Jésus : quelques reflexions juives intéressantes…

La grotte n° 4 dans laquelle furent retrouvés de nombreux manuscrits dits « de la mer Morte »‟Vous voulez connaître l’apport des auteurs juifs qui se sont mêlés du Nouveau Testament ? Ils ont tous quelque chose en commun, c’est qu’ils sont plus proches des racines, et qu’ils ont conscience que la Bible et le Nouveau Testament ont été kidnappés par les cultures hellénistique et latine.”   André Chouraqui

Ces notes ont été griffonnées en des lieux divers au cours de la lecture de ‟Jésus rendu aux siens”, sous-titré ‟Enquête en Terre sainte sur une énigme de vingt siècles” de Salomon Malka. Exergue au livre de Salomon Malka que je vais présenter : Jésus était un rabbin parmi les rabbins (dixit le père de l’auteur).

Les rouleaux de Qumran ont permis des avancées considérables dans divers domaines ; ils ont notamment permis une meilleure connaissance des Esséniens qui, comme les Chrétiens, se sont détachés du courant central du judaïsme. On ne peut raisonnablement affirmer que les Chrétiens procèdent des Esséniens ; on peut simplement relever un certain nombre de parallélismes entre les uns et les autres. Mais qu’a donc permis la découverte de ces manuscrits ? Tout d’abord de réduire la distance entre Jésus et Paul, Paul supposé avoir commis un ‟rapt” sur le christianisme. Ces manuscrits ont montré que l’on pouvait trouver en Israël, en hébreu, et avant la période de Jésus, des tendances proches de celles des Juifs de la diaspora (à laquelle appartenait Paul), notamment chez les Juifs d’Alexandrie, imprégnés de culture grecque.

Ce n’est qu’une supposition mais certains chercheurs (parmi lesquels Emil Puech) pensent que nombre d’Esséniens se sont convertis au christianisme. Quoi qu’il en soit, il y a des points communs entre les manuscrits de Qumran et les Évangiles : 1 – Le dualisme Bien/Mal ; 2 – La notion de ‟nouvelle alliance” ; 3 – L’importance du baptême (il rachète les péchés et conduit à une nouvelle naissance) ; 4 – La séparation de la chair et de l’esprit.  Yigael Yadin (1917-1984) a été l’un des premiers chercheurs à tenter de débusquer des marques esséniennes dans le Nouveau Testament, notamment à partir du Rouleau du Temple, la ‟Torah des Esséniens”. Il en conclut que les ressemblances entre la doctrine chrétienne et la doctrine essénienne sont très parcellaires, qu’elles ne proviennent ni de Jésus ni de Jean-Baptiste et que l’on a affaire à de simples phénomènes d’imprégnation.

‟Jésus le nazaréen, son temps, sa vie, sa doctrine” de Joseph Klausner est le premier livre du genre écrit en hébreu (ainsi que le précise son auteur), un livre qui ne prétend ni attirer les Juifs à la religion chrétienne ni les en dégoûter. La nouveauté de ce livre tient à ce que l’auteur replace Jésus dans la Palestine de l’époque du second Temple, une période dont il est un spécialiste, une Palestine où la violence était continuelle, de la guerre fratricide entre Hyrkan et Aristobule à la fin des règnes de Ponce Pilate et d’Hérode Antipas. Joseph Klausner évalue à plus de 200 000 le nombre des victimes juives de toutes ces violences, un nombre considérable. Il relève par ailleurs les nuances qui distinguent Jésus des Pharisiens qui n’en considèrent pas moins Jésus comme l’un des leurs. En conséquence, Joseph Klausner estime que les Pharisiens ne peuvent pas avoir prononcé un verdict de mort contre Jésus et qu’il faut aller chercher les coupables du côté des Sadducéens. Il précise : ‟Les Juifs comme nation sont coupables beaucoup moins de la mort de Jésus que les Grecs ne le sont de la mort de Socrate. Qui aurait pourtant l’idée de réclamer le sang de Socrate le Grec aux enfants de son peuple et de sa terre ?”

Au début de son étude, il remarque que le fait que le judaïsme ait engendré le christianisme montre que le christianisme a une forte ressemblance avec le judaïsme ;  La rupture avec le judaïsme n’est en aucun cas le fait de Jésus mais de Saul de Tarse, Paul. Dans son second écrit, Joseph Klausner développe une thèse qu’il n’avait fait qu’esquisser dans son premier livre : sans Jésus, il n’y aurait pas eu Paul, Paul qui a tout de même trouvé une assise dans certains propos de Jésus. C’est Paul, Juif de la diaspora, qui va faire du christianisme une religion conquérante et mondiale.

“Quand j’étais jeune, j’ai été fasciné un moment par le christianisme. J’ai voulu en comprendre le comment et le pourquoi. J’ai lu les livres. Aujourd’hui, je ne suis pas loin de faire mienne la phrase de Leibovitz : tout messie qui est déjà venu est déjà, pour nous, un faux messie. Je ne me lasse pas non plus de méditer sur ce paradoxe de l’histoire chrétienne qui consiste à avoir divinisé un Juif mort tout en diabolisant pendant des siècles des Juifs vivants.”   Moshé Bar-Acher

David FlusserDavid Flusser a publié une biographie de Jésus et plusieurs ouvrages sur les sources juives du christianisme. Quelle est l’essence du christianisme, se demande David Flusser ? La croyance en la résurrection de Jésus, croyance censée assurer le Salut.

