Recomposition d’Israël : la greffe de Madagascar

Certains des juifs par choix de Madagascar voient la pratique du judaïsme comme un retour à leurs racines et un renversement des derniers vestiges du colonialisme. (Crédit : Deborah Josefson)Dans la lointaine Madagascar, une nouvelle communauté choisit d’être juive

Après des années d’études et de correspondance avec des rabbins en Israël, 121 Malgaches se sont convertis au judaïsme, prient dans un hébreu à l’accent séfarade et observent strictement le Shabbat et les fêtes

ANTANANARIVO, Madagascar (JTA) — Une nouvelle communauté juive est officiellement née à Madagascar le mois dernier, quand 121 hommes, femmes et enfants ont effectué une conversion orthodoxe dans la lointaine île de l’océan Indien, plus connue pour ses lémuriens, ses caméléons, ses épaisses forêts tropicales et sa vanille.

Les conversions, qui ont eu lieu pendant une période de dix jours, ont été l’aboutissement d’un processus qui a commencé il y a cinq ou six ans, quand des fidèles de différents mouvements chrétiens messianiques ont été déçus de leurs Eglises et ont commencé à étudier la Torah.

Les conversions ont été facilitées par Koulanou, une organisation new-yorkaise spécialisée dans le soutien aux communautés juives isolées et/ou émergentes, mais ont été initiées par les habitants eux-mêmes.

« A présent que nous avons refondé l’Etat d’Israël, il est temps de refonder le peuple juif, particulièrement en Diaspora », a déclaré Bonita Nathan Sussman, vice-présidente de Koulanou.

Son mari, le rabbin Gerald Sussman de la synagogue Temple Emanuel de Staten Island, dans l’état de New York, a ajouté que « nous sommes dans un processus de reconstitution du peuple juif, qui aurait été bien plus important s’il n’avait pas été exterminé pendant l’Holocauste et n’avait pas perdu des millions de juifs en terres arabes. »

A partir du 9 mai, les membres de la communauté se sont présentés devant un Beit Din, un tribunal rabbinique, réuni pour l’occasion ici, dans la capitale malgache, à l’hôtel Le Pavé. La cour était composée de trois rabbins orthodoxes : le rabbin Oizer Neumann de Brooklyn, le rabbin Achiya Delouya de Montréal et le rabbin Pinchas Klein de Philadelphie. Tous trois appartiennent à un groupe de rabbins qui sert les communautés juives lointaines et soutient la conversion de groupes juifs émergents.

 

Delouya, qui est d’origine marocaine, parlait avec les convertis dans leur deuxième langue officielle, le français, et a également fourni les influences séfarades dont la communauté malgache se sentait proche.

Le processus de conversion comprenait une immersion du corps entier dans une rivière située à 90 minutes de voiture d'Antananarivo, la capitale de Madagascar. (Crédit : Deborah Josefson)

Le processus de conversion était composé de périodes d’études intensives de la Torah, d’entretiens avec le Beit Din et d’immersions du corps entier dans une rivière située à 90 minutes en voiture d’Antananarivo. Une tente privée avait été rapidement érigée à côté de la rivière pour l’occasion, et une atmosphère festive a suivi alors que les hommes, les femmes et les enfants, âgés de 3 à 85 ans, se sont alignés pour prendre le bain rituel.

De plus, les hommes malgaches, qui sont déjà circoncis, ont suivi le rituel de saignée du pénis, ou hatafat dam brit, pour affirmer leur nouvelle foi.

La période de 10 jours s’est terminée avec 12 mariages juifs et un symposium sur les relations israélites de Madagascar, dont l’orateur invité était Tudor Parfitt, un chercheur britannique spécialiste des Tribus perdues d’Israël.

En effet, beaucoup de Malgaches pensent qu’ils sont d’origine juive ou israélite, et que leurs ancêtres étaient des marins des dix Tribus perdues. La croyance du « secret malgache » persiste malgré les preuves montrant que la plupart des Malgaches sont d’origine indonésienne et africaine.

Selon la légende locale, Madagascar est le pays biblique d’Ophir et a joué un rôle crucial en fournissant des matériaux pour la construction du Temple du roi Salomon. Beaucoup pensent aussi que l’Arche d’Alliance et d’autres objets rituels du Temple sont enterrés sur l’île.

Même le prince Ndriana Rabarioelina, descendant de la monarchie Merina de Madagascar, revendique fièrement ses origines juives. Il a déclaré à JTA que jusqu’à 80 % des Malgaches pouvaient avoir des racines juives. Il affirme que des morceaux des tablettes et du bâton de Moïse et une copie du Livre de Daniel sont préservés par des descendants des Lévites dans la région de Vatamasina-Vohipeno de Madagascar.

De plus, plusieurs tombes Merina, dont celles de sa famille, portent des symboles ou des lettres hébraïques, a-t-il déclaré.

Néanmoins, les preuves d’une présence judaïque historique à Madagascar sont faibles, et les signes retrouvés dateraient du 7e siècle, quand des marchands des pays arabes naviguaient vers l’île, ou des années 1500, quand des conversos ont pu se trouver parmi les navigateurs portugais qui ont établi des comptoirs commerciaux.

