UKRAINE : la bombe à retardement

L’accord de cessez-le-feu pour l’est séparatiste de l’Ukraine, signé jeudi à Minsk, ne fait qu’offrir un répit aux belligérants sans résoudre ce conflit meurtrier utilisé par la Russie pour faire pression sur le gouvernement pro-occidental de Kiev, estiment des analystes. Le texte est considéré par beaucoup comme un semblant de paix car il ne prévoit pas de mécanismes concrets pour résoudre les questions litigieuses, en particulier le contrôle de la frontière russo-ukrainienne. Né après 16 heures de discussions inédites entre les présidents russe Vladimir Poutine, ukrainien Petro Porochenko, français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel, le texte « réduit la probabilité de livraisons d’armes américaines et d’autres paysoccidentaux à l’Ukraine ».

« La Russie veut garder le statu quo, afin de pouvoir souffler sur les braises du conflit et l’utiliser comme un puissant levier pour faire pression sur Kiev », qui a fait de sa priorité l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, poursuit M. Petrov , politologue russe indépendant de l’Ecole supérieure de l’Economie de Moscou. « L’équilibre est très fragile et l’évolution dépend de ce qui arrivera en premier: une crise économique et politique d’envergure en Ukraine ou l’affaiblissement de la Russie dû aux sanctions », résumé l’analyste.  « Tout s’arrêtera d’ici la fin du printemps ou le début de l’été, puis reprendra avec plus d’ampleur. Le but de la Russie est le changement de régime à Kiev pour garder l’Ukraine dans son orbite », prédit-il.

 

AVERTISSEMENT DE GORBATCHEV 2* Samedi, lors d’une entrevue dans un magazine d’actualité de l’Allemagne, l’ancien dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, a prévenu que les tensions entre la Russie et les puissances européennes à propos de la crise en Ukraine, pourraient déclarer un conflit majeur ou même une guerre nucléaire. « Une guerre de ce type conduirait inévitablement à un conflit nucléaire, » a déclaré le gagnant du prix Nobel de la Paix en 1990 à « Der Spiegel ». « Si quelqu’un perd son sang-froid durant cette période surchauffée, nous n’allons pas survivre aux années à venir, » a ajouté Mikhaïl Gorbatchev, âgé de 83 ans. « Ce n’est pas quelque chose que je dis à la légère. Je suis extrêmement préoccupé ».

Les tensions entre la Russie et les puissances occidentales ont augmenté après que les séparatistes pro-russes ont pris le contrôle d’une grande partie de l’est de l’Ukraine et que la Russie a annexé la Crimée au début de 2014. Les États-Unis, l’OTAN et l’Union Européenne accusent la Russie d’envoyer des troupes et des armes pour soutenir le soulèvement séparatiste, et ont imposé des sanctions contre Moscou. La Russie elle déclare ne pas fournir d’appui militaire aux rebelles et repousse les critiques occidentales en ce qui concerne l’annexion de la Crimée, en déclarant que la population de la Crimée avait voté dans un référendum.

Mikhaïl Sergeyevich Gorbatchev, qui est largement admiré en Allemagne pour son rôle dans l’ouverture du mur de Berlin et des étapes qui ont conduit à la réunification de l’Allemagne, en 1990, a mis en garde contre toute intervention occidentale dans la crise en Ukraine. « La nouvelle Allemagne veut intervenir partout, » a-t-il dit dans l’entrevue. « En Allemagne, évidemment, il y a beaucoup de personnes qui veulent aider à créer une nouvelle division en Europe. »

 

L’Ukraine : une bombe géopolitique à retardement

Poutine Obama 2

Docteur en économie, enseignant à l’Université Pierre Mendès France à Grenoble, chercheur indépendant spécialiste des questions  économiques et géostratégiques russes, Jean Geronimo est l’auteur de La pensée stratégique russe et s’apprête à publier un nouvel ouvrage sur l’Ukraine. Il propose ici une analyse structurelle de la crise ukrainienne… loin des discours dominants. (,lamarseillaise.com)

La bataille d’Ukraine se présente comme un enjeu géopolitique majeur entre les deux superpuissances de la Guerre froide, dans le cadre d’une partie stratégique jouée sur l’Echiquier eurasien et activant les Etats-pivots de la région comme des pions internes à cette partie.

Le contrôle de l’Ukraine, perçue par les deux adversaires comme un Etat clé de cet Echiquier, s’inscrit dans la poursuite d’un double objectif tenant d’une part, à l’extension des zones d’influence idéologique et d’autre part, à la conquête du leadership politique en Eurasie post-communiste. Associée à sa capacité de nuisance sur les grands acteurs de la région, la nature stratégique de l’Ukraine sur les plans politique (au cœur des grandes alliances) et énergétique (au cœur du trajet des tubes), explique son rôle fondamental dans la ligne anti-russe de Z. Brzezinski reprise par l’administration Obama.

La cooptation de l’Ukraine – définie par E. Todd comme une « périphérie russe » – permettrait, en effet, de briser la pierre angulaire de la stratégie eurasienne de reconstruction de la puissance conduite par Moscou depuis la fin des années 90. Cette reconstruction russe s’opère sur la base du recouvrement de sa domination régionale et sera concrétisée, en 2015, par l’émergence de l’Union économique eurasiatique. Au final, cette configuration justifie, selon la terminologie de Brzezinski, le statut de « pivot géopolitique » de l’Ukraine à la source du conflit actuel – issu d’un véritable coup d’Etat, selon J. Sapir.

Un coup d’Etat national-libéral, manipulé

Dans ce cadre, le coup d’Etat préalable au contrôle d’une république majeure de l’ex-URSS a justifié une stratégie manipulatoire axée sur la désinformation continue en vue du formatage de l’opinion publique internationale et, surtout, l’amorce d’un processus « révolutionnaire » – inspiré du modèle syrien, dans sa phase initiale. L’objectif de ce processus a été de précipiter la chute du président en place, Victor Ianoukovitch, en lui donnant un habillage légitime confirmé par le blanc-seing occidental. En cela, ce coup d’Etat national-libéral – acté le 22 février 2014 – s’insère dans la logique des scénarios « colorés » de la décennie 2000, construits par l’Occident dans l’espace post-soviétique à partir de relais locaux et d’ONG « démocratiques » s’appuyant sur de puissants réseaux politiques, liés aux élites oligarchiques et aux principaux opposants aux pouvoirs pro-russes en place.

A l’époque, ces « évènements » ont été interprétés par le Kremlin comme des signaux d’une offensive plus globale qui ciblera, à terme, la Russie – et dont les prémisses, via l’ingérence occidentale, ont été observées lors des dernières élections russes (présidentielles) de mars 2012. Selon une inquiétante certitude et en dépit de l’absence de preuves réelles, l’ONG Golos à financement américain (!) a alors accusé Vladimir Poutine de « fraudes électorales massives ». L’objectif de Golos était d’alimenter le mécontentement de la rue pour, in fine, créer – en vain – une effervescence « révolutionnaire » à visée déstabilisatrice, contre le nouveau « tsar rouge ». Comme une redondance médiatique, routinière et manipulatrice – observée, un peu plus tard, lors du Maïdan.