David Flusser (1917-2000)

https://www.youtube.com/watch?v=h_l-5kTXgvc

David Flusser insiste : c’est une cinquantaine d’années après la mort de Jésus que s’est élaboré le rejet de Jésus par les Juifs. Dans la polémique contre le christianisme qui se développe à la fin du Ier siècle, il n’est rien dit contre Jésus. David Flusser estime que cette invention du rejet de Jésus par les Juifs est une tragédie. Ce mouvement (qui allait devenir le christianisme) aurait pu devenir un courant parmi d’autres au sein du judaïsme, comme le hassidisme par exemple.  Éclairer les Évangiles à partir de la littérature rabbinique, tel est l’apport essentiel de David Flusser ; par exemple, il compare les paraboles de Jésus et les paraboles rabbiniques, dans leur contenu mais plus encore dans leur structure formelle. David Flusser estime que ce genre littéraire, la parabole, est né pendant la période du second Temple. On n’en trouve trace que dans les textes rabbiniques et chez Jésus, jamais dans les rouleaux de Qumran ou dans les livres dits apocryphes. Le fait que Jésus recourt volontiers à ce genre littéraire renforce l’hypothèse selon laquelle l’éducation juive de Jésus était rabbinique et qu’il était donc proche des Pharisiens. Jésus les critique à l’occasion, et d’une manière parfois virulente, mais ce sont toujours des critiques de l’intérieur, nourries de l’ahavat Israel (l’amour d’Israël). Jésus n’a pas voulu fonder une nouvelle religion, en aucun cas, et son Dieu est celui d’Israël. Il a vécu toute sa vie sous le signe de la halakha. Salomon Malka écrit : ‟Pour des raisons historiques qui tiennent à l’évolution postérieure du christianisme, la critique profonde qu’il (Jésus) portait à l’intérieur du judaïsme s’est transformée en un rejet de l’essence même du judaïsme.”

‟Au bout du compte, on n’a jamais considéré dans le Talmud que c’était là un événement (il s’agit de Jésus) important. C’est un peu comme si vous connaissiez quelqu’un de votre entourage que vous voyez vivre tous les jours et dont vous découvrez soudain qu’il fait les gros titres des journaux. Il faut bien dire que la plupart des choses qui ont pu faire impression dans le discours de Jésus n’étaient pas neuves pour les Juifs. Il y a très peu d’idées qui figurent dans les Évangiles et qui ne figuraient pas dans les textes juifs. Même le « Tu aimeras ton ennemi » de Matthieu, vous le retrouvez dans les Proverbes… J’ai toujours dit que la bonne nouvelle des Évangiles n’a pas laissé d’empreinte sur les Juifs pour la bonne raison qu’il n’y avait là rien d’inconnu pour eux.”  Adin Steinsaltz

Une vue panoramique de QumranLe Talmud, cet océan, ne fait que huit fois allusion à Jésus qui est présenté de manière contradictoire, de l’éloge à la satire. A aucun moment on ne trouve l’expression d’une haine ou d’une quelconque hostilité. Ce n’est qu’au IIe siècle que les rabbins haussent le ton afin de répondre aux attaques antijudaïques des Pères de l’Église.

Dans une conférence donnée à des cercles d’étudiants juifs à Prague et intitulée ‟Le Renouveau du judaïsme” (il s’agit de la dernière conférence d’un cycle de trois conférences données en 1909, 1910 et 1911), Martin Buber déclare : ‟Ne pourrions-nous pas dire à ceux qui nous proposent aujourd’hui un rapprochement avec le christianisme : ce qui au sein du christianisme est créateur n’est pas le christianisme mais le judaïsme ?”, une belle proposition à laquelle j’acquiesce et que je me fais depuis bien des années.  Et Martin Buber dans un livre fondamental, ‟Deux types de foi”, écrit que la foi du judaïsme et la foi du christianisme, essentiellement différentes, se retrouveront quand la race humaine ne sera plus exilée dans des ‟religions” mais rassemblée dans le Royaume de Dieu. »

Salomon Malka rapporte en fin d’ouvrage, une interview réalisée au domicile de David Ben Gourion. Interrogé sur les relations entre le judaïsme et le christianisme, David Ben Gourion déclare : ‟En ce qui concerne Jésus, il figure sur la même ligne que les Prophètes d’Israël. Vous n’avez rien dans sa doctrine qui ne soit conforme à la Torah d’Israël, en dehors d’une ou deux choses. Ce sont ses disciples qui ont faussé sa doctrine. L’idée d’incarnation divine est tout entière étrangère au judaïsme. Dieu n’a pas d’image corporelle. Il ne peut pas avoir un enfant de chair et de sang. C’est vrai, Jésus s’est décrit comme un fils de Dieu, mais il entendait donner à cette expression le sens qu’on lui donnait dans l’antique tradition juive selon laquelle tout homme est fils de Dieu. Notre vraie querelle est avec Paul. C’est lui qui a provoqué les premiers dégâts. Et savez-vous pourquoi ? Il a été le premier Juif assimilé.”

NdlR : justes quelques réflexions intéressantes de juifs sur la chrétienté… que chacun soit libre de les critiquer ou d’y adhérer.

