces mesures ont été appliquées au cours des dernières années. Les Grandes Puissances sont seules à disposer des connaissances et des moyens matériels nécessaires pour mener à bien cette œuvre sociale planétaire.

Dans le monde réel, tandis que la R2P parait merveilleusement auréolée de bienveillance, elle ne peut être mise en œuvre qu’à la demande exclusive des principales puissances de l’OTAN et ne saurait donc être utilisée dans l’intérêt de victimes sans intérêt, à savoir celles de ces mêmes Grandes Puissances [ou de leurs alliés et clients]. Présentant les guerres d’agressions sous un jour bienveillant, la R2P en est devenu un instrument indispensable. En réalité, c’est seulement un concept aussi frauduleux que cynique et anticonstitutionnel (anti-Charte des Nations Unies).

Edward S. Herman est un économiste et observateur des médias spécialisé dans les rapports entre les grands groupes de presse et les questions politico-économiques. Il est professeur émérite en finance de la Wharton School[2]. Il enseigne également à l’Annenberg School for Communication de l’Université de Pennsylvanie.

Côté français, on suit le mouvement US, comme d’accoutumée : Le Président de la République française vient de rappeler, lors de la dernière conférence des ambassadeurs, l’importance qu’il attache au concept de « responsabilité de protéger » (R2P – Responsability to Protect). Adopté en 2005 par les Nations-Unies, cette notion est une lointaine héritière du droit d’ingérence et justifie un arsenal de mesures destinées à empêcher un gouvernement ou un régime de poursuivre une campagne de terreur contre sa propre population.

Si l’intervention en Libye était destinée à servir de modèle pour la Syrie, il semble qu’aucun des critères définis préalablement comme la condition d’un engagement au nom de la responsabilité de protéger ne soit respecté. Le cadre international ? Depuis deux ans que dure le conflit en Syrie, et que souffre le peuple syrien, les membres permanents du Conseil de Sécurité se sont révélés incapables de s’entendre. L’une des raisons en est l’instrumentalisation, dénoncée par Moscou et Pékin, de cette responsabilité de protéger métamorphosée de fait en changement de régime. Tirant les leçons de la Libye, Russie et Chine ne peuvent accepter ce qu’elles considèrent comme un tour de passe-passe.

La “Responsabilité de protéger ” (R2P) comme instrument d’agression

La « responsabilité de protéger » est une fausse doctrine conçue pour miner les fondements mêmes du droit international

Humanitarian Bombs anthony freda

La « responsabilité de protéger » est une fausse doctrine conçue pour miner les fondements mêmes du droit international. C’est le droit réécrit en faveur des puissants. « Les structures et les lois sous-jacentes à l’application de la R2P exemptent les exécuteurs des grandes puissances des lois et règles qu’ils imposent aux puissances inférieures. »

La Responsabilité de Protéger (R2P) et le concept d’intervention humanitaire datent tous les deux du lendemain de l’effondrement de l’Union Soviétique – qui levait subitement toutes les entraves que cette Grande Puissance avait pu jusqu’ici opposer à la constante projection de puissance des États-Unis. Dans l’idéologie occidentale, bien sûr, les États-Unis s’étaient efforcés depuis la Seconde Guerre mondiale de contenir les Soviétiques ; mais ça, c’est l’idéologie… En réalité, l’Union Soviétique avait toujours été bien moins puissante que les États-Unis, avec des alliés plus faibles et moins fiables, et de 1945 à sa disparition en 1991 elle avait finalement toujours été sur la défensive. Agressivement lancés à la conquête du monde depuis 1945, les États-Unis, eux, n’avaient de cesse d’augmenter le nombre de leurs bases militaires dans le monde, de leurs sanglantes interventions grandes ou petites sur tous les continents, et bâtissaient méthodiquement le premier empire véritablement planétaire. Avec une puissance militaire suffisante pour constituer une modeste force d’endiguement, l’Union Soviétique freinait l’expansionnisme américain mais elle servait aussi la propagande américaine en tant que soi-disant menace expansionniste. L’effondrement de l’Union Soviétique engendrait donc un besoin vital de nouvelles menaces pour justifier la continuation voire l’accélération de la projection de puissance américaine, mais on pouvait toujours en trouver : depuis le narco-terrorisme, Al-Qaïda et les armes de destruction massive de Saddam Hussein, jusqu’à une nébuleuse menace terroriste dépassant les limites de la planète et de l’espace environnant.