Cette vision russe « complotiste » est parfaitement résumée par H. Carrère d’Encausse dans son livre de 2011, « La Russie entre deux mondes ». Elle rappelle que pour Poutine, c’est alors une « vaste entreprise de déstabilisation de la Russie qui se dessine, dans laquelle des Etats étrangers et des organisations de tous types de l’OSCE à diverses ONG, sont associés pour l’affaiblir ». Issues de technologies politiques occidentales visant, à terme, à éroder l’influence de l’ancienne superpuissance dans sa périphérie post-soviétique, ces « révolutions de couleur » ont montré leur redoutable efficacité à travers l’élimination des dirigeants pro-russes – en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan. Ce faisant, on a alors assisté à l’émergence d’une nouvelle idéologie implicite, la Démocratie libérale, utilisée comme levier légal d’ingérence dans la vie politique interne des Etats ciblés. Ce levier est considéré par V. Poutine comme un élément essentiel du nouveau soft power occidental de déstabilisation des régimes « ennemis » et, par ce biais, comme une menace potentielle contre son propre pouvoir.

Etrangement, comme l’a rappelé J.M. Chauvier, cette même Démocratie a fermé les yeux sur le rôle décisif des courants extrémiste et nationaliste, proches des idéologies néo-nazies, dans le basculement et la réussite finale du processus  « révolutionnaire » de l’Euromaïdan, précipitée par de mystérieux snipers. Catalysée par sa haine du russe et de l’idéologie communiste, ce réveil en Ukraine de la pensée ultranationaliste d’inspiration néo-nazie s’inscrit dans une évolution plus générale à l’échelle de l’Europe, observée avec justesse par A. Gratchev, dernier porte-parole et conseiller du président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev.

Dans son livre de 2014 « Le passé de la Russie est imprévisible », Gratchev affirme que cette « montée de la popularité des nationalistes, de l’extrême droite et des néo-fascistes (…) » démontre les limites et, en définitive, l’échec de notre système démocratique : « Il est de plus en plus évident que le mécanisme bien rodé de la démocratie (…) commence à se bloquer ». Un constat amer au fondement, déjà, de la Perestroïka de Gorbatchev – et qui interroge sur la nature réelle de la « révolution » kiévienne.

Les nouvelles menaces révolutionnaires, « colorées »

Dans ce contexte géopolitique sensible, les « révolutions de couleur » sont considérées comme des menaces majeures pour la stabilité des Etats supposés a-démocratiques de la zone post-soviétique – en particulier, pour la Russie de Poutine structurellement visée et qui redoute un « scénario ukrainien ». L’universalisation de la Démocratie dans le monde, par le soft power – ou la force s’il le faut –, semble faire aujourd’hui partie des « intérêts nationaux » des Etats-Unis et de leur fonction régulatrice prioritaire en tant que superpuissance unique légitimée par l’histoire. Ce postulat scientifiquement (très) douteux a été proclamé en 2000, avec une euphorie condescendante, par l’ancienne secrétaire d’Etat de George W. Bush, Condoleezza Rice, convaincue de la fonction messianique de son pays : « C’est le travail des Etats-Unis de changer le monde. La construction d’Etats démocratiques est maintenant une composante importante de nos intérêts nationaux. » Comme une forme d’autolégitimation néo-impériale, au nom – bien sûr – des idéaux démocratiques, constitutifs d’une idéologie globale à visée expansionniste. Troublant.

Face à ces nouvelles menaces « colorées », les Etats membres des structures politico-militaires de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et de l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS) ont décidé, sous l’impulsion de la Russie, de coordonner leurs efforts en vue de définir une stratégie commune préventive. L’objectif déclaré est de mutualiser, à l’échelle régionale, différents moyens pour neutraliser cette nouvelle arme politique désormais privilégiée par l’Occident et s’appuyant, de plus en plus, sur des coups d’Etat habilement construits. En d’autres termes, il s’agit d’ouvrir un front commun eurasien face aux futures « révolutions » national-libérales. De manière indéniable, l’imbroglio ukrainien a favorisé cette prise de conscience politique et, en conséquence, justifié le leadership sécuritaire de la Russie dans sa zone d’intérêt prioritaire, la Communauté des Etats indépendants (CEI) – tout en y accélérant les processus d’intégration régionale. Pour Washington, un effet pervers non programmé – une maladresse stratégique.

Toutefois, certains effets post-révolutionnaires sont désastreux pour la Russie. Un premier effet géopolitique de la « révolution » kiévienne est l’extension de la sphère euro-atlantique à l’ex-URSS traduisant, de facto, la poursuite du recul russe dans son Etranger proche – considéré par sa doctrine stratégique comme une menace pour ses intérêts nationaux. Un second effet plus psychologique de cette curieuse « révolution » est d’alimenter la peur russe devant la progression irresponsable des infrastructures d’une OTAN surarmée à proximité de ses frontières – qui, à terme, posera la question politiquement délicate du bouclier anti-missiles américain. En raison de cette montée accélérée des menaces, on assiste aujourd’hui en Russie au retour du « syndrome de la citadelle assiégée », ressuscité des abimes idéologiques de la Guerre froide. Pour la Russie, contrainte de réagir, la crise ukrainienne laissera des traces indélébiles dans sa mémoire stratégique et, au-delà, dans sa vision de l’Occident. De ce point de vue, Maïdan exprime une rupture géopolitique – radicale.

La réaction défensive russe, via l’axe eurasien

Portée par la propagande médiatique sur la « menace russe » et illustrée par l’escalade des sanctions, la stratégie anti-russe de l’axe euro-atlantique a d’une part, accéléré l’inflexion asiatique de la politique russe et d’autre part, favorisé la montée en puissance de l’axe eurasien sous leadership sino-russe – nouveau contre-pouvoir géopolitique à l’hégémonie américaine. Sur longue période, cette hostilité occidentale va inciter le gouvernement russe à autonomiser son développement – reflexe soviétique – pour réduire sa dépendance extérieure.

Dans le prisme soviéto-russe, cette dépendance économique est perçue comme une faiblesse politique, au sens où les adversaires potentiels l’utilisent comme une opportunité stratégique : renforcer la pression sur Moscou, en l’isolant davantage sur le plan commercial, via un embargo sélectif touchant les technologies sensibles. L’objectif ultime de cet embargo est de freiner le développement de la Russie et, par ce biais, le renforcement de sa puissance militaire – comme au bon vieux temps de la lutte anti-communiste. Cette configuration négative a été aggravée par la chute du rouble consécutive au triple impact des sanctions, de la fuite des capitaux et de l’effondrement du prix du pétrole manipulé par Washington – dans l’optique de déstabiliser V. Poutine, via l’amorce d’une récession économique nourrissant la contestation populaire, potentiellement « révolutionnaire ». Tous les coups sont permis, sur le Grand échiquier.