Et Jésus ? – 1/3

 

‟Vous voulez connaître l’apport des auteurs juifs qui se sont mêlés du Nouveau Testament ? Ils ont tous quelque chose en commun, c’est qu’ils sont plus proches des racines, et qu’ils ont conscience que la Bible et le Nouveau Testament ont été kidnappés par les cultures hellénistique et latine.” 

André Chouraqui

 

Ces notes ont été griffonnées en des lieux divers au cours de la lecture de ‟Jésus rendu aux siens”, sous-titré ‟Enquête en Terre sainte sur une énigme de vingt siècles” de Salomon Malka. Ci-joint, un lien où l’auteur présente son livre dans la magnifique librairie La Procure, à Paris (durée 54 mn) :

http://www.dailymotion.com/video/xqqaoe_salomon-malka-jesus-rendu-aux-siens-jeudi-03-05-12_news

Et, ci-joint, la table des matières d’une passionnante étude de Dan Jaffé dont je recommande la lecture, ‟Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle” :

http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/fichetm.asp?n_liv_cerf=8535

 

   Salomon Malka Salomon Malka

 

Exergue au livre de Salomon Malka que je vais présenter : Jésus était un rabbin parmi les rabbins (dixit le père de l’auteur).

Les rouleaux de Qumran ont permis des avancées considérables dans divers domaines ; ils ont notamment permis une meilleure connaissance des Esséniens qui, comme les Chrétiens, se sont détachés du courant central du judaïsme. On ne peut raisonnablement affirmer que les Chrétiens procèdent des Esséniens ; on peut simplement relever un certain nombre de parallélismes entre les uns et les autres. Les Esséniens ne pourraient-ils pas être envisagés quelque part entre le courant central du judaïsme et les premiers Chrétiens ? Différence majeure entre Chrétiens et Esséniens : pour les premiers, le Messie est venu ; pour les seconds, l’attente se poursuit.

Comment envisager le ‟peuple de Qumran”, les Esséniens ? Pour Shemaryahou Talmon, les Esséniens se voyaient comme la première génération après la destruction du premier Temple, génération avec laquelle Dieu avait contracté une nouvelle alliance, l’ancienne ayant été détruite avec le premier Temple. Shemaryahou Talmon estime que les Esséniens constituaient un groupe important dispersé sur un vaste territoire et en situation d’hostilité permanente avec le courant proto-pharisien, courant qui s’était structuré au Ier siècle après J.-C. Toujours selon ce professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, la principale découverte que nous livrent les rouleaux de Qumran est le caractère pluraliste du judaïsme avant la destruction du second Temple, un caractère déjà connu mais qui après cette découverte apparaît encore plus marqué.

Y a-t-il un lien entre les Esséniens et le christianisme naissant ? Pour Géza Vermès, le lien direct est très limité. Il concerne non pas le message de Jésus mais plutôt l’organisation de l’Église primitive, avec des ressemblances entre ces deux communautés : par exemple, la hiérarchie, avec un chef unique (contrairement à la tradition juive selon laquelle les communautés doivent être régies par un conseil) ; à cette ressemblance s’en ajoute une autre : l’idée de communauté de biens. Mais d’une manière générale, Géza Vermès ne voit pas de rapport entre Jésus et les Esséniens.

Une évidence qui resta (trop) longtemps peu évidente : Jésus était juif, Jésus n’était pas chrétien. Mieux, Jésus n’a pas fondé le christianisme. Mais alors, qui l’a fondé ? Saint Paul en fut le vecteur de propagation chez les Gentils. Saint Paul n’était guère populaire chez les Juifs chrétiens qui appartenaient à un courant spécifique du judaïsme. Pour le reste, disons que le christianisme s’est fondé de lui-même, loin de la religion de Jésus.

La découverte des manuscrits de Qumran a permis aux Juifs de comprendre combien le judaïsme était animé de courants divers : on était bien membre d’un même peuple sans s’apprécier nécessairement ; mais après la destruction du Temple et la réorganisation du judaïsme, les voix distinctes du courant principal étaient plus difficilement tolérées, ce qu’a parfaitement montré Simon Claude Mimouni dans son étude, ‟Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité”, un livre que j’ai présenté sur ce blog même.

Zvi Werblowski a longtemps dirigé le département d’histoire des religions à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il pense que Jésus n’a jamais été un essénien, de près ou de loin. Selon lui, les documents découverts à Qumran évoquent non pas des polémiques contre les Pharisiens mais contre les Esséniens. Et je rejoins Zvi Werblowski : l’Église s’est employée à dénoncer les Pharisiens par la bouche d’un supposé Jésus, alors que le vrai Jésus était proche d’eux par sa spiritualité. Zvi Werblowski évoque un point trop souvent négligé et qui ouvre de profondes perspectives, à savoir que la création de l’État d’Israël a grandement influé sur le regard juif. Les seuls mots de ‟Jésus” ou de ‟Christ” leur évoquaient, et à raison, des tourments sans nom, parmi lesquels l’Inquisition et les pogroms, sans oublier les Croisades qui virent elles aussi des tueries de Juifs. Aujourd’hui, les Juifs ont un État souverain qui leur offre une certaine sécurité et leur permet d’avoir un regard moins anxieux sur le christianisme. Le livre de Joseph Klausner est de ce point de vue symptomatique. Ci-joint, un lien : ‟Joseph Klausner’s Jesus of Nazareth (1922): A Modern Jewish Study of the Founding Figure of Christianity”. Ce lien contient notamment une riche bibliographie qui rend compte de regards juifs sur Jésus :

http://www.jnjr.div.ed.ac.uk/Primary%20Sources/modern/langton_josephklausnersjesus.html

Des Juifs se sont mis à considérer que l’histoire du christianisme des débuts leur permettrait d’enrichir leur propre histoire au cours de la période du second Temple.

