Conflit Qatar / Arabie Saoudite : le monde arabe & musulman au bord de l’implosion et d’une nouvelle guerre du Golfe

L'émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, à Ryad, lors de la visite du président américain Donald Trump, le 21 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)L’Arabie saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis, le Yémen et Bahreïn rompent leurs liens avec le Qatar. L’émirat, accusé de soutenir le terrorisme, accuse ses voisins du Golfe de chercher à le mettre sous tutelle ; Ankara exhorte au dialogue, veut oeuvrer à la « normalisation »

L’Egypte a annoncé lundi avoir rompu ses liens diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir « le terrorisme ».  Le Caire et Doha ont des rapports extrêmement tendus depuis que l’armée égyptienne a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en 2013.  Le Qatar était l’un des principaux soutiens de Morsi et avait dénoncé son éviction par l’ex-chef de l’armée et actuel président Abdel Fattah al-Sissi. Le riche émirat gazier du Golfe a condamné à plusieurs reprises la répression lancée par le régime contre les pro-Morsi.

Le gouvernement du Caire a « décidé de mettre fin à ses relations diplomatiques avec l’Etat du Qatar, qui insiste à adopter un comportement hostile vis-à-vis de l’Egypte », a indiqué le ministère des Affaires étrangères égyptien dans un communiqué, qui annonce la fermeture de ses frontières « aériennes et maritimes devant tous les moyens de transports qataris ». Le communiqué évoque « l’échec de toutes les tentatives pour dissuader (le Qatar) de soutenir les organisations terroristes », y compris la confrérie islamiste des Frères musulmans, dont est issu M. Morsi.

Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, à droite, l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, au centre, et le dirigeant du Hamas Khaled Meshaal à Doha, le 21 août 2014. (Crédit : Thaer Ghanem/PPO/AFP)Le Caire accuse Doha « de véhiculer l’idéologie d’Al-Qaïda et de Daesh (acronyme en arabe du groupe jihadiste Etat islamique) et de soutenir les opérations terroristes dans le Sinaï ». Dans son communiqué, l’Egypte accuse le Qatar « d’ingérence dans ses affaires internes », mais aussi « d’abriter des dirigeants (des Frères musulmans) qui font l’objet de condamnations judiciaires pour des opérations terroristes ».

Ces mesures sont « injustifiées » et « sans fondement », a réagi le ministère des Affaires étrangères du Qatar dans un communiqué. Elles ont un « objectif clair : placer l’Etat (du Qatar) sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté » et est « totalement inacceptable », a-t-il ajouté.

La compagnie aérienne Etihad des Emirats arabes unis a annoncé lundi la suspension de tous ses vols vers et en provenance du Qatar, peu après la décision d’Abou Dhabi de rompre ses relations diplomatiques avec Doha. Etihad Airways précise dans un communiqué que cette mesure entrera en vigueur mardi matin « jusqu’à nouvel ordre », alors que les Emirats, l’Arabie saoudite et Bahreïn ont décidé de fermer « dans 24 heures » leur espace aérien et leurs frontières terrestres et maritimes avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme.

La Turquie, qui entretient des rapports étroits avec les monarchies du Golfe, a appelé lundi au dialogue et s’est déclarée prête à y aider : « Il peut y avoir des problèmes entre les pays (…) mais il faut que le dialogue se poursuive », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu lors d’une conférence de presse à Ankara. « Et bien sûr, nous fournirons tout type de soutien pour que la situation revienne à la normale », a-t-il ajouté.

Les mesures prises par les Saoudiens ne sont pas non plus un moyen d’obtenir les faveurs de l’administration Trump, comme le prétendent certains. C’est plutôt l’inverse. Du point de vue des saoudiens, c’est une opportunité inestimable de résoudre un vieux problème. L’aversion de Ryad pour Doha est bien connue et remonte à loin. En dépit de leur proximité géographique, ou peut-être à cause d’elle, l’hostilité entre les deux pays est conséquente.