Tensions inter-ethniques et violations des Droits de l’Homme ayant engendré une prétendue menace globale, planétaire, contre la sécurité, qui risquait de provoquer des conflits encore plus vastes, la communauté internationale (et son superflic) se retrouvaient face à un dilemme moral et à la nécessité d’intervenir dans l’intérêt de l’humanité et de la justice. Comme nous l’avons vu, cette poussée moraliste arrivait justement au moment où disparaissait l’entrave soviétique, où les États-Unis et leurs proches alliés célébraient leur triomphe, où l’option socialiste battait de l’aile et où les puissances occidentales avaient enfin toute liberté d’intervenir à leur guise. Bien sûr, tout cela impliquait de passer outre le principe westphalien multiséculaire gravé au centre des relations internationales – à savoir le respect de la souveraineté nationale – qui, si l’on y adhérait, risquait de protéger les pays les plus petits et les plus faibles contre les ambitions et les agressions transfrontalières des Grandes Puissances. Cette règle était en outre l’essence même de la Charte des Nations Unies et on peut dire qu’elle était même la clé de voûte de ce document que Michael Mandel décrivait comme « la Constitution du monde ». Passer outre cette règle et le principe de base de cette Charte impliquait l’entrée en lice de la Responsabilité de Protéger (R2P) et des Interventions Humanitaires (IH), et ouvrait à nouveau la voie à l’agression pure et simple, classique, avec des visées géopolitiques, mais parée désormais du prétexte commode de la R2P et de l’IH.

Bien évidemment, lancer des interventions humanitaires transfrontalières au nom de la R2P reste l’apanage absolu des Grandes Puissances – spécificité communément admise et regardée comme parfaitement naturelle à chaque fois que ces mesures ont été appliquées au cours des dernières années. Les Grandes Puissances sont seules à disposer des connaissances et des moyens matériels nécessaires pour mener à bien cette œuvre sociale planétaire. En effet, comme l’expliquait en 1999 Jamie Shea, responsable des relations publiques de l’OTAN, lorsque on commença à se demander si le personnel de l’OTAN ne risquait pas d’être poursuivi pour les crimes de guerre liés à la campagne de bombardements de l’OTAN contre la Serbie, ce qui découlait logiquement du texte même de la Charte du TPIY (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie) : Les pays de l’OTAN ont « organisé » le TPIY et la Cour Internationale de Justice, et les pays de l’OTAN « financent ces tribunaux et soutiennent quotidiennement leurs activités. Nous sommes les défenseurs, non les violateurs du droit international ». La dernière phrase est évidemment contestable mais pour le reste, Shea avait parfaitement raison.

Détail particulièrement éloquent, lorsqu’un groupe de juristes indépendants déposa en 1999 un dossier détaillé qui documentait les violations manifestes des règles du TPIY par l’OTAN, après un délai considérable et suite à des pressions exercées ouvertement par les responsables de l’OTAN, les plaintes contre l’OTAN étaient déboutées par le Procureur du TPIY au prétexte que, avec seulement 496 victimes documentées tuées par les bombardements de l’OTAN, il n’y avait « simplement aucune preuve d’intention criminelle » imputable à l’OTAN – alors que pour inculper Milosevic en mai 1999, 344 victimes suffisaient largement. On trouvera intéressant aussi que le Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Luis Moreno-Ocapmo, ait lui aussi refusé de poursuivre les responsables de l’OTAN pour leur agression contre l’Irak en 2003, malgré plus de 249 plaintes portées auprès de la CPI, au prétexte que là aussi, « il n’apparaissait pas que la situation ait atteint le seuil requis par le Statut de Rome » pour intenter une action en justice.