Ce n’est qu’une supposition mais certains chercheurs (parmi lesquels Emil Puech) pensent que nombre d’Esséniens se sont convertis au christianisme. Quoi qu’il en soit, il y a des points communs entre les manuscrits de Qumran et les Évangiles : 1 – Le dualisme Bien/Mal ; 2 – La notion de ‟nouvelle alliance” ; 3 – L’importance du baptême (il rachète les péchés et conduit à une nouvelle naissance) ; 4 – La séparation de la chair et de l’esprit.

Yigael Yadin (1917-1984) a été l’un des premiers chercheurs à tenter de débusquer des marques esséniennes dans le Nouveau Testament, notamment à partir du Rouleau du Temple, la ‟Torah des Esséniens”. Il en conclut que les ressemblances entre la doctrine chrétienne et la doctrine essénienne sont très parcellaires, qu’elles ne proviennent ni de Jésus ni de Jean-Baptiste et que l’on a affaire à de simples phénomènes d’imprégnation. Ci-joint, une notice biographique sur cet universitaire israélien :

https://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/yadin.html

Le judaïsme se sépare des autres religions en ce qu’il rattache conscience morale et religieuse à un idéal abstrait qui ne s’incarne dans aucune figure humaine. Ahad Ha’am (Asher Ginsberg) reconnaît que cet idéal abstrait a empêché le judaïsme comme tel de se propager dans le monde. Ci-joint, deux notices biographiques concernant Ahad Ha’am, une grande figure du sionisme :

https://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/ahad_haam.html

http://www.akadem.org/medias/documents/3-ahad-haam.pdf

Les prophètes d’Israël sont ‟transparents” par rapport à la Parole, en retrait, tandis que Jésus proclame : ‟Et moi je dis que…”, une raison parmi d’autres pour tenir le judaïsme et le christianisme à bonne distance l’un de l’autre malgré leur lien de parenté prononcé. Autre différence, les rapports entre la morale et la justice. Les Évangiles disent : ‟Heureux les pauvres car le royaume des cieux est à eux” ; et la Torah rectifie : ‟Tu ne privilégieras pas le pauvre dans sa querelle” ; autrement dit, l’instinct du cœur peut conduire à un jugement inique.

‟Jésus le nazaréen, son temps, sa vie, sa doctrine” de Joseph Klausner est le premier livre du genre écrit en hébreu (ainsi que le précise son auteur), un livre qui ne prétend ni attirer les Juifs à la religion chrétienne ni les en dégoûter. La nouveauté de ce livre tient à ce que l’auteur replace Jésus dans la Palestine de l’époque du second Temple, une période dont il est un spécialiste, une Palestine où la violence était continuelle, de la guerre fratricide entre Hyrkan et Aristobule à la fin des règnes de Ponce Pilate et d’Hérode Antipas. Joseph Klausner évalue à plus de 200 000 le nombre des victimes juives de toutes ces violences, un nombre considérable. Il relève par ailleurs les nuances qui distinguent Jésus des Pharisiens qui n’en considèrent pas moins Jésus comme l’un des leurs. En conséquence, Joseph Klausner estime que les Pharisiens ne peuvent pas avoir prononcé un verdict de mort contre Jésus et qu’il faut aller chercher les coupables du côté des Sadducéens. Il précise : ‟Les Juifs comme nation sont coupables beaucoup moins de la mort de Jésus que les Grecs ne le sont de la mort de Socrate. Qui aurait pourtant l’idée de réclamer le sang de Socrate le Grec aux enfants de son peuple et de sa terre ?”

 

Olivier Ypsilantis

 

Et Jésus ? – 2/3

“Quand j’étais jeune, j’ai été fasciné un moment par le christianisme. J’ai voulu en comprendre le comment et le pourquoi. J’ai lu les livres. Aujourd’hui, je ne suis pas loin de faire mienne la phrase de Leibovitz : tout messie qui est déjà venu est déjà, pour nous, un faux messie. Je ne me lasse pas non plus de méditer sur ce paradoxe de l’histoire chrétienne qui consiste à avoir divinisé un Juif mort tout en diabolisant pendant des siècles des Juifs vivants.” 

Moshé Bar-Acher

 

Joseph Klausner ne cesse d’étudier Jésus en le plaçant dans un faisceau de convergences et de divergences entre judaïsme et christianisme. Au début de son étude, il remarque que le fait que le judaïsme ait engendré le christianisme montre que le christianisme a une forte ressemblance avec le judaïsme ; mais, dans la foulée, il remarque par ailleurs que le fait que le judaïsme ne soit pas devenu le christianisme et n’ait pas cessé de poursuivre sa route propre est la preuve criante qu’en maints aspects le judaïsme ne ressemble pas au christianisme. La rupture avec le judaïsme n’est en aucun cas le fait de Jésus mais de Saul de Tarse, Paul. Dans son second écrit, Joseph Klausner développe une thèse qu’il n’avait fait qu’esquisser dans son premier livre : sans Jésus, il n’y aurait pas eu Paul, Paul qui a tout de même trouvé une assise dans certains propos de Jésus. C’est Paul, Juif de la diaspora, qui va faire du christianisme une religion conquérante et mondiale. L’œuvre de Joseph Klausner est sans antécédent et elle a une nombreuse descendance.