Hassan Rouhani, président iranien, pendant une conférence de presse à Téhéran, le 17 janvier 2017. (Crédit : Atta Kenare/AFP)Le Qatar qui flirte avec l’ennemi juré de l’Arabie saoudite, l’Iran, sa proximité avec les Frères musulmans, et bien évidemment, la création de la chaîne satellite en 1996 font de ce pays l’un des plus haï parmi les régimes arabes sunnites, notamment par Ryad et Le Caire. Dans les années 2000, Al Jazeera est devenu un outil pour mettre en œuvre le projet des Frères musulmans et du Hamas, aux dépens des gouvernements égyptiens, saoudiens et palestiniens. Ils ont également financé la chaîne d’information Al Jazeera, considérée comme l’un des porte-paroles des Frères musulmans contre les autres pays du Golfe et le Front al-Nosra, un groupe terroriste syrien.

Les conditions posées par le régime saoudien pour une réconciliation avec Doha, présentées mardi par le ministère des Affaires étrangères Adel al-Jubeir ne sont pas simples : elles incluent une rupture entre le Qatar et les Frères musulmans et le Hamas. Il est difficile d’imaginer que le Qatar se presse de se plier à ces exigences. Le Qatar se perçoit comme le patron de ces deux mouvements, et dans la région, il est considéré comme leur soutien principal. Ces derniers jours, les autorités qataries ont expulsé huit membres du Hamas, mais il s’agissait de cadres de la branche armée du Hamas, les brigades Ezzedine al-Qassam. L’autre partie du Hamas, ses politiciens et ses diplomates, sont toujours tranquillement installés à Doha et continuent à profiter de tout le confort que la péninsule a à offrir. Il en va de même pour les hommes de foi affiliés aux Frères musulmans, tels que le religieux égyptien Yusuf al-Qaradawi.

« C’est une incitation à la haine contre le Hamas », a estimé le Hamas dans un communiqué, après que le ministre saoudien des Affaires étrangères a exhorté le Qatar à ne plus soutenir le mouvement terroriste ni les Frères musulmans, auquel Adel al-Jubeir reproche de « saper l’autorité » de l’Autorité palestinienne (AP) du président Mahmoud Abbas et de l’Egypte.

Le Qatar doit « changer ses politiques » et cesser de soutenir les « groupes extrémistes », a indiqué al-Jubeir à Paris, un jour après avoir rompu les relations diplomatiques avec le pays du Golfe, ajoutant que le Qatar devait « agir comme un pays normal. » « Nous avons décidé de prendre des mesures pour annoncer qu’assez, c’est assez, a-t-il poursuivi. Personne ne veut blesser le Qatar. Le Qatar doit décider s’il va dans une direction ou dans une autre. »

« Les Saoudiens ne savent pas mener de politique étrangère, ils se battent avec la plupart de leurs voisins », affirme Foad Izadi, professeur en relations internationales à l’université de Téhéran.  Cette crise donne à Téhéran l’opportunité « d’accroître ses relations avec le Qatar qui a désormais besoin de l’Iran pour ses liaisons aériennes et la fourniture de denrées alimentaires », affirme l’universitaire iranien.

Après la décision de Ryad et de plusieurs de ses alliés de rompre leurs relations diplomatiques, aériennes, terrestres et maritimes avec Doha, Téhéran n’a pas traîné à lui offrir l’accès à son espace aérien et à lui proposer d’importer de la nourriture.

« Les Saoudiens cherchent à créer un front uni contre l’Iran et pour cela ils ont besoin d’éliminer toute opposition » au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), affirme ainsi Farhad Rezaei, chercheur du Centre d’études iraniennes basé à Ankara.

« D’autres au sein de la coalition du Golfe ne partagent pas cette obsession [contre l’Iran], mais aucun d’eux n’a la capacité des Qataris de pouvoir résister à la pression saoudienne », estime Rezaei. Il cite en particulier les réserves gazières du Qatar et ses liens militaires étroits avec les Etats-Unis. La crise entre le Qatar et ses voisins survient plus de deux semaines après la visite à Ryad du président américain Donald Trump qui y avait lancé un appel à toutes les nations « à isoler l’Iran ».

L’étreinte chaleureuse donnée par le président américain Trump à Ryad était le signal dont avait besoin le roi saoudien Salman pour savoir que le moment était venu de régler les comptes avec la « cinquième colonne » qatarie – un pays sunnite qui, selon eux, a fait pas mal de choses pour agresser et saper ses voisins du Golfe.

Si le clivage entre sunnites (le quasi-ensemble du monde arabe) et chiites (dominés par l’Iran) explique en partie la crise actuelle entre le Qatar et une partie du monde arabe, du fait de la proximité du Qatar avec son voisin iranien, il n’explique pas tout.