Dans la perception stratégique russe et, dans la mesure où Moscou est stigmatisée comme « l’ennemi de l’Occident », héritier de l’axe du mal, la crise ukrainienne montre le maintien d’un esprit de Guerre froide. En réalité, cette guerre latente n’a jamais cessé, en dépit de la brève lune de miel américano-russe observée après le drame du 11 septembre 2001 – suite à la main tendue de V. Poutine à G.W. Bush et à sa volonté de coopérer dans la lutte anti-terroristes. L’attitude menaçante et provocante de l’Occident dans la gestion de cette crise, très vite transformée en diatribe anti-Poutine, a conduit à la renaissance politique de l’OTAN – tout en légitimant son extension – et, en définitive, obligé Moscou à infléchir sa ligne stratégique. Un sous-produit géopolitique de l’Euromaïdan.

Après la provocation otanienne, l’inflexion doctrinale russe

Par la voix du chef de sa diplomatie, Sergueï Lavrov, la Russie a vivement réagi et condamné cette regrettable erreur, le 27 septembre 2014 : « Je considère comme une erreur l’élargissement de l’Alliance. C’est même une provocation (…) ». En conséquence, en vue d’intégrer ces « nouvelles menaces », l’administration russe a programmé un durcissement radical de sa doctrine militaire, dans un sens plus anti-occidental – ce que Moscou appelle une « réponse adéquate ». Dans l’optique de rendre possible cette inflexion doctrinale, et parce que « (…) la Russie a besoin de forces armées puissantes capables de relever les défis actuels », une hausse très importante (d’un tiers) des dépenses militaires russes est prévue en 2015, selon le projet de loi budgétaire. De facto, c’est bien l’idée d’un rééquilibrage géostratégique qui se joue au cœur du conflit ukrainien et, par ricochet, au cœur de l’Eurasie post-communiste. Avec, comme ultime conséquence, l’émergence d’un conflit gelé – potentiellement déstabilisateur pour la région.

Au final, dans le cadre de la crise ukrainienne et en dépit des accords de Minsk du 5 septembre, l’exacerbation de l’opposition américano-russe alimente une forme rénovée de la Guerre froide, la Guerre tiède, structurée à partir d’une bipolarisation idéologique renaissante. Désormais, cette dernière est nourrie par la contagion mondiale des « révolutions » national-libérales guidées, de l’Etranger, par la conscience démocratique de la docte Amérique – au nom de sa légitimité historique, ancrée dans sa victoire finale contre le communisme.

Dans son discours annuel – très offensif – du 4 décembre 2014, devant le parlement russe, Poutine a dénoncé cette dangereuse dérive dont une conséquence inquiétante est d’accélérer la montée des idéologies néo-nazies dans l’espace post-soviétique, notamment en Ukraine. Le 29 janvier 2015, Mikhaïl Gorbatchev a reconnu que l’irresponsabilité de la stratégie américaine avait entraîné la Russie dans une « nouvelle Guerre froide ». Terrible aveu.

Dans ses implications stratégiques, la fausse révolution du Maïdan est donc une véritable bombe – géopolitique – à retardement.

Jean Geronimo

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Le «spectre de la guerre nucléaire» s’installe

Guerre-nucleaire

Il commence à apparaître que la conscience de la possibilité d’une guerre totale, c’est-à-dire la possibilité d’une guerre nucléaire, existe dans la logique folle de la crise ukrainienne. Les causes de cette prise de conscience sont sans doute diverses mais tournent autour de la politique US – non-politique assimilable à la politique-Système fondée sur le développement incontrôlé d’une surpuissance agressive, marquée dans son plus récent spasme par l’exploration de la possibilité de livrer des armements avancés à Kiev. Paul McAdams, du Ron Paul Institute, propose cette explication à l’absence des USA dans les négociations du quartet de Normandie qui contient en soi la cause de cette prise de conscience du risque nucléaire, sous la forme d’un rapport dont le Système a le secret. (Rassembler des noms prestigieux à Washington – Ivo Daalder, Michele Flournoy, l’amiral Stavridis, Strobe Talbott, etc.; sous l’égide de trois prestigieux think tanks évidemment complètement indépendants – Brookings Institution, Chicago Council on Global Affairs, Atlantic Council; conclure qu’il faut livrer très, très vite des armes à l’Ukraine pour défendre glorieusement son indépendance; la note de ces fournitures est même détaillée, selon une répartition qui fait honneur au sens de l’équité entre eux des généreux donateurs du complexe militaro-industriel, lesquels ont, pour ajouter la générosité au symbole, financé ce rapport… La conclusion est qu’il faut $3 milliards de quincaillerie pour l’Ukraine.)

McAdams , ce 11 février 2015 : «C’est une nouvelle étude publiée la semaine dernière par un consortium de think tanks financés par l’industrie de la défense aux Etats-Unis, exhortant à une implication militaire états-unienne directe dans la crise ukrainienne, qui a poussé Hollande et Merkel à l’action. Alors que Washington est tombé en pâmoison collective à la lecture de la conclusion du rapport selon laquelle 3 milliards de dollars d’armes américaines devaient être envoyés au régime-client des États-Unis de Kiev, les Européens se sont tout à coup souvenus de leurs cent dernières années d’histoire et ils ont réalisé que ce n’est pas Washington ou Los Angeles que la guerre qui suivrait probablement l’implication directe des Etats-Unis laisserait en cendres, mais Bruxelles. Et Munich, Paris, etc … »

Ce même 11 février 2015, Johannes Stern, de WSWS.org, fait une analyse à partir d’un article du Spiegel publié dimanche soir, après la conférence dite Wehrkunde, à Munich. L’article évoque, sous le titre «Crise OTAN-Russie : le spectre de la guerre nucléaire est de retour», la possibilité d’une guerre nucléaire et démarre sur une anecdote rapportée de ladite conférence de la Wehrkunde. L’anecdote évoque un incident datant de 1995, où une alerte nucléaire eut lieu en Russie à la suite du tir d’une fusée de recherche américano-norvégienne empruntant une trajectoire qui serait celle d’un éventuel tir d’un missile stratégique nucléaire Trident, la fusée en question ayant les même caractéristiquesradar qu’un Trident. L’incident fut réglé rapidement – les choses vont vite, dans ce cas –, notamment grâce à la bonne entente régnant à cette époque entre la Russie soumise de Eltsine et les USA pétulants de Clinton… Et l’on termine sur cette interrogation : aujourd’hui, compte tenu du climat entre la Russie et les USA, cela se passerait-il de cette façon ?

«L’article commence avec la description d’un événement peu connu qui a eu lieu le 25 janvier 1995 et qui a presque failli déclencher une guerre nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie. A cette époque, des chercheurs norvégiens et américains avaient tiré une roquette à partir de l’île norvégienne d’Andøya, qui avait déclenché le niveau d’alerte le plus élevé chez les forces armées russes et avait incité le président russe Boris Eltsine à activer les clés d’accès aux armes nucléaires.