David Flusser a publié une biographie de Jésus et plusieurs ouvrages sur les sources juives du christianisme. Quelle est l’essence du christianisme, se demande David Flusser ? La croyance en la résurrection de Jésus, croyance censée assurer le Salut. C’est ce que dit Paul. Les Juifs croient eux aussi en des faits historiques mais rien dans l’‟histoire sainte” d’Israël n’est de nature à conférer le salut du croyant. Par ailleurs, dans la foi chrétienne, l’acte de volonté est déterminant. Le Juif préfère l’étude. Le savoir en lui-même appartient à une catégorie religieuse qui n’a rien à voir avec le salut de celui qui s’adonne à l’étude.

 

David Flusser

David Flusser (1917-2000)

https://www.youtube.com/watch?v=h_l-5kTXgvc

 

David Flusser insiste : c’est une cinquantaine d’années après la mort de Jésus que s’est élaboré le rejet de Jésus par les Juifs. Dans la polémique contre le christianisme qui se développe à la fin du Ier siècle, il n’est rien dit contre Jésus. David Flusser estime que cette invention du rejet de Jésus par les Juifs est une tragédie. Ce mouvement (qui allait devenir le christianisme) aurait pu devenir un courant parmi d’autres au sein du judaïsme, comme le hassidisme par exemple.

Éclairer les Évangiles à partir de la littérature rabbinique, tel est l’apport essentiel de David Flusser ; par exemple, il compare les paraboles de Jésus et les paraboles rabbiniques, dans leur contenu mais plus encore dans leur structure formelle. David Flusser estime que ce genre littéraire, la parabole, est né pendant la période du second Temple. On n’en trouve trace que dans les textes rabbiniques et chez Jésus, jamais dans les rouleaux de Qumran ou dans les livres dits apocryphes. Le fait que Jésus recourt volontiers à ce genre littéraire renforce l’hypothèse selon laquelle l’éducation juive de Jésus était rabbinique et qu’il était donc proche des Pharisiens. Pour David Flusser, les fondements de la personnalité religieuse de Jésus se trouvent dans le judaïsme rabbinique dont les traditions seront consignées dans le corpus talmudique. Les principaux représentants de ce judaïsme sont, à l’époque de Jésus, les Pharisiens. Jésus les critique à l’occasion, et d’une manière parfois virulente, mais ce sont toujours des critiques de l’intérieur, nourries de l’ahavat Israel (l’amour d’Israël). Jésus n’a pas voulu fonder une nouvelle religion, en aucun cas, et son Dieu est celui d’Israël. Il a vécu toute sa vie sous le signe de la halakha. Salomon Malka écrit : ‟Pour des raisons historiques qui tiennent à l’évolution postérieure du christianisme, la critique profonde qu’il (Jésus) portait à l’intérieur du judaïsme s’est transformée en un rejet de l’essence même du judaïsme.”

David Flusser s’attache à un passage de Luc, son évangéliste préféré : ‟Lorsque vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que sa désolation est proche. Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, que ceux qui seront au milieu de Jérusalem en sortent, et que ceux qui seront dans les champs n’entrent pas dans la ville. Car ce seront des jours de vengeance, pour l’accomplissement de tout ce qui est écrit. Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! Car il y aura une grande détresse dans le pays et de la colère contre ce peuple. Ils tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés captifs parmi les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis” (21, 20-28). Ce schéma de la délivrance est présent dans la tradition juive, au livre du Lévitique où il est question d’une délivrance pour Israël. Or, ce passage ne se trouve pas chez les autres ‟synoptiques”, Marc et Matthieu, qui passent sur l’aspect politique et national de la destruction de Jérusalem, alors qu’avec Luc cette prophétie de Jésus est solidaire du peuple d’Israël. Marc et Matthieu insistent sur le sort de la communauté chrétienne, ‟les élus des quatre vents, de l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel” (Marc 13, 26-27). David Flusser rapproche ce passage de Marc de l’Épître aux Romains de Paul (Romains 11, 25-26). Il n’y est question que de la diffusion du christianisme sur la terre entière et de la délivrance d’Israël mais… par conversion au christianisme. Luc est le seul des évangélistes à montrer Jésus fils d’Israël annonçant au peuple juif sa délivrance sans conversion.