Ces deux cas montrent assez clairement que les structures et les lois qui fondent l’application de la R2P (et des IH) exemptent bel et bien les Grandes Puissances – défenseurs du droit international – du respect des lois et des règles mêmes qu’elles imposent aux autres pays. Leurs alliés et clients en sont d’ailleurs exempts aussi. Ce qui signifie très clairement que, dans le monde réel, personne n’a le devoir de protéger les Irakiens ou les Afghans contre les États-Unis. Lorsque sur une chaîne nationale en 1996, la Secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, reconnaissait que 500 000 enfants irakiens [de moins de cinq ans] avaient sans doute perdu la vie, victimes des sanctions imposées à l’Irak par l’ONU (en réalité par les États-Unis), et déclarait : Pour les responsables américains « l’enjeu en vaut la peine » ; il n’y eut de réaction ni sur le plan national ni sur le plan international pour exiger la levée de ces sanctions et le déclenchement d’une IH en application de la R2P, afin de protéger les populations irakiennes qui en étaient victimes. De même aucun appel ne fut lancé pour une IH au nom de la R2P pour protéger ces mêmes Irakiens lorsque les forces anglo-américaines envahirent l’Irak en mars 2003 ; invasion qui, doublée d’une guerre civile induite, allait faire plus d’un million de morts supplémentaires.

Lorsque la Coalition Internationale pour la Responsabilité de Protéger, sponsorisée par le Canada, se pencha sur la guerre d’Irak, ses auteurs conclurent que les exactions commises en Irak par Saddam Hussein en 2003, n’étaient pas d’une ampleur suffisante pour justifier une invasion. Mais la coalition ne souleva jamais la question de savoir si les populations irakiennes n’auraient pas de facto besoin d’être protégées contre les forces d’occupation qui massacraient la population. Ils campaient simplement sur l’idée que les Grandes Puissances, qui imposent le respect du droit international, même lorsque leurs guerres d’agression violent ouvertement la Charte des Nations Unies et font des centaines de milliers de morts, restent au-dessus des lois et ne peuvent faire l’objet d’une R2P.

Et c’est comme ça depuis le sommet de la structure internationale du pouvoir, jusqu’en bas : Bush, Cheney, Obama, John Kerry, Susan Rice, Samantha Power au sommet et en descendant Merkel, Cameron, Hollande, puis au-dessous Ban Ki-Moon et Luis Moreno-Ocampo – qui n’ont aucune base politique en dehors du monde des affaires et des médias. Ban Ki-Moon et son prédécesseur Kofi Annan ont toujours œuvré ouvertement au service des principales puissances de l’OTAN, auxquelles ils doivent leur position et leur autorité. Kofi Annan était un fervent partisan de l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie, de la nécessité de renforcer la responsabilité des puissances de l’OTAN, et de l’institutionnalisation de la R2P. Ban Ki-Moon est exactement sur la même fréquence.

Cette même structure internationale du pouvoir implique aussi la possibilité de créer et d’utiliser à volonté des tribunaux internationaux ad hoc et des Cours Internationales contre des pays cibles. Ainsi en 1993, lorsque les États-Unis et leurs alliés souhaitaient démanteler la Yougoslavie et affaiblir la Serbie, ils n’avaient qu’à utiliser le Conseil de Sécurité [dont les États-Unis, l’Angleterre et la France sont membres permanents] pour créer un tribunal précisément à cet effet, le TPIY, qui allait s’avérer parfaitement fonctionnel. De même, lorsqu’ils souhaitaient aider un de leurs clients, Paul Kagame, à assoir sa dictature au Rwanda, ils créèrent le même type de tribunal : le TPIR (ou tribunal d’Arusha). Lorsque ces mêmes pays souhaitèrent attaquer la Libye et en renverser le régime, il leur suffit de faire condamner Kadhafi par la CPI pour crimes de guerre, aussi rapidement que possible et sans contre-enquête indépendante sur aucune des allégations de crime, lesquelles reposaient essentiellement sur des anticipations de massacres de civils [jamais commis]. Bien sûr, comme nous l’avons vu plus haut, concernant l’Irak, la CPI ne trouvait vraiment rien qui puisse justifier des poursuites contre l’occupant, dont les massacres de civils étaient de proportions autrement supérieures et avaient bel et bien été commis, et non simplement anticipés. En réalité, un vaste Tribunal International pour l’Irak a finalement été organisé afin de juger les crimes commis en Irak par les États-Unis et leurs alliés [le BRussell Tribunal], mais sur une base privée et avec un parti-pris clairement anti-belliciste. De fait, bien que ses séances se soient tenues très officiellement dans de nombreux pays et que de nombreuses personnalités importantes y soient venues témoigner, les médias n’y prêtèrent littéralement aucune attention. Ses dernières sessions et son rapport, rendu en juin 2005, ne furent même évoqués dans aucun grand média américain ou britannique.