La fusée, que les scientifiques avaient lancée pour étudier les aurores boréales, avait pris la même trajectoire que les missiles nucléaires intercontinentaux états-uniens pour aller à Moscou. En outre, sur le radar de la Russie, la fusée de recherche à quatre étages ressemblait à un missile Trident tiré par un sous-marin américain. Puis tout est allé très vite. Les sirènes d’alarme ont retenti dans un centre de radar russe et les techniciens ont saisi leur téléphone pour annoncer une attaque de missiles américains. Eltsine a appelé des généraux et des conseillers militaires au téléphone, mais il a finalement donné le signal de fin d‘alerte parce qu’il n’y a pas eu de second missile. Spiegel Online note qu’Eltsine à l’époque avait sans doute laissé les missiles nucléaires russes dans leurs silos ‹parce que les relations entre la Russie et les États-Unis en 1995 étaient relativement confiantes›. Aujourd’hui, cependant, la situation est totalement différente. Le magazine cite de hauts responsables politiques, des experts militaires et universitaires, qui insistent sur la dangerosité de la situation actuelle.

Un laps de temps de cinq ou six minutes peut suffire à prendre une décision si la confiance règne et si des voies de communication existent et qu’on peut les activer rapidement›, a déclaré l’ancien ministre russe des Affaires étrangères, Igor Ivanov, au cours de la Conférence sur la sécurité de Munich dont l’ordre du jour a été dominé par l’escalade des puissances impérialistes contre la Russie. ‹Malheureusement, ce mécanisme fonctionne très mal actuellement›, a ajouté Ivanov. Interrogé sur ce qui se passerait aujourd’hui si l’incident de 1995 se reproduisait, il a dit: ‹Je ne suis pas sûr que les bonnes décisions seraient toujours prises.› »

Il y a quelque chose d’irréel dans cette anecdote. Ivanov, ancien ministre russe de la Défense, est le co-auteur d’une étude, avec l’ancien ministre britannique Des Brown et l’ancien sénateur démocrate US Sam Nunn. Durant les années 1990, Nunn, spécialiste des questions militaires, fut très fortement impliqué dans les efforts accomplis pour rassembler et sécuriser l’arsenal nucléaire de l’ex-URSS qui avait suivi la situation chaotique de l’effondrement de 1989-1991 et risquait de disparaître dans des mains incertaines, selon une logique sauvage de prolifération nucléaire… Les trois anciens hommes politiques décrivent dans leur rapport la situation à nouveau chaotique, aujourd’hui, mais cette fois au niveau des réseaux et des institutions qui, durant la Guerre froide, permettaient des échanges de communication entre les deux blocs et limitaient ainsi les risques d’accident nucléaire. «La confiance entre l’OTAN et la Russie est quasiment complètement détruite, explique Nunn au SpiegelIl y a une guerre au cœur de l’Europe, les traités internationaux sont en lambeaux ou impuissants à faire sentir leurs effets, il y a des systèmes nucléaires tactiques partout en Europe. La situation est extrêmement dangereuse.»

… Ce qu’il y a d’irréel, c’est d’entendre et de lire de telles remarques à partir d’un rapport rédigé conjointement et en toute coopération par trois hommes qui appartiennent aux deux camps (Ivanov de la Russie, Brown et Nunn du bloc BAO), et d’observer à côté le climat extraordinaire de confrontation qui régnait à la conférence de la Wehrkunde, où le discours de Lavrov fut parfois salué par des rires sarcastiques et des huées à peine discrètes. Brown-Ivanov-Nunn parlent selon l’état d’esprit de la Guerre froide, manifesté aussi bien durant la crise de Cuba de 1962 que durant le déploiement des euromissiles US en novembre 1983, lorsque Reagan annula l’exercice de simulation d’une guerre nucléaire Able Archer parce qu’il craignait que cet exercice fût pris comme une préparation réelle d’une attaque nucléaire par les dirigeants soviétiques. Durant la guerre froide, le spectre de la guerre nucléaire, lorsqu’il se manifestait de façon pressante, unissait les deux adversaires dans une terreur commune et tout était fait entre eux pour parvenir à un compromis de situation suffisant pour l’écarter. La guerre nucléaire était perçue d’une façon objective comme une menace de terreur absolue qui transcendait tout, y compris les intérêts nationaux, et imposait l’obligation de trouver une solution… Aujourd’hui, les choses sont différentes.

L’article de WSWS.org rappelle également que le Bulletin of the Atomic Scientists (BAS) vient de faire récemment passer son symbole de l’horloge de l’apocalypse du danger nucléaire au niveau trois minutes avant minuit, seulement atteint une fois durant la Guerre froide (en 1984). Il remarque alors, dans son inimitable style trotskiste, mais néanmoins fort justement : c’est très bien de signaler ce danger de la guerre nucléaire, mais encore faudrait-il préciser qui en est la cause … On comprend bien que BAS, comme le rapport Brown-Ivanov-Nunn, traitent effectivement d’une situation objective de terreur devant la perspective de la guerre nucléaire. On peut regretter qu’ils ne désignent pas les coupables, mais le fait est que leur démarche – y compris dans le chef de BAS, qui a toujours actionné son horloge de l’apocalypse de cette façon – s’accorde à la règle de la perception opérationnelle du seul fait objectif (risque d’une guerre nucléaire).

«Un moyen de mesurer la menace nucléaire est l’horloge du jugement dernier(Doomsday Clock), du Bulletin of the Atomic Scientists (BAS). Le 19 janvier, le BAS, qui existe depuis 1945, a réglé l’horloge à trois minutes avant minuit. L’unique et dernière fois où elle était réglée là, c’était en 1984, lorsque les États-Unis ont intensifié la course aux armements nucléaires contre l’Union soviétique et, par voie de conséquence, coupé ou limité toutes les voies de communication. Le BAS a justifié sa décision actuelle comme suit: Les dirigeants politiques avaient échoué à protéger les citoyens contre une possible catastrophe et donc avaient mis en danger tous les habitants de la terre. En 2014, les puissances nucléaires avaient pris la décision folle et dangereuse de moderniser leurs arsenaux nucléaires. Elles avaient abandonné leurs efforts raisonnables pour désarmer et avaient permis au conflit économique entre l’Ukraine et la Russie de se développer en une confrontation Est-Ouest.

«De manière significative, ni le Bulletin of Atomic Scientists ni le Spiegel Onlinene nomment les responsables de la menace croissante d’une guerre nucléaire. Ce sont les puissances impérialistes qui ont ouvert les hostilités en organisant un coup d’État en Ukraine à l’aide des forces fascistes, qui, depuis, ont intensifié l’agression contre la Russie et qui maintenant se préparent à fournir des armes au régime pro-occidental à Kiev.»