« Il faut comprendre qu’il s’agit d’abord d’une question inter-arabes, voire inter-bédouins. Il y a, dans cette région, une forte concurrence économique, politique, religieuse, et même matrimoniale entre les grandes familles des grandes tribus qui se sont partagées la Péninsule arabique, » explique Frédéric Encel dans un entretien paru dans Les Échos.

Mais « la toile de fond de cette rupture spectaculaire est que le Qatar est accusé de complaisance vis à vis de groupes pro-iraniens au Yémen, ajoute-il, comme il a déjà été accusé de complaisance vis-à-vis des groupes islamistes radicaux en Syrie, en Irak et jusqu’au Sahel. »

Mais pour Frédéric Encel, cette crise n’est que le dernier épisode d’une détérioration générale de l’unité du monde arabe qui « n’en finit plus de se morceler et de se balkaniser. Cela a commencé avec la Somalie, puis le Soudan, l’Irak, la Syrie, jusqu’au Yémen et aux Comores.. Il y a un effondrement soit économique, soit politique, soit géopolitique et militaire, soit les trois, avec une division profonde au sein de la Ligue des 22 États Arabes. »

L’Arabie saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis, le Yémen et Bahreïn rompent leurs liens avec le Qatar

L’émirat, accusé de soutenir le terrorisme, accuse ses voisins du Golfe de chercher à le mettre sous tutelle ; Ankara exhorte au dialogue, veut oeuvrer à la « normalisation »

L'émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, à Ryad, lors de la visite du président américain Donald Trump, le 21 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

L’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, à Ryad, lors de la visite du président américain Donald Trump, le 21 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

L’Egypte a annoncé lundi avoir rompu ses liens diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir « le terrorisme ».

Le Caire et Doha ont des rapports extrêmement tendus depuis que l’armée égyptienne a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en 2013.

Le Qatar était l’un des principaux soutiens de Morsi et avait dénoncé son éviction par l’ex-chef de l’armée et actuel président Abdel Fattah al-Sissi. Le riche émirat gazier du Golfe a condamné à plusieurs reprises la répression lancée par le régime contre les pro-Morsi.

Le gouvernement du Caire a « décidé de mettre fin à ses relations diplomatiques avec l’Etat du Qatar, qui insiste à adopter un comportement hostile vis-à-vis de l’Egypte », a indiqué le ministère des Affaires étrangères égyptien dans un communiqué, qui annonce la fermeture de ses frontières « aériennes et maritimes devant tous les moyens de transports qataris ».

Le communiqué évoque « l’échec de toutes les tentatives pour dissuader (le Qatar) de soutenir les organisations terroristes », y compris la confrérie islamiste des Frères musulmans, dont est issu M. Morsi.

La confrérie, classée « organisation terroriste » par les autorités du Caire et plusieurs pays du golfe, nie avoir recours à la violence.

Le Caire accuse Doha « de véhiculer l’idéologie d’Al-Qaïda et de Daesh (acronyme en arabe du groupe jihadiste Etat islamique) et de soutenir les opérations terroristes dans le Sinaï ».

Dans son communiqué, l’Egypte accuse le Qatar « d’ingérence dans ses affaires internes », mais aussi « d’abriter des dirigeants (des Frères musulmans) qui font l’objet de condamnations judiciaires pour des opérations terroristes ».

La coalition militaire arabe, intervenant au Yémen sous commandement saoudien, a annoncé lundi l’exclusion du Qatar en raison de « son soutien au terrorisme ».

Cette mesure a été décidée alors que l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte, tous membres de la coalition, venaient d’annoncer la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar.

Le gouvernement yéménite a annoncé lundi la rupture des relations avec le Qatar, membre de la coalition militaire arabe opérant au Yémen, en l’accusant de liens avec les rebelles Houthis pro-iraniens et de soutien aux groupes jihadistes.

Le Yémen a ainsi emboîté le pas à l’Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, à Bahreïn et à l’Egypte, tous membres de la coalition arabe, qui ont rompu plus tôt les liens avec Doha, accusé de soutenir « le terrorisme ».

Dans un communiqué, le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi cautionne la décision de la coalition arabe, annoncée dans la matinée, d’exclure le Qatar de cette alliance, et rompt les relations diplomatiques avec le Qatar.