La R2P correspond parfaitement à l’image d’un instrument au service d’une violence impériale exponentielle, qui voit les États-Unis et leur énorme complexe militaro-industriel engagés dans une guerre mondiale contre le terrorisme et menant plusieurs guerres de front, et l’OTAN, leur avatar, qui élargit sans cesse son « secteur d’activité » bien que son rôle supposé d’endiguement de l’Union Soviétique ait expiré de longue date. La R2P repose très commodément sur l’idée que, contrairement à ce qui était la priorité des rédacteurs de la Charte des Nations Unies, les menaces auxquelles le monde se trouve aujourd’hui confronté ne dérivent plus d’agressions transfrontalières comme c’était traditionnellement le cas, mais émanent des pays eux-mêmes. C’est parfaitement faux ! Dans son ouvrage Freeing the World to Death (Common Courage, 2005, Ch. 11 et 15), William Blum dresse une liste de 35 gouvernements renversés par les États-Unis entre 1945 et 2001 (sans même compter les conflits armés déclenchés par George W. Bush et Barak Obama).

Dans le monde réel, tandis que la R2P parait merveilleusement auréolée de bienveillance, elle ne peut être mise en œuvre qu’à la demande exclusive des principales puissances de l’OTAN et ne saurait donc être utilisée dans l’intérêt de victimes sans intérêt, à savoir celles de ces mêmes Grandes Puissances [ou de leurs alliés et clients] (Cf. Manufacturing Consent, Ch. 2 : « Worthy and Unworthy Victims »). Jamais on n’invoqua la R2P [ou quoi que ce soit de similaire] pour mettre fin aux exactions lorsque en 1975 l’Indonésie décida d’envahir et d’occuper durablement le Timor Oriental. Cette occupation allait pourtant se solder par plus de 200 000 morts sur une population de 800 000 au total – ce qui proportionnellement dépassait largement la quantité de victimes imputables à Pol Pot au Cambodge. Les États-Unis avaient donné leur feu vert à cette invasion, fourni les armes à l’occupant et lui offraient leur protection contre toute réaction de l’ONU. Dans ce cas précis, il y avait violation patente de la Charte des Nations Unies et le Timor avait impérativement besoin de protection. Mais dès lors que les États-Unis soutenaient l’agresseur, on n’entendrait jamais parler de réponse des Nations Unies. [Ndt : En tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, les USA ont droit de veto sur toutes les décisions de l’ONU ; or toute décision d’intervention ou de sanction passe nécessairement par le Conseil de Sécurité]

Comble d’ironie mais particulièrement révélateur, Gareth Evans, ex-Premier ministre d’Australie, ex-Président de la Cellule de Crise Internationale [l’International Crisis Group : officiellement, ONG engagée dans la prévention et le règlement des conflits internationaux], co-fondateur de la Commission Internationale sur l’Intervention et la Souveraineté Internationale, lui-même auteur d’un ouvrage sur la R2P et qui aura sans doute été le principal porte-parole en faveur de la R2P comme instrument de justice internationale, était Premier ministre d’Australie pendant l’occupation génocidaire du Timor Oriental par l’Indonésie et en tant que tel fêtait et encensait les dirigeants indonésiens, dont il était ouvertement complice pour spolier le Timor de ses droits sur ses réserves naturelles de pétrole (Cf. John Pilger “East Timor: a lesson in why the poorest threaten the powerful,” April 5, 2012, pilger.com.). Evans était donc lui-même complice et contributeur de l’un des pires génocides du XXe siècle. Vous imaginez la réaction des médias à une campagne en faveur des Droits de l’Homme menée sans le soutien de l’OTAN, et ayant pour porte-parole un dignitaire chinois qui aurait entretenu des relations très amicales avec Pol Pot pendant les pires années de sa dictature ?