C’est effectivement là, à ce point psychologique, que se situe le nœud de la crise ukrainienne dans sa dimension actuelle la plus déstructurante; mais, pour notre compte, déstructurante dans le meilleur sens possible puisque menaçant cette fois directement les structures du bloc BAO. La question de la guerre nucléaire importe moins pour l’instant dans son opérationnalité que dans la perception psychologique qu’on a ou qu’on n’a pas de sa possibilité. L’événement qui s’est produit la semaine dernière n’est pas stratégique ni politique, il est psychologique. Soudain, à cause de certaines circonstances (l’étude mentionnée par McAdams, l’engouement de plus en plus affirmé à Washington en faveur de la livraison d’armes à l’Ukraine), la possibilité d’un affrontement direct entre les USA et la Russie, fût-il accidentel qu’importe, s’est très fortement concrétisé, déclenchant par conséquent le constat de la possibilité objective d’un conflit nucléaire. Brown-Ivanov-Nunn et BAS s’en tiennent à ce dernier constat objectif, mais on admettra que c’est déjà beaucoup puisque ledit constat confirme objectivement à partir de sources prestigieuses et reconnues comme très compétentes la possibilité extrêmement pressante d’un conflit nucléaire. Du coup, il y a une réaction de terreur objective de ceux qui sont les plus proches du possible théâtre de la possible catastrophe, c’est-à-dire nombre d’Européens et certains experts non-européens, avec, dans le chef de ces Européens principalement, la recherche simultanée de la cause humaine de cette terreur… La recherche est vite bouclée, tant existe à Washington une sorte d’absence complète – parlera-t-on avec un brin d’ironie, d’une absence d’autiste? – de la possibilité d’une guerre nucléaire en tant qu’événement absolument catastrophique.

Ainsi reste-t-on dans la psychologie. L’on dira que l’hybris époustouflant de Washington, véritable pathologie sans aucun doute, avec comme porte-drapeau un président d’un incroyable calme dans sa fonction de zombie alimentant l’ivresse de l’exceptionnalisme fou, entraîne un autisme absolument catastrophique par rapport aux risques fondamentaux qu’implique la situation ukrainienne. Les clowns de Kiev renforcent l’impression de se trouver, entre Washington et Kiev, dans un hôpital psychiatrique pour adolescents autistes, où les pensionnaires jouent avec l’allumette qui allumera la mèche qu’on sait. Ainsi n’est-il aucunement nécessaire d’étudier la possibilité ou pas d’un conflit nucléaire en étudiant rationnellement les aspects d’une escalade, en termes stratégiques et militaires. Nous sommes au niveau de la psychologie et de la pathologie qui va avec, et la fracture au sein du bloc BAO qui commence à apparaître entre une partie de l’Europe et les USA a tout à voir avec cela. Il suffit de savoir et d’admettre qu’un affrontement nucléaire est possible. Les (des) Européens savent qu’il est question de la possibilité d’un engagement nucléaire et ils commencent (mais cela va très vite dans cette sorte de perspective) à en admettre la possibilité ; la ménagerie américaniste le sait également, mais c’est pour refuser catégoriquement d’en admettre la possibilité, parce qu’il ne fait aucun doute pour elle, représentant la nation exceptionnelle, que la Russie canera avant, qu’elle reculera – d’on ne sait quelle position avancée, mais bon –, et qu’elle se soumettra. A la limite, on pourrait croire, hybris et autisme aidant, que les USA se croient évidemment, et comme par une sorte d’immanence, justifiés de croire qu’eux seuls sont les maîtres du feu nucléaire et que toute guerre, tout conflit nucléaire passe par eux seuls ; dès lors, s’ils n’en admettent pas la possibilité, il n’y aucun risque à cet égard, d’autant (refrain) que la Russie canera… Tout cela relève de la psychanalyse et rappelle les ricanements de Freud apercevant les rivages de l’Amérique lors de son premier voyage de 1909, et songeant secrètement qu’il avait, devant lui, le territoire psychologique rêvé pour exercer sans la moindre retenue son activité.

Dans l’hypothèse qu’on développe, cette folie US pourrait effrayer, à juste raison, dans la mesure où elle indique un blocage sans rémission et fait craindre le pire – justement un enchaînement jusqu’au conflit nucléaire. Mais il y a un avantage en apparence paradoxal à cet extrême, c’est celui d’activer l’opposition des Européens justement jusqu’à l’extrême, de ne laisser aucun répit à cette opposition en poursuivant sans cesse une politique de renchérissement dans l’agressivité et dans la violence, en alimentant la hantise du spectre nucléaire en Europe. Cela implique une division grandissante du bloc BAO, division que, paradoxalement encore, les USA ne supportent pas. Autant ce pays ne limite jamais l’usage unilatéral de la pression et de la violence, autant il entretient le besoin malgré tout d’être soutenu dans cet emportement par une cohorte d’alliés vassaux, dont le nombre semblerait parfois exigé du côté US comme pour apaiser une angoisse secrète qui se cacherait derrière ce déchaînement. Ainsi l’affrontement intra-bloc BAO pourrait-il très vite prendre une place de choix au côté de l’affrontement avec la Russie dans le chef des USA washingtoniens, voire aller jusqu’à le supplanter. Ainsi verrions-nous de plus en plus renforcé notre vertueux pari pascalien du 3 mars 2014 : «La crise ukrainienne, et la réalisation que les pressions du Système […] peuvent conduire à l’extrême catastrophique des affaires du monde (la guerre nucléaire), peuvent aussi bien, grâce au formidable choc psychologique dont nous parlons et à l’immense crainte qu’il recèle, déclencher une autre dynamique d’une puissance inouïe…» ; cette dynamique étant à son terme l’effondrement du Système, certes, mais passant évidemment et nécessairement par la division meurtrière et fratricide du bloc BAO à laquelle chacun semble désormais s’employer.

Philippe Grasset

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Le danger d’escalade en Ukraine

Ukraine Otan drapeau

Depuis l’annonce la semaine dernière que Washington pourrait armer directement le régime ukrainien pro-OTAN de Kiev, la rhétorique du gouvernement américain et de ses alliés européens est devenue de plus en plus extrême et irresponsable. Parmi tous les auteurs de déclarations belliqueuses, il n’y en a aucun qui dise clairement quel pourrait être le coût en vies humaines d’un conflit à grande échelle entre l’OTAN et la Russie, où s’arrêterait un tel conflit et s’il pourrait s’intensifier jusqu’à un bombardement nucléaire mutuel.

A la Conférence de Munich sur la Sécurité, le sénateur américain Lindsey Graham a clairement indiqué la possibilité qu’éclate une guerre majeure mais il n’en a pas moins demandé que Washington arme Kiev. « Je ne sais pas comment cela finira si vous donnez [au régime ukrainien] une capacité défensive. Mais voici ce que je sais: je me sentirai mieux, car quand on a eu besoin de ma nation pour résister aux idioties et défendre la liberté, j’ai défendu la liberté. Il se peut qu’ils meurent. Il se peut qu’ils perdent. Mais tout ce que je peux vous dire c’est que si quelqu’un ne résiste pas mieux, nous allons tous perdre ».