Il dénonce ce pays pour « ses exactions, ses liens avec les milices des comploteurs (rebelles Houthis) et son soutien aux groupes extrémistes », en l’occurence Al-Qaïda et le groupe Etat islamique (EI), fortement implantés au Yémen.

Il se dit « convaincu » que la coalition poursuivra ses opérations au Yémen, lancées il y a plus de deux ans pour rétablir le pouvoir du président Hadi après que les rebelles Houthis ont conquis, dès 2014, la capitale Sanaa et de larges parties du territoire yéménite.

Le conflit au Yémen a fait, depuis l’intervention de la coalition en mars 2015, plus de 8 000 morts et 45 000 blessés, majoritairement des civils, selon l’ONU.

Ces mesures sont « injustifiées » et « sans fondement », a réagi le ministère des Affaires étrangères du Qatar dans un communiqué. Elles ont un « objectif clair : placer l’Etat (du Qatar) sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté » et est « totalement inacceptable », a-t-il ajouté.

La compagnie aérienne Etihad des Emirats arabes unis a annoncé lundi la suspension de tous ses vols vers et en provenance du Qatar, peu après la décision d’Abou Dhabi de rompre ses relations diplomatiques avec Doha.

Etihad Airways précise dans un communiqué que cette mesure entrera en vigueur mardi matin « jusqu’à nouvel ordre », alors que les Emirats, l’Arabie saoudite et Bahreïn ont décidé de fermer « dans 24 heures » leur espace aérien et leurs frontières terrestres et maritimes avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme.

La compagnie aérienne d’Abou Dhabi affirme proposer à ses clients « d’autres options », y compris des remboursements complets de billets d’avions. Etihad « regrette la gêne causée par la suspension », conclut le communiqué.

La Turquie, qui entretient des rapports étroits avec les monarchies du Golfe, a appelé lundi au dialogue et s’est déclarée prête à y aider.

« Il peut y avoir des problèmes entre les pays (…) mais il faut que le dialogue se poursuive », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu lors d’une conférence de presse à Ankara. « Et bien sûr, nous fournirons tout type de soutien pour que la situation revienne à la normale », a-t-il ajouté.

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La crise Arabie saoudite-Qatar va-t-elle acculer le Hamas ?

Alors que l’économie sombre à Gaza, le groupe terroriste est en conflit avec la quasi-totalité du monde arabe sunnite, et n’a plus beaucoup d’options pour avancer

Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, à droite, l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, au centre, et le dirigeant du Hamas Khaled Meshaal à Doha, le 21 août 2014. (Crédit : Thaer Ghanem/PPO/AFP)

Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, à droite, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, au centre, et le dirigeant du Hamas Khaled Meshaal à Doha, le 21 août 2014. (Crédit : Thaer Ghanem/PPO/AFP)

Dans ce prétendu discours, dont l’authenticité est contestée par le Qatar, les responsables du FBI et d’autres, l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani a critiqué l’administration Trump, fustigé la politique anti-iranienne de l’Arabie saoudite, et affirmé que le Hamas était le représentant légitime du peuple palestinien (et non l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah).

Et pourtant, ce discours n’est pas la cause des dramatiques ruptures saoudiennes, il n’en est que le prétexte.

Les mesures prises par les Saoudiens ne sont pas non plus un moyen d’obtenir les faveurs de l’administration Trump, comme le prétendent certains. C’est plutôt l’inverse. Du point de vue des saoudiens, c’est une opportunité inestimable de résoudre un vieux problème.

L’aversion de Ryad pour Doha est bien connue et remonte à loin. En dépit de leur proximité géographique, ou peut-être à cause d’elle, l’hostilité entre les deux pays est conséquente.

L'émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, à Ryad, lors de la visite du président américain Donald Trump, le 21 mai 2017. (Crédit : Mandel Ngan/AFP)

Le Qatar qui flirte avec l’ennemi juré de l’Arabie saoudite, l’Iran, sa proximité avec les Frères musulmans, et bien évidemment, la création de la chaîne satellite en 1996 font de ce pays l’un des plus haï parmi les régimes arabes sunnites, notamment par Ryad et Le Caire. Dans les années 2000, Al Jazeera est devenu un outil pour mettre en œuvre le projet des Frères musulmans et du Hamas, aux dépens des gouvernements égyptiens, saoudiens et palestiniens.