 

Madagascar, pays peuplé de 20 millions d’habitants, est inondée de missionnaires. Quelques 50 % de la population pratiquent une forme de christianisme, et la plupart de l’autre moitié pratiquent une foi animiste indigène dans laquelle le culte des ancêtres est fondamental. Environ 7 % de la population est musulmane.

Même si beaucoup de Malgaches ont été attirés par le judaïsme par l’étude de l’Ancien Testament et un effort sincère pour se rapprocher de Dieu, certains voient la pratique du judaïsme comme un retour à leurs racines et un renversement des derniers vestiges du colonialisme.

« J’ai été une victime des colonisateurs, comme vous le savez nous avons eu les Français ici, puis les communistes, puis les socialistes… alors je n’avais plus de racines », a déclaré Mija Rasolo, un acteur qui a sa propre émission de télévision sur Madagascar TV et a pris le nom hébraïque de David Mazal.

« Alors je me suis dit que pour l’instant je vais être juif, parce que cela marche pour moi. J’ai trouvé le judaïsme. J’ai trouvé mes racines, baruch HaShem… Am Israël Chai » – que vive le peuple d’Israël.

Quand les habitants d’Antananarivo ont commencé à explorer le judaïsme, trois dirigeants ont émergé pour guider la communauté naissante : Andrianarisao Asarery, connu comme Ashrey Dayves, André Jacques Rabisisoa, connu comme Peteola, et Ferdinand Jean Andriatovomanana, connu comme Touvya.

Ashrey est un ancien pasteur et chanteur dynamique qui travaille comme chef pâtissier le jour et est connu dans tout Madagascar pour son émission de cuisine à la télévision. Son père est aussi un célèbre chanteur malgache. Il favorise une version plus libérale et accueillante du judaïsme, mène une congrégation de 25 personnes, et conduit des émissions de radio sur des sujets juifs et les pratiques religieuses.

Peteola, programmeur informatique, dirige des leçons d’hébreu et des émissions de radio religieuses. Il mène un groupe d’une trentaine de personnes et favorise une approche mystique et kabbaliste du judaïsme. Il enseigne les concepts de la Torah avec la Gematria, dans lequel le sens est dérivé des valeurs numériques des lettres hébraïques.

Touvya, chantre autodidacte, prie avec dévotion et porte des péot, les traditionnelles mèches encadrant le visage mentionnée dans le Lévitique. Il mène une congrégation de 40 personnes observant strictement la Torah.

Tous trois ont installé des synagogues de fortune dans leurs salons, et certains services religieux sont également tenus dans un espace fourni par l’Institut de la langue anglaise. Les services ont généralement lieu dans la maison de Touvya, qui est assez grande pour accueillir la plupart des membres de la communauté. Y accéder peut parfois être problématique parce que tout le monde ne vit pas à une distance raisonnable de la maison. La plupart des Malgaches n’ont pas de voiture et comptent sur leurs pieds ou le taxi brousse pour se déplacer.

A la fin de la période de conversion, des mariages juifs ont été célébrés à Madagascar. (Crédit : Deborah Josefson)

Les inévitables différences entre congrégations ont également émergé.

L’avancée vers la conversion a été menée par Ashrey, qui est le président de la communauté juive de Madagascar, également connue sous le nom de Madagascar Séfarade. Ashrey pensait que les conversions apporteraient une légitimité au groupe ainsi que des liens plus forts avec la communauté juive mondiale.

Touvya et Petoula ont d’abord été réticents à accepter les conversions. Touvya en particulier pensait que la conversion était inutile parce qu’il pensait qu’il était déjà juif, et ne voulait pas ou n’avait pas besoin de la validation d’un étranger pour le confirmer.

Les membres de la communauté s’habillent avec pudeur et s’efforcent de manger casher dans un pays n’ayant pas les infrastructures pour le faire. Sans boucher casher, la plupart d’entre eux ne mangent que de la viande, des produits laitiers et des légumes.

Beaucoup observent la pratique de niddah, évitant d’avoir des relations conjugales ou même de se toucher pendant qu’une femme a ses règles.

Seulement 30 personnes avaient prévu de se convertir quand Koulanou est arrivé sur place le mois dernier, mais le nombre est finalement monté à 121 quand les membres de la famille et la congrégation de Touvya les ont rejoints. Kulanu estime qu’au moins 100 convertis potentiels de plus vivent dans la communauté.

Ironiquement, les conversions se sont produites autour du 76e anniversaire du plan Madagascar. Lancé par l’Allemagne nazie le 3 juin 1941, il était conçu comme une méthode alternative pour achever la solution finale en déportant la communauté juive européenne vers Madagascar, contrôlée à l’époque par le gouvernement français de Vichy. Il était attendu que la plupart d’entre eux meurent en chemin, succombent à des maladies ou soient massacrés sans contrôle international. Le plan n’a jamais été mis en place.

A la place, des décennies après la mort de six millions de juifs européens pendant l’Holocauste, une poche de la nation africaine est devenue un lieu de renaissance juive.

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