Ce qui est réellement éloquent c’est de voir comment Evans gère ce passif notoire pour promouvoir la R2P. Interrogé à ce sujet lors d’une session de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la R2P, Evans en appelait au bon sens : La R2P « se définit d’elle-même », et les crimes mis en cause, y compris le nettoyage ethnique, sont tous intrinsèquement révoltants et par leur nature même d’une gravité qui exige une réponse […]. Il est réellement impossible de parler ici de chiffres précis ». Evans souligne que parfois, des chiffres minimes peuvent suffire : « Nous nous souvenons très clairement de l’horreur de Srebrenica… [8 000 morts seulement]. Avec ses 45 victimes au Kosovo en 1999, Racak suffisait-il à justifier la réponse qui fut déclenchée par la communauté internationale ? » En fait, l’événement de Racak avait effectivement paru suffisant pour une bonne et simple raison : il donnait un coup d’accélérateur au programme de démantèlement de la Yougoslavie d’ores et déjà lancé par l’OTAN. Mais Evans évite soigneusement de répondre à sa propre question au sujet de Racak. Inutile de dire qu’Evans ne s’est jamais demandé et n’a jamais cherché à expliquer pourquoi le Timor Oriental, avec plus de 200 000 morts n’avait jamais suscité aucune réaction de la communauté internationale ; et l’Irak pas davantage malgré [un million de morts dus aux sanctions, dont 500 000 enfants de moins de cinq ans] et plus d’un million supplémentaires suite à l’invasion. Les choix sont ici totalement politiques mais manifestement, Evans a si parfaitement intégré la perspective impériale qu’un aussi vertigineux écart ne le révolte pas le moins du monde. Mais ce qui est encore plus extraordinaire, c’est qu’un criminel de cette envergure avec un parti pris aussi évident puisse être considéré internationalement comme une autorité dans ce domaine et que des positions aussi ouvertement partiales que les siennes puissent être regardées avec respect.

En définitive, dans le monde post-soviétique, la structure internationale du pouvoir n’a fait qu’aggraver l’inégalité internationale, renforçant dans le même temps l’interventionnisme et la liberté d’agression des Grandes Puissances. L’accroissement du militarisme a certainement contribué à l’accroissement des inégalités mais il a surtout été conçu pour servir et favoriser la pacification, tant à l’étranger que dans nos propres pays. Dans un tel contexte, IH et R2P ne sont que des évolutions logiques qui apportent une justification morale à des actions qui scandaliseraient énormément de gens et qui, éclairées froidement, constituent des violations patentes du droit international. Présentant les guerres d’agressions sous un jour bienveillant, la R2P en est devenu un instrument indispensable. En réalité, c’est seulement un concept aussi frauduleux que cynique et anticonstitutionnel (anti-Charte des Nations Unies).

Edward S. Herman

 

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Punir pour protéger : la R2P au regard du cas syrien

Guillaume Lasconjarias, chercheur au collège de défense de l’OTAN (Rome)

Guillaume Lasconjarias Philippe Hoch
Le Président de la République française vient de rappeler, lors de la dernière conférence des ambassadeurs, l’importance qu’il attache au concept de « responsabilité de protéger » (R2P – Responsability to Protect). Adopté en 2005 par les Nations-Unies, cette notion est une lointaine héritière du droit d’ingérence et justifie un arsenal de mesures destinées à empêcher un gouvernement ou un régime de poursuivre une campagne de terreur contre sa propre population. Alors que l’on attend encore la remise du rapport des inspecteurs de l’ONU sur l’emploi d’armes chimiques dans la banlieue de Damas, et que des faisceaux d’indices semblent accuser le régime de Bachar el-Assad, ce concept offre à l’évidence la possibilité de punir pour protéger.