Jérusalem, septembre 1948. Un courrier est adressé au président de la Cour suprême d’Israël, le Dr Moshé Zamora, réclamant l’ouverture du dossier du procès de Jésus en vue d’une révision. Il s’avèrera que l’expéditeur était un Hollandais d’origine britannique, Henri Douba Groskempf. Cette demande va générer un flot de lettres, lettres que va analyser durant vingt ans et à temps complet le gendre du Dr Moshé Zamora, Haïm Cohen, un juriste. Son analyse remet en question tout ce qui s’est dit sur ce procès, à commencer par la ‟pertinence” des témoignages. Les Évangiles ont été rédigés bien après les faits. Celui de Marc, le plus ancien, a été rédigé quarante ans après la mort de Jésus. Par ailleurs, tous les spécialistes s’accordent pour dire que les évangélistes n’étaient pas des chroniqueurs ou des journalistes mais des missionnaires. La communauté chrétienne, encore faible, ne pouvait se permettre d’accuser les Romains. Elle fit donc retomber tout le poids de la faute sur les Juifs. Haïm Cohen répertorie les séquences communes aux quatre Évangiles, soit : 1. Jésus a été arrêté la nuit. 2 . Aussitôt après son arrestation, il est conduit au domicile du Grand Prêtre. 3. Le lendemain matin, il est emmené par les Juifs devant Ponce Pilate. 4. A la question de Pilate : ‟Es-tu le roi des Juifs ?” Jésus répond : ‟C’est toi qui l’a dit”. 5. Pilate livre Jésus pour qu’il soit crucifié. 6. Les hommes de la légion romaine ont crucifié Jésus. 7. Sur la croix, on a gravé une inscription portant ces mots : ‟Jésus de Nazareth, roi des Juifs”. Sur ces sept points, Haïm Cohen formule autant de questions : 1. Qui a procédé à l’arrestation de Jésus ? Les Juifs ? Les Romains ? Ou les deux ensemble ? 2. Pour quelle raison a-t-il été arrêté et sur ordre de qui ? 3. Pourquoi a-t-il été mené au domicile du Grand Prêtre et sur ordre de qui ? 4. Que s’est-il passé au domicile du Grand Prêtre ? Le Sanhédrin a-t-il vraiment tenu une réunion et pour quelle raison ? Jésus a-t-il été interrogé par le Grand Prêtre et, dans ce cas, était-ce en présence du Sanhédrin ou seul à seul ? Des témoins ont-ils été interrogés ? Quel était l’objectif de ces interrogatoires et quelles en ont été les conséquences ? 5. Pourquoi les Juifs (ou des Juifs) ont-ils emmené Jésus devant Pilate ? Eux-mêmes ne disposaient-ils pas de l’autorité judiciaire en matière criminelle ? Ou alors ont-ils préféré laisser l’application de la peine de mort à l’occupant romain ? 6. Que s’est-il passé devant Pilate ? Était-ce un procès selon la loi romaine ou une discussion entre les Juifs et Pilate au terme de laquelle il a été convaincu, non sans difficulté, de mettre Jésus en croix ? 7. Enfin les Juifs (ou des Juifs) avaient-ils intérêt à mettre à mort Jésus ? A-t-il été reconnu coupable en regard de la loi juive d’une faute qui lui aurait valu la peine de mort ? Pilate avait-il intérêt à sauver Jésus ou à le disculper ? Si Jésus a été accusé devant lui d’avoir enfreint la loi romaine, Pilate pouvait-il l’absoudre ? Était-il en droit de le faire ? Le voulait-il ? A partir de ces questions, Haïm Cohen va se livrer à une recherche méthodique. Et j’invite ceux que me lisent à lire ‟Le Procès et la mort de Jésus” de Haïm Cohen, publié en 1968.

Bref, Haïm Cohen ne repousse pas d’emblée l’idée que Jésus ait été arrêté par des Juifs et conduit devant le Grand Prêtre. Haïm Cohen le magistrat passe au crible la loi romaine et la loi juive pour arriver à la conclusion suivante : cette réunion urgente au cours de la nuit de Séder au domicile du Grand Prêtre ne pouvait avoir qu’un objet : sauver Jésus du sort qui l’attendait. Et la seule chance d’y parvenir était d’agir cette nuit-là, le calendrier du procès étant entre les mains du gouverneur romain — le procès de Jésus était fixé pour le lendemain matin. Mais lisez ce livre de Haïm Cohen ! Haïm Cohen ne prête pas pour autant de nobles intentions au Grand Prêtre et au Sanhédrin. Il pense que tous ont agi pour des motifs politiques. Le Grand Prêtre et le Sanhédrin voyaient leur autorité de plus en plus affaiblie par Hérode. Défendre Jésus était un moyen de se concilier le peuple (juif), un peuple qui haïssait les Romains et Hérode leur collaborateur. Certes, le Sanhédrin pouvait être irrité par la popularité de Jésus, mais il préférait ne pas provoquer le peuple. Par ailleurs, livrer Jésus aux Romains n’était-ce pas pour le Sanhédrin un aveu d’impuissance à faire régner l’ordre chez eux ? Haïm Cohen arrive à cette conclusion : l’attitude la plus raisonnable pour le Grand Prêtre et le Sanhédrin était de tenter d’éviter le procès de Jésus impliquant les Romains ; et pour ce faire, il leur fallait raisonner Jésus. La gravité et l’urgence de cette affaire expliquent que les Juifs se soient détournés des occupations que supposent la préparation du Séder de Pessa’h. Haïm Cohen s’efforce de reconstituer ce qui a pu se dire — ou ne pas se dire — au cours de cette nuit chez le Grand Prêtre. Cette enquête est l’une des plus passionnantes de toute l’Histoire quand on sait ce que l’accusation de déicide a coûté et coûte encore au peuple juif — par des voies détournées.

 

SUPREME COURT JUSTICE DR. HAIM COHEN. פורטרט, שופט בית המשפט העליון ד"ר חיים כהן.