En raison de cette hostilité de longue date, toute tentative de réduire la crise entre le Qatar et les six autres pays arabes à une simple altercation au sujet de propos qui auraient été tenus – ou pas – à Doha par l’émir, revient à passer à côté de la signification de la mesure prise par Ryad : elle marque une volonté de changer définitivement la politique du Qatar.

Les conditions posées par le régime saoudien pour une réconciliation avec Doha, présentées mardi par le ministère des Affaires étrangères Adel al-Jubeir ne sont pas simples : elles incluent une rupture entre le Qatar et les Frères musulmans et le Hamas.

Il est difficile d’imaginer que le Qatar se presse de se plier à ces exigences. Le Qatar se perçoit comme le patron de ces deux mouvements, et dans la région, il est considéré comme leur soutien principal. Ces derniers jours, les autorités qataries ont expulsé huit membres du Hamas, mais il s’agissait de cadres de la branche armée du Hamas, les brigades Ezzedine al-Qassam. L’autre partie du Hamas, ses politiciens et ses diplomates, sont toujours tranquillement installés à Doha et continuent à profiter de tout le confort que la péninsule a à offrir. Il en va de même pour les hommes de foi affiliés aux Frères musulmans, tels que le religieux égyptien Yusuf al-Qaradawi.

Yahya Sinwar, nouveau dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza, lors de l'inauguration d'une nouvelle mosquée à Rafah, au sud de Gaza, le 24 février 2017. (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash90)

Les hauts responsables du Hamas sont, malgré eux, pris au cœur de la tempête. Samedi, les chefs du Hamas Yahya Sinwar, Ruhi Mushtaha, Tawfik Abu Naim et Marwan Issa ont quitté la bande de Gaza pour des réunions en Égypte et étaient supposés se rendre depuis l’Égypte vers le Qatar puis le Liban. On peut s’imaginer qu’ils doivent éprouver certaines difficultés à se résoudre à l’idée que leur soutien principal, aussi étroitement lié à leur financement qu’à celui du FC Barcelone, pourrait leur couper les vivres à cause de la pression égyptienne et saoudienne.

Cette incertitude affaiblit le Hamas et le rends plus sensible à la pression. La prochaine fois que les autorités égyptiennes négocieront avec le Hamas l’ouverture du poste frontière de Rafah ou l’allègement de certaines restrictions dans le cadre de leur blocus de la bande de Gaza, ils risquent de trouver un partenaire plus arrangeant dans les négociations qu’ils n’en n’ont eu par le passé.

Gaza est dans un sale état, plus que jamais, et risque de se détériorer économiquement prochainement en raison des mesures économiques prises contre le gouvernement du Hamas par l’Autorité palestinienne (AP), notamment la fin du financement de la dette d’électricité et des préretraites de l’AP pour Gaza, et des coupes salariales pour les employés de l’AP dans l’enclave.

Et pourtant, si le Hamas se sent acculé, ou craint de perdre son pouvoir sur Gaza, à cause de la crise qatari-saoudienne ou des mesures économiques de l’AP, il risque d’être tenté de relancer les dés en ayant recours à sa tactique favorite : tirer des roquettes sur Israël.

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Encel : “le monde arabe n’en finit plus de se morceler”

Dans les Échos, le géopoliticien revient sur les raisons profondes du désaccord entre plusieurs pays du monde arabe et le Qatar, avec qui les relations ont été rompues

Frédéric Encel (Crédit : Capture d’écran YouTube)

Frédéric Encel (Crédit : Capture d’écran YouTube)

« Il faut comprendre qu’il s’agit d’abord d’une question inter-arabes, voire inter-bédouins. Il y a, dans cette région, une forte concurrence économique, politique, religieuse, et même matrimoniale entre les grandes familles des grandes tribus qui se sont partagées la Péninsule arabique, » explique Frédéric Encel dans un entretien paru dans Les Échos.