Comment ne pas comparer avec l’engagement au-dessus de la Libye, en mars 2011, au nom de ce même concept ? Sourd aux aspirations populaires, Kadhafi entreprend de réduire par la force les « cafards ». Les appels au secours de la population martyre de Benghazi émeuvent la communauté internationale : le Conseil de Sécurité des Nations-Unies adopte la résolution 1970 du 26 février 2011 qui exige la fin des violences et rappelle aux autorités libyennes leur responsabilité de protéger la population. Devant la poursuite des actions de terreur, une seconde résolution (n°1973, du 17 mars 2011) donne mandat aux États membres pour prendre toutes les mesures nécessaires. La suite est connue : la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, bientôt rejoints par d’autres alliés au sein de l’opération otanienne Unified Protector, se lancent dans une campagne qui voit la situation basculer définitivement en faveur des rebelles. En août, la capitale Tripoli est libérée et la chute du régime est consommée. Kadhafi lui-même est tué en octobre.

Si l’opération Unified Protector peut être qualifiée de succès, c’est qu’elle prend en compte un certain nombre de critères : tout d’abord, l’intervention est mandatée par les Nations-Unies qui offrent un cadre légal international. La coalition à l’œuvre ne comprend pas seulement les principaux pays membres de l’OTAN mais des partenaires venus du monde arabe. Enfin, au sol, l’opposition libyenne paraît crédible et unie. En outre, d’un point de vue strictement militaire, l’engagement demeure somme toute limité avec des actions essentiellement aériennes et navales. La composante terrestre est fournie par les rebelles libyens qui reçoivent les armements et équipements nécessaires à la bascule des forces.

Si l’intervention en Libye était destinée à servir de modèle pour la Syrie, il semble qu’aucun des critères définis préalablement comme la condition d’un engagement au nom de la responsabilité de protéger ne soit respecté. Le cadre international ? Depuis deux ans que dure le conflit en Syrie, et que souffre le peuple syrien, les membres permanents du Conseil de Sécurité se sont révélés incapables de s’entendre. L’une des raisons en est l’instrumentalisation, dénoncée par Moscou et Pékin, de cette responsabilité de protéger métamorphosée de fait en changement de régime. Tirant les leçons de la Libye, Russie et Chine ne peuvent accepter ce qu’elles considèrent comme un tour de passe-passe. La mise en œuvre d’une coalition ? La communauté internationale dans son ensemble reste finalement apathique ; l’appel à une solution politique cache mal l’incapacité à trouver un consensus nécessaire à un engagement crédible. Enfin, le soutien à la rébellion syrienne agite les esprits dans les chancelleries et les états-majors quant à évaluer une nébuleuse armée dont les groupes les plus tactiquement évolués ne cachent pas pour certains leur attrait pour Al-Qaida.

L’emploi de gaz chimiques a relancé l’idée d’une intervention ; après avoir allègrement piétiné de multiples lignes rouges, le régime aurait cette fois franchi un nouveau degré dans l’horreur en utilisant des armements dont de nombreux moratoires et traités internationaux interdisent l’usage. Un regard cynique dirait que ce n’est pas tant l’acte – un massacre supplémentaire dans un conflit qui n’en compte que trop – que la façon de faire, qui pousse à réagir. Mais après un emballement médiatique initial, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, soutenus par la Turquie, restent encore bien seuls. La Ligue arabe, autrefois favorable à l’intervention contre Kadhafi, se montre prudente : elle condamne Assad mais refuse une campagne militaire.

Deux questions se superposent alors : comment dissuader l’emploi futur de telles armes ? Et si réponse il y a, comment en mesurer les conséquences et les risques d’un engrenage, alors que les décideurs politiques et les opinions publiques craignent une répétition des bourbiers afghans et irakiens ? Les derniers développements suggèrent d’ores et déjà qu’on a peut être confondu vitesse et précipitation. Rétorquer par une poignée de missiles ou par des bombardements ciblés ne fait pas une politique et laisse trop facilement de côté la nécessaire réflexion sur le difficile équilibre entre les coûts et les risques d’une action au regard des coûts et des risques de l’inaction. Aujourd’hui, en Syrie, l’interrogation ne porte plus sur le fait de savoir si la responsabilité de protéger demeure un concept opérant : la question porte sur la capacité et la volonté des États à intervenir quand la légalité et le soutien international leur font défaut.

Les propos sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas la position du Collège de Défense ou de l’OTAN.

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