Le président du parlement polonais Radoslaw Sikorski a proposé de menacer la Russie militairement jusqu’à ce qu’elle panique et recule. « Poutine nous a montré que l’Ukraine ne peut pas gagner militairement. Maintenant nous devons lui montrer que lui non plus ne peut gagner militairement », a-t-il dit.

Un rapport du groupe de réflexion Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) soutient l’armement du régime de Kiev: « Un engagement crédible de la part des Etats-Unis et de leurs alliés pour consolider l’armée ukrainienne tout en renforçant les sanctions contribuera à envoyer à Moscou le signal qu’il risque la catastrophe politique et militaire… ».

S’exprimant dans le New York Times, le chroniqueur Roger Cohen a exigé que les Etats-Unis injectent des milliards de dollars dans un armement de l’Ukraine contre la Russie. Il écrit: « Il y a un langage que Moscou comprend: les missiles antichar, les radars militaires mobiles, les drones de reconnaissance. Il faut consolider l’armée ukrainienne avec ces armes et d’autres encore. Il faut changer l’analyse du rapport coût/efficacité de Poutine. Il y a certes des risques, mais le risque zéro n’existe pas en politique. »

Ou bien l’establishment politique et médiatique s’enivre de sa propre propagande et croit qu’il peut faire en toute impunité ce qui, dans la diplomatie internationale, équivaut à crier au feu dans un cinéma bondé, ou bien il est sérieux. Dans ce cas, il se met en position pour lancer une guerre terrestre majeure en Europe qui pourrait conduire à une guerre thermonucléaire entre l’OTAN et la Russie et qui coûterait la vie à des milliards de personnes.

Quelles que soient les intentions de ceux qui font de telles déclarations, ces menaces sont prises très au sérieux par ceux qu’ils visent. Hier, le chef du conseil de sécurité du Kremlin, Nikolai Patruchev, a dit qu’il considérait l’intervention de l’OTAN en Ukraine comme une atteinte à l’existence même de la Russie. « Les Américains essaient d’attirer la Fédération russe dans un conflit militaire entre Etats, afin d’effectuer un changement de régime en utilisant les événements en Ukraine, et finalement de démembrer notre pays », a-t-il dit.

Patruchev, un proche collaborateur du président russe Vladimir Poutine, a prévenu que si Washington décidait d’armer le régime de Kiev, cela « ne ferait qu’intensifier » le conflit .

Les craintes du régime russe sont attisées par d’influents stratèges américains qui déclarent que leur but en armant le régime de Kiev est de pousser la Russie dans le piège d’une guerre urbaine ruineuse qui coûterait des millions de vies. Ceci dans l’intention d’humilier la Russie et de briser sa position de grande puissance capable de défier les Etats-Unis.

Dans une allocution faite l’an dernier au groupe de réflexion Wilson Center, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du gouvernement Carter, Zbigniew Brzezinski, a mis en garde contre l’émergence en Russie d’« une perspective ambitieuse qui justifie (…) la conclusion que la Russie est une puissance mondiale ». Il a dit que l’Ukraine pourrait « devenir non seulement un problème durable pour la Russie à cet égard, mais aussi représenter la perte permanente d’un immense pan de territoire, la plus grande perte de territoire subie par la Russie au cours de son expansion impériale. Ceci, à son tour, pourrait finalement miner cette nouvelle mythologie concernant la place et le rôle de la Russie dans le monde ».

Brzezinski a ajouté, « Il vaudrait mieux être franc à cet égard et dire aux Ukrainiens et à ceux susceptibles de menacer l’Ukraine que si les Ukrainiens résistent, ils auront des armes (…). Et à mon avis, ce devrait être en particulier des armes qui permettent aux Ukrainiens de s’engager dans une guerre urbaine de résistance. Cela ne sert à rien d’armer les Ukrainiens pour s’opposer à l’armée russe en terrain dégagé, avec des milliers de tanks et une armée organisée pour s’imposer par une force écrasante ».

Brzezinski a expliqué: « Si les grandes villes, disons Kharkov, ou Kiev, résistaient et que des combats de rue devenaient nécessaires, ce serait long et coûteux. Et le fait est que, et c’est en cela que le calendrier de toute cette crise est important, la Russie n’est pas encore prête à entreprendre ce type d’effort. Cela serait trop coûteux en sang versé, financièrement paralysant ».

C’est un vieil adage de la science militaire que la guerre est la plus imprévisible des activités humaines.

On peut s’imaginer d’innombrables situations où un plan comme celui esquissé par Brzezinski, qui implique la perte de millions de vies dans les grandes villes de l’Ukraine, entraînerait rapidement une escalade majeure. La Russie pourrait ne pas seulement choisir de s’engager dans des combats maison par maison à Kiev, mais encore de frapper les forces de l’OTAN et des régimes satellites en Europe de l’Est, tels les pays baltes, où l’OTAN est tenu par ses traités d’intervenir. Si ces combats tournent mal pour l’OTAN dans ces régions où la Russie jouit d’une supériorité militaire écrasante en armes conventionnelles est-ce que l’OTAN ripostera avec des armes nucléaires?

La question qui se pose finalement est la suivante: Quelles sont les sources objectives du caractère impitoyable et irresponsable de la politique étrangère des puissances de l’OTAN? Les deux derniers régimes à adopter une politique aussi agressive et suicidaire ont été l’Allemagne nazie et le Japon impérial dans les années précédant la Deuxième Guerre mondiale. Leur politique reflétait une crise systémique profonde et une situation où des élites dirigeantes isolées, confrontées à des tensions sociales et des contradictions internationales pour lesquelles elles n’avaient pas de solutions rationnelles, avaient tout misé sur la guerre.

Il existe un dangereux parallèle entre l’irresponsabilité de la politique américaine et celle d’Hitler ou Hirohito. Si le Kremlin capitulait et concluait un quelconque accord, comme le laissaient entendre certaines informations peu de temps avant la réunion du 11 février à Minsk, ceci ne s’avérerait qu’être le point de départ d’une nouvelle série d’exigences de la part des Etats-Unis.

La situation est extraordinairement dangereuse. Même si une quelconque solution à court terme est bricolée, ce ne sera qu’un bref interlude avant que la crise ne reparte de plus belle.

Alex Lantier

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Sommet de Minsk : les pièges à déminer pour un accord

Par Isabelle Lasserre

    • Mis à jour le 11/02/2015 à 08:31
    • Publié                                    le 10/02/2015 à 19:59

                                                    Crédits photo : DOMINIQUE FAGET/AFP

Vladimir Poutine, Petro Porochenko, François Hollande et Angela Merkel doivent se retrouver mercredi soir à Minsk. L’une des dernières chances de trouver une porte de sortie au conflit en Ukraine.

● Quels sont les enjeux du sommet de Minsk?