Haïm Cohen (1911-2002)

 

 Olivier Ypsilantis

Et Jésus ? – 3/3

 

‟Au bout du compte, on n’a jamais considéré dans le Talmud que c’était là un événement (il s’agit de Jésus) important. C’est un peu comme si vous connaissiez quelqu’un de votre entourage que vous voyez vivre tous les jours et dont vous découvrez soudain qu’il fait les gros titres des journaux. Il faut bien dire que la plupart des choses qui ont pu faire impression dans le discours de Jésus n’étaient pas neuves pour les Juifs. Il y a très peu d’idées qui figurent dans les Évangiles et qui ne figuraient pas dans les textes juifs. Même le « Tu aimeras ton ennemi » de Matthieu, vous le retrouvez dans les Proverbes… J’ai toujours dit que la bonne nouvelle des Évangiles n’a pas laissé d’empreinte sur les Juifs pour la bonne raison qu’il n’y avait là rien d’inconnu pour eux.” 

Adin Steinsaltz

 

QumranLa grotte n° 4 dans laquelle furent retrouvés de nombreux manuscrits dits « de la mer Morte »

 

Pour Daniel Schwartz, Joseph Klausmer est un phénomène historique, un grand nom de l’Université et un grand sioniste. Il était un précurseur et ses travaux ont suscité de l’hostilité tant de la part de Chrétiens que de Juifs. Aujourd’hui, certaines tensions (toujours sous-jacentes) se sont néanmoins apaisées. Le principal reproche que Daniel Schwartz adresse à Joseph Klausner touche à sa méthode d’investigation. Il juge par ailleurs qu’il lui a manqué des pièces essentielles, livrées par la découverte des manuscrits de la mer Morte, une découverte qui rendit plus ou moins obsolète tout ce qui la précédait. Par ailleurs, Joseph Klausner est volontiers considéré comme un touche-à-tout, extraordinairement doué, captivant, mais un touche-à-tout. Daniel Schwartz écrit : ‟Et comme la recherche sur le christianisme est un domaine professionnel qui couvre une matière très vaste et constamment renouvelée, on ne peut pas se fier à des dilettantes.”

Mais qu’a donc permis la découverte de ces manuscrits ? Tout d’abord de réduire la distance entre Jésus et Paul, Paul supposé avoir commis un ‟rapt” sur le christianisme. Ces manuscrits ont montré que l’on pouvait trouver en Israël, en hébreu, et avant la période de Jésus, des tendances proches de celles des Juifs de la diaspora (à laquelle appartenait Paul), notamment chez les Juifs d’Alexandrie, imprégnés de culture grecque.

Suite à ses recherches sur les rouleaux de la mer Morte, Daniel Schwartz accorde une place de première importance à Jean-Baptiste, dont Jésus fut un disciple avant de se faire plus politique. Il va reconsidérer Jésus non pas d’un point de vue national mais individuel et universel. ‟Le champ national n’a pas marché, alors le coup de génie des premiers chrétiens consiste à réinvestir l’enseignement de Jésus dans un champ à la fois personnel et plus universel.” Daniel Schwartz tend à rattacher Jean-Baptiste aux Esséniens et Jésus aux Zélotes, ‟des gens qui agissaient contre le pouvoir romain à partir de motivations religieuses et nationales, sans faire tellement la différence.”

Le Talmud, cet océan, ne fait que huit fois allusion à Jésus qui est présenté de manière contradictoire, de l’éloge à la satire. A aucun moment on ne trouve l’expression d’une haine ou d’une quelconque hostilité. Ce n’est qu’au IIe siècle que les rabbins haussent le ton afin de répondre aux attaques antijudaïques des Pères de l’Église.

Jésus, un hassid ? Shmuel Safraï a pris appui sur le contexte talmudique pour faire un portrait inédit de Jésus. Critiquant l’approche de Joseph Klausner qu’il juge trop politique et pas assez enracinée dans les textes, il dit se sentir plus proche de David Flusser qui, comme lui, considère que Jésus appartenait au monde des rabbins (des Pharisiens) par la naissance, l’éducation et sa connaissance de la Torah.

Mais le monde pharisien n’est pas homogène. Depuis le Ier siècle avant J.-C., il existe à l’intérieur de la mouvance pharisien un courant dit hassidique, ancêtre du mouvement de  même nom du XVIIIe siècle mais sensiblement différent. Le courant hassidique se distingue des Pharisiens par leur interprétation de certains points de halakha et par leur mode de vie. Shmuel Safraï prend appui sur les indices suivants pour défendre la thèse selon laquelle Jésus aurait été un hassid : 1. Les rares références talmudiques aux hassidim sont généralement localisées en Galilée. 2. L’expression ‟père”, fréquente dans les Évangiles pour évoquer Dieu, n’est pas absente de la littérature talmudique, des prières et de la Bible ; toutefois, elle n’est explicite que chez les hassidim, sous une forme intime et directe. 3. Les récits qui ont trait aux hassidim parlent de guérison des malades, de chasse aux mauvais esprits, d’action sur les éléments de la nature… Concernant les malades, c’est toujours à la demande de la famille des éprouvés que les hassidim exercent leurs talents de guérisseur. 4. Les hassidim célèbrent la pauvreté comme une vertu, comme une voie d’accès au monde à venir. 5. L’étude de la Torah est centrale dans l’enseignement pharisien tandis qu’elle est absente des paroles de Jésus qui témoignent pourtant d’une connaissance approfondie en la matière. Mais le hassidisme donne la préférence à l’action, contrairement aux Pharisiens qui prônent un équilibre entre l’action et l’étude. 6. La tradition juive (y compris celle du Talmud) prescrit qu’il ne faut pas se fier aux miracles. Tel n’est pas le cas pour le Jésus des Évangiles et les hassidism des écrits talmudiques. Jésus hassid n’est qu’une hypothèse. Shmuel Safraï se contente de prendre note de ressemblances. Il a une profonde sympathie pour Jésus, un homme habité par l’amour d’Israël, un maître parmi d’autres maîtres juifs. Dommage qu’il ait été récupéré par des non-Juifs…