Mais « la toile de fond de cette rupture spectaculaire est que le Qatar est accusé de complaisance vis à vis de groupes pro-iraniens au Yémen, ajoute-il, comme il a déjà été accusé de complaisance vis-à-vis des groupes islamistes radicaux en Syrie, en Irak et jusqu’au Sahel. »

Mais pour Frédéric Encel, cette crise n’est que le dernier épisode d’une détérioration générale de l’unité du monde arabe qui « n’en finit plus de se morceler et de se balkaniser. Cela a commencé avec la Somalie, puis le Soudan, l’Irak, la Syrie, jusqu’au Yémen et aux Comores.. Il y a un effondrement soit économique, soit politique, soit géopolitique et militaire, soit les trois, avec une division profonde au sein de la Ligue des 22 États Arabes. »

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Le Hamas “choqué” que Ryad demande au Qatar de ne plus le soutenir

L’Arabie saoudite affirme que le Qatar sape l’autorité de l’AP et de l’Egypte et qu’il doit changer de politiques

Adel al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères, à Paris, le 6 juin 2017. (Crédit : Jacques Demarthon/AFP)

Adel al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères, à Paris, le 6 juin 2017. (Crédit : Jacques Demarthon/AFP)

« C’est une incitation à la haine contre le Hamas », a estimé le Hamas dans un communiqué, après que le ministre saoudien des Affaires étrangères a exhorté le Qatar à ne plus soutenir le mouvement terroriste ni les Frères musulmans, auquel Adel al-Jubeir reproche de « saper l’autorité » de l’Autorité palestinienne (AP) du président Mahmoud Abbas et de l’Egypte.

Le Qatar doit « changer ses politiques » et cesser de soutenir les « groupes extrémistes », a indiqué al-Jubeir à Paris, un jour après avoir rompu les relations diplomatiques avec le pays du Golfe, ajoutant que le Qatar devait « agir comme un pays normal. »

Le ministre n’a pas précisé ce qu’il attendait du Qatar, disant que « plusieurs mesures doivent être prises, ils le savent. »

« Nous avons décidé de prendre des mesures pour annoncer qu’assez, c’est assez, a-t-il poursuivi. Personne ne veut blesser le Qatar. Le Qatar doit décider s’il va dans une direction ou dans une autre. »

Des membres des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, exposent des roquettes Qassam "maison" pendant une parade militaire anti-Israël, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza,le 21 août 2016. (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash90)

Il a également accusé le Qatar, pays riche en matières premières, de soutenir un « média hostile ».

Dimanche, le Hamas a démenti que le Qatar avait expulsé plusieurs de ses cadres de son territoire, mais a semblé reconnaître que ses membres quittaient le pays.

L’AP à Ramallah est soutenue par l’Arabie saoudite, et le Hamas à Gaza, soutenu par le Qatar, restent à couteaux tirés.

Le Hamas a récemment perdu des alliés et parrains dans la région.

Le président égyptien déchu Mohamed Morsi, lors d'une rencontre avec le secrétaire d'Etat américain John Kerry, en mai 2013. (Crédit : département d'Etat américain/domaine public/Wikimedia Commons)

Il s’est ainsi brouillé avec le régime de Bashar el-Assad au début en 2011 de la guerre en Syrie, puis ses relations se sont gravement détériorées avec son voisin égyptien lorsque l’armée a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en 2013. L’Egypte contrôle l’unique ouverture sur le monde des deux millions de Gazaouis qui ne soient pas aux mains d’Israël.

Depuis, les Frères musulmans, dont faisait partie Morsi et dont le Hamas est issu, a été déclaré mouvement terroriste dans plusieurs pays arabes.

Le Qatar assure une grande partie du financement de la reconstruction dans la bande de Gaza. C’est notamment ce riche émirat gazier du Golfe qui paye régulièrement l’approvisionnement en fuel et en électricité des deux millions de Gazaouis, que l’Autorité palestinienne refuse désormais de prendre en charge.

 

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L’Iran espère tirer profit de la crise entre le Qatar et ses voisins

L’Arabie saoudite a accusé Doha de soutenir des groupes jihadistes cherchant « à déstabiliser la région », mais des analystes estiment qu’en réalité, la véritable cible est l’Iran

Hassan Rouhani, président iranien, pendant une conférence de presse à Téhéran, le 17 janvier 2017. (Crédit : Atta Kenare/AFP)

Hassan Rouhani, président iranien, pendant une conférence de presse à Téhéran, le 17 janvier 2017. (Crédit : Atta Kenare/AFP)

« Les Saoudiens ne savent pas mener de politique étrangère, ils se battent avec la plupart de leurs voisins », affirme Foad Izadi, professeur en relations internationales à l’université de Téhéran.