Il s’agit de remettre sur la table les accords de Minsk, signés le 5 septembre 2014 mais jamais respectés, et surtout d’obtenir rapidement un cessez-le-feu pour mettre fin aux combats qui ont fait plus de 5 500 morts dans l’est de l’Ukraine depuis dix mois. Pourquoi la réunion dans la capitale biélorusse a-t-elle lieu maintenant? Inquiet des voix qui s’élèvent aux États-Unis pour armer les Ukrainiens, Vladimir Poutine, sans doute aussi préoccupé par l’effondrement de l’économie russe, a proposé aux Européens de relancer les négociations, à ses conditions initialement. Parce qu’ils craignent que la situation sur le terrain ne dégénère en guerre totale, parce qu’ils ont compris que les sanctions n’avaient pas atteint leur but politique – un recul de l’offensive prorusse en Ukraine -, François Hollande et Angela Merkel, au nom de l’Europe, ont saisi la perche du Kremlin. «Mais aujourd’hui, c’est sur notre papier que l’on discute», assure un diplomate français. Cette nouvelle initiative est présentée comme l’une des dernières chances diplomatiques de régler la crise. «On ne peut pas discuter indéfiniment», affirment les responsables français.

● A-t-il une chance d’aboutir?

Les chances de succès sont minces. Même si les quatre pays qui négocient à Minsk s’entendent sur un projet de paix, son application sur le terrain est mal engagée. Depuis le début des nouveaux pourparlers, les Russes font monter la pression. Ils ont entamé des manœuvres militaires en Crimée, annexée en mars 2014. L’avancée de leurs alliés séparatistes, qui tentent de s’emparer du maximum de terrain avant le début des négociations, se poursuit. Les rebelles prorusses ont bombardé mardi l’état-major de l’armée ukrainienne dans l’est de l’Ukraine. Les choix politiques et stratégiques du gouvernement de Kiev, qui voudrait devenir une démocratie occidentale, et ceux du président russe, qui veut rétablir son influence sur l’ancien espace soviétique et rejette les valeurs européennes, sont si diamétralement opposés qu’ils rendent peu probable un compromis durable. Les négociations sont «très difficiles», confirme un diplomate français. Tous les problèmes ne sont pas d’ailleurs abordés, puisque la question de la Crimée ne sera pas évoquée à Minsk.

● Les points de désaccord

Ils sont nombreux. Le statut des territoires tenus par les séparatistes en est un. Moscou veut une large autonomie pour les régions rebelles, une fédéralisation qui lui permette de conserver son influence sur Kiev sans avoir à financer le développement des zones prorusses. L’Ukraine préfère une «décentralisation», formule qui empêcherait le Kremlin de peser sur ses choix politiques. La délimitation de la ligne de front est un autre obstacle. L’Ukraine insiste sur les termes des accords signés à Minsk en septembre. Mais, depuis, les séparatistes prorusses se sont emparés de 500 km2 de territoires supplémentaires. La France a proposé qu’une zone démilitarisée soit créée de part et d’autre de la ligne de démarcation. Russes et Ukrainiens s’opposent également sur le retrait des armes lourdes et des troupes étrangères de l’est de l’Ukraine. Ainsi que sur le contrôle des frontières: Kiev aimerait qu’il soit effectué conjointement avec l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Moscou refuse. Pour rapprocher les deux points de vue, les négociateurs tentent de trouver «des formules habiles» et d’appliquer «une diplomatie inventive». Afin de donner toutes ses chances au sommet de Minsk, ils ont mis entre parenthèses, jusqu’au 16 février, l’application des nouvelles sanctions décidées contre des personnalités russes et des séparatistes. Mais un diplomate le reconnaît: «La réussite n’est pas une condition de tenue du sommet.»

● L’impuissance des Occidentaux face à Poutine

Certains craignent que Vladimir Poutine ne cherche qu’à gagner du temps en acceptant de négocier. Son but serait d’obtenir un apaisement de la colère occidentale avant de reprendre les opérations de déstabilisation dès que la situation lui sera plus favorable. Le maître du Kremlin veut fragiliser le gouvernement pro-occidental de Kiev, dont il voudrait modifier et influencer les choix de politique étrangère. Le maintien d’un «conflit gelé» en Ukraine comme la poursuite des opérations de déstabilisation du pays affaiblissent les autorités pro-occidentales et empêchent tout rapprochement avec l’Otan et l’Union européenne. Vladimir Poutine joue de la faiblesse des Occidentaux – leur refus de répondre par la force et de déployer des troupes pour faire respecter leurs valeurs et les lois internationales – pour poursuivre ses buts dans la région.

● Que se passe-t-il en cas d’échec?

«On continuera comme ça. Je ne crois pas à une véritable rupture militaire sur le terrain», explique un diplomate. De nouvelles sanctions seront sans doute décidées contre la Russie. La question de l’armement des Ukrainiens risque cependant de resurgir rapidement. Des républicains de renom et une partie de l’Administration américaine font pression sur Barack Obama pour le convaincre d’aider militairement l’Ukraine. Le président est plutôt réticent. Mais il a affirmé qu’il réfléchirait à cette option en cas d’échec de l’initiative de Minsk. Il a demandé à ses conseillers d’étudier «toutes les options».

La résurgence de cette question des armes pourrait provoquer une rupture de la relative unité transatlantique obtenue sur la crise russo-ukrainienne. Pour certains pays européens comme l’Allemagne et la France, fournir des armes à l’Ukraine, c’est en effet prendre le risque de l’escalade militaire. «La solution ne peut être que politique», affirme un responsable français. En cas d’échec à Minsk, l’Occident devra choisir entre deux directions s’il ne veut pas se résoudre au statu quo et à l’aggravation de la guerre en Ukraine. Soit geler le conflit et attendre des jours meilleurs pour le résoudre en faisant des concessions à Vladimir Poutine, au détriment des autorités de Kiev. Soit fournir des armes à l’Ukraine. Mais dans les deux cas, l’ordre de sécurité européen issu du monde postcommuniste a volé en éclats. Et avec lui les garanties qui préservaient la paix sur le continent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

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AVERTISSEMENT DE GORBATCHEV 2

Publié le 05 février, 2015 | par Equipe de Pleinsfeux

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AVERTISSEMENT DE GORBATCHEV

Mikhaïl Sergeyevich Gorbatchev émet un nouvel avertissement au sujet d’une guerre nucléaire à cause de l’Ukraine.

– Le 10 janvier 2015

Samedi, lors d’une entrevue dans un magazine d’actualité de l’Allemagne, l’ancien dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, a prévenu que les tensions entre la Russie et les puissances européennes à propos de la crise en Ukraine, pourraient déclarer un conflit majeur ou même une guerre nucléaire,.

« Une guerre de ce type conduirait inévitablement à un conflit nucléaire, » a déclaré le gagnant du prix Nobel de la Paix en 1990 à « Der Spiegel ».