 

Qumran, vue panoramiqueUne vue panoramique de Qumran

 

Dans une conférence donnée à des cercles d’étudiants juifs à Prague et intitulée ‟Le Renouveau du judaïsme” (il s’agit de la dernière conférence d’un cycle de trois conférences données en 1909, 1910 et 1911), Martin Buber déclare : ‟Ne pourrions-nous pas dire à ceux qui nous proposent aujourd’hui un rapprochement avec le christianisme : ce qui au sein du christianisme est créateur n’est pas le christianisme mais le judaïsme ?”, une belle proposition à laquelle j’acquiesce et que je me fais depuis bien des années. Martin Buber remet en question l’idée de Rédemption réalisée. La Rédemption n’est pas réalisée, elle sera réalisée. Sa réalisation bouche en quelque sorte l’horizon et ôte au temps son dynamisme, le ferme sur lui-même. Il déclare dans ‟Écoute Israël” : ‟Telle est notre foi, la foi d’Israël : la Rédemption du monde est l’accomplissement de la Création. Celui qui voit en Jésus le messie qui a accompli l’histoire, celui qui l’élève à une place si haute, cesse d’être l’un de nous et s’il prétend contester notre foi en la Rédemption, alors nos chemins se séparent”. Et Martin Buber dans un livre fondamental, ‟Deux types de foi”, écrit que la foi du judaïsme et la foi du christianisme, essentiellement différentes, se retrouveront quand la race humaine ne sera plus exilée dans des ‟religions” mais rassemblée dans le Royaume de Dieu.

Emmanuel Lévinas a beaucoup réfléchi sur le christianisme et sur les relations entre le judaïsme et le christianisme. Il n’a cessé de nuancer ses positions avec une immense délicatesse. Mais il est un point sur lequel il n’a jamais varié, le refus de l’Incarnation et autres aspects du christianisme à jamais étrangers au judaïsme.

Salomon Malka rapporte en fin d’ouvrage, une interview réalisée au domicile de David Ben Gourion. Interrogé sur les relations entre le judaïsme et le christianisme, David Ben Gourion déclare : ‟En ce qui concerne Jésus, il figure sur la même ligne que les Prophètes d’Israël. Vous n’avez rien dans sa doctrine qui ne soit conforme à la Torah d’Israël, en dehors d’une ou deux choses. Ce sont ses disciples qui ont faussé sa doctrine. L’idée d’incarnation divine est tout entière étrangère au judaïsme. Dieu n’a pas d’image corporelle. Il ne peut pas avoir un enfant de chair et de sang. C’est vrai, Jésus s’est décrit comme un fils de Dieu, mais il entendait donner à cette expression le sens qu’on lui donnait dans l’antique tradition juive selon laquelle tout homme est fils de Dieu. Notre vraie querelle est avec Paul. C’est lui qui a provoqué les premiers dégâts. Et savez-vous pourquoi ? Il a été le premier Juif assimilé.”

Il a été le premier Juif assimilé

Je conclurai cette suite d’articles par ces mots de David Ben Gourion : ‟Je pense comme Franz Rosenzweig qu’il y a une grande fraternité possible avec le christianisme. Mais le seul rapprochement imaginable se situe dans la dimension proprement religieuse. Or Franz Rosenzweig a un double accès au christianisme, il entend l’aborder sur les plans religieux et historique. C’est là qu’il exagère. Pour lui, l’existence historique à laquelle s’est ouvert le christianisme prolonge la mission prophétique qui est le propre du judaïsme. Cela l’a rendu incapable de penser la vie juive comme participant pleinement à l’Histoire.”

Dans son livre ‟Les Premiers Israéliens”, Tom Seguev rapporte le récit d’une rencontre qui s’est tenue en 1949 et voulue par le premier chef du gouvernement israélien, David Ben Gourion, qui avait tenu à réunir un symposium d’intellectuels israéliens pour réfléchir sur l’identité juive. Afin de modérer les ardeurs d’un interlocuteur qui déclarait : ‟Le temps du Messie est venu…”, David Ben Gourion répliqua : ‟La grandeur du Messie est qu’on ne connaît pas son adresse, qu’on ne peut pas le joindre et que personne ne sait dans quel type de voiture il roule, ni même s’il en conduit une, s’il voyage à dos d’âne ou encore sur les ailes d’un aigle. La seule utilité du Messie est qu’il ne vienne pas, car l’attente du Messie est plus importante que le Messie lui-même, et le peuple juif vit dans cette attente, dans sa croyance en lui. Sans cela, le peuple juif n’existerait pas.”

Car l’attente du Messie est plus importante que le Messie lui-même…

Et pour donner une prolongation à cette suite d’articles, j’ai choisi de mettre en lien la présentation « Jésus – Lecture de l’Évangile selon Luc » par son auteur, Raphaël Draï, une somme monumentale en deux volumes :

http://www.akadem.org/magazine/2014-2015/une-lecture-juive-de-l-evangile-avec-raphael-drai-09-12-2014-65583_4556.php

 

Olivier Ypsilantis

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