Cette crise donne à Téhéran l’opportunité « d’accroître ses relations avec le Qatar qui a désormais besoin de l’Iran pour ses liaisons aériennes et la fourniture de denrées alimentaires », affirme l’universitaire iranien.

Après la décision de Ryad et de plusieurs de ses alliés de rompre leurs relations diplomatiques, aériennes, terrestres et maritimes avec Doha, Téhéran n’a pas traîné à lui offrir l’accès à son espace aérien et à lui proposer d’importer de la nourriture.

L’Arabie saoudite a accusé Doha de soutenir des groupes jihadistes cherchant « à déstabiliser la région », mais des analystes estiment qu’en réalité, la véritable cible est l’Iran.

« Les Saoudiens cherchent à créer un front uni contre l’Iran et pour cela ils ont besoin d’éliminer toute opposition » au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), affirme ainsi Farhad Rezaei, chercheur du Centre d’études iraniennes basé à Ankara.

« D’autres au sein de la coalition du Golfe ne partagent pas cette obsession [contre l’Iran], mais aucun d’eux n’a la capacité des Qataris de pouvoir résister à la pression saoudienne », estime Rezaei. Il cite en particulier les réserves gazières du Qatar et ses liens militaires étroits avec les Etats-Unis.

La crise entre le Qatar et ses voisins survient plus de deux semaines après la visite à Ryad du président américain Donald Trump qui y avait lancé un appel à toutes les nations « à isoler l’Iran ».

Le Qatar, mais aussi d’autres pays musulmans sunnites dont Oman, le Koweït et la Malaisie, ont exprimé leurs doutes à propos de cet appel et de l’incessante campagne de l’Arabie saoudite contre son grand rival chiite iranien.

Cela ne veut pas nécessairement dire que Téhéran se réjouisse des divisions entre ses rivaux sunnites, selon Adnan Tabatabai, directeur du centre de réflexion allemand Carpo.

« Je ne pense pas qu’à Téhéran on soit satisfait de cette querelle », dit-il, car « au bout du compte cela rend la région encore plus instable et ne sert les intérêts de personne ».

Intérêts partagés

En Syrie, Téhéran soutient le régime du président Bachar al-Assad que des groupes rebelles soutenus par Doha cherchent à renverser.

Mais dans le même temps, le Qatar et l’Iran partagent l’immense champ gazier de South Pars-North Dome dans les eaux du Golfe, dont ils assurent ensemble la direction et la sécurité.

Cela montre à d’autres pays « comment une coopération économique peut amener à une relation commune en matière sécuritaire », estime Adnan Tabatabai.

Encouragés par une administration américaine farouchement anti-iranienne, les Saoudiens sont plus déterminés que jamais à s’opposer à la puissance de l’Iran dans la région.

« Malheureusement pour les Saoudiens, le Qatar voit l’Iran comme partie prenante de la solution dans les crises régionales et sait que les conflits armés pourraient menacer ses liens économiques » avec Téhéran, selon Farhad Rezaei.

Quant à son homologue iranien Foad Izadi, il affirme que le pouvoir saoudien « n’accepte aucune dissidence, même venant de ses semblables sunnites ».

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Dans une nouvelle guerre du Golfe, le riche Qatar forcé de payer le prix de ses politiques

Les états sunnites frappent Doha, ‘cinquième colonne’, rompant les liens diplomatiques et économiques, faisant payer un prix elévé au pays pour son soutien aux Frères musulmans et ses relations naissantes avec l’Iran

Lundi matin, le Bahreïn, l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats arabes unis ont annoncé qu’ils avaient coupé tous leurs liens avec le Qatar (le Koweït et Oman n’ont pas joint leurs voix à cette déclaration). Le Yémen, les Maldives et l’une des factions dirigeantes en Libye ont suivi plus tard le mouvement.

La rupture concerne ici tous les liens, pas seulement diplomatiques – la fin des vols depuis et vers Doha, la rupture des liens économiques, le départ de tous les ressortissants qataris des territoires concernés, et plus encore.

Cette initiative aura des conséquences économiques énormes pour le Qatar.

Le président Donald Trump et la 'first lady' Melania Trump avec le roi d'Arabie saoudite Salman bin Abdulaziz al-Saud, deuxième depuis la droite, à la cérémonie inaugurale du Centre mondial de lutte contre l'idéologie extrémiste de Riyadh, en Arabie saoudite, le