« Si quelqu’un perd son sang-froid durant cette période surchauffée, nous n’allons pas survivre aux années à venir, » a ajouté Mikhaïl Gorbatchev, âgé de 83 ans. « Ce n’est pas quelque chose que je dis à la légère. Je suis extrêmement préoccupé ».

Les tensions entre la Russie et les puissances occidentales ont augmenté après que les séparatistes pro-russes ont pris le contrôle d’une grande partie de l’est de l’Ukraine et que la Russie a annexé la Crimée au début de 2014.

Les États-Unis, l’OTAN et l’Union Européenne accusent la Russie d’envoyer des troupes et des armes pour soutenir le soulèvement séparatiste, et ont imposé des sanctions contre Moscou.

La Russie elle déclare ne pas fournir d’appui militaire aux rebelles et repousse les critiques occidentales en ce qui concerne l’annexion de la Crimée, en déclarant que la population de la Crimée avait voté dans un référendum.

Mikhaïl Sergeyevich Gorbatchev, qui est largement admiré en Allemagne pour son rôle dans l’ouverture du mur de Berlin et des étapes qui ont conduit à la réunification de l’Allemagne, en 1990, a mis en garde contre toute intervention occidentale dans la crise en Ukraine.

« La nouvelle Allemagne veut intervenir partout, » a-t-il dit dans l’entrevue. « En Allemagne, évidemment, il y a beaucoup de personnes qui veulent aider à créer une nouvelle division en Europe. »

Les remarques faites par l’ancien homme d’état, dont la politique de « perestroïka » (restructuration) a aidé à mettre fin à la guerre froide, vont appuyer spectaculairement les avertissements qu’il a déjà émis l’année dernière. En novembre, il avait déclaré qu’une nouvelle guerre froide pourrait être en route, avec des conséquences au potentiel désastreux, si les tensions ne diminuaient pas avec la crise en Ukraine.

« Le monde est au bord d’une nouvelle guerre froide. Certains disent même qu’elle a déjà commencé, » a-t-il dit dans une entrevue, en novembre.

L’impasse diplomatique sur l’Ukraine est la pire connue entre Moscou et l’Occident depuis la fin de la guerre froide ayant pris fin il y a plus de deux décennies.

Source : http://www.newsmax.com/Newsfront/gorbachev-nuclear-war-ukraine/2015/01/10/id/617762/?ns_mail_uid=64051189&ns_mail_job=1602988_01102015&s=al&dkt_nbr=5bafen27

Traduit par PLEINSFEUX.ORG

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L’accord de Minsk: un répit qui ne règle pas le conflit en Ukraine
L’accord de cessez-le-feu pour l’est séparatiste de l’Ukraine, signé jeudi à Minsk, ne fait qu’offrir un répit aux belligérants sans résoudre ce conflit meurtrier utilisé par la Russie pour faire pression sur le gouvernement pro-occidental de Kiev, estiment des analystes.Le texte est considéré par beaucoup comme un semblant de paix car il ne prévoit pas de mécanismes concrets pour résoudre les questions litigieuses, en particulier le contrôle de la frontière russo-ukrainienne.

Exigence clé de Kiev, le contrôle de cette frontière, par laquelle l’Ukraine et les Occidentaux accusent la Russie de faire transiter armes, combattants et troupes régulières, n’est envisagée que d’ici fin 2015 après des élections locales et « un règlement politique global » de la crise.

Or, « le contrôle de la frontière, c’est la base du règlement pour l’Ukraine. Aujourd’hui, c’est une fenêtre vers la guerre, un facteur qui alimente les hostilités dans le Donbass », souligne l’analyste ukrainien Vadim Karassev.

Le statut des territoires contrôlés par les rebelles reste également flou: l’accord de Minsk stipule que le Parlement ukrainien doit le définir d’ici à 30 jours, en se basant sur la ligne de partage établie par les premiers accords de Minsk, signés en septembre.

Or les rebelles ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne céderaient pas les 500 km2 conquis depuis lors.

« Il n’est pas écrit dans les accords que nous devons rendre nos territoires. Il nous est égal de savoir comment l’Ukraine voit les choses et si elle va reconnaître un +régime spécial+ » pour ces zones, a lancé à l’AFP Andrei Pourguine, l’un des responsables de la république autoproclamée de Donetsk.

Dès lors, « nous aurons de gros problèmes pour mettre en oeuvre cet accord », a résumé l’analyste russe pro-Kremlin Evgueni Mintchenko.

« Dans la situation actuelle, la paix est impossible », a-t-il ajouté.

Equilibre très fragile

Né après 16 heures de discussions inédites entre les présidents russe Vladimir Poutine, ukrainien Petro Porochenko, français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel, le texte « réduit la probabilité de livraisons d’armes américaines et d’autres paysoccidentaux à l’Ukraine », une option largement évoquée depuis la semaine dernière, selon la banque d’investissement allemandeBerenberg.

Il évite surtout à court terme à la Russie un durcissement des sanctions occidentales.

Moscou « cherchait à tout prix à éviter l’extension des sanctions et c’est fait », estime ainsi le politologue russe indépendant Nikolaï Petrov, de l’Ecole supérieure de l’Economie de Moscou.

« La Russie veut garder le statu quo, afin de pouvoir souffler sur les braises du conflit et l’utiliser comme un puissant levier pour faire pression sur Kiev », qui a fait de sa priorité l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, poursuit M. Petrov.

« L’équilibre est très fragile et l’évolution dépend de ce qui arrivera en premier: une crise économique et politique d’envergure en Ukraine ou l’affaiblissement de la Russie dû aux sanctions », résumé l’analyste.

Nouvelle offensive au printemps?

Le document « a un caractère technique prévoyant un cessez-le-feu, un retrait des armes lourdes et l’échange de prisonniers », renchérit Volodimir Gorbatch, expert ukrainien à l’Institut de la coopération euratlantique.

« Mais le règlement politique du conflit ukraino-russe n’est pas en vue car ni la Russie, ni les rebelles n’y sont intéressés », ajoute-t-il.

Selon lui, le seul résultat positif du sommet de Minsk est « la création d’une coalition anti-Poutine » entre M. Porochenko, Mme Merkel et M. Hollande, que les télévisions montraient marcher ensemble dans le Palais de l’Indépendance de Minsk, suivis du maître du Kremlin et de ses conseillers.

Par ailleurs, pour l’expert militaire indépendant russe Pavel Felgenhauer, si « la trêve était inévitable », « le dégel rendant difficile les hostilités dans les champs », l’offensive a toutes les chances de reprendre d’ici l’été.

« L’offensive rebelle a eu des succès limités en un mois. Une poussée supplémentaire des séparatistes n’était pas possible sans une intervention importante de la Russie et l’utilisation de l’aviation », explique-t-il.

« Tout s’arrêtera d’ici la fin du printemps ou le début de l’été, puis reprendra avec plus d’ampleur. Le but de la Russie est le changement de régime à Kiev pour garder l’Ukraine dans son orbite », prédit-il.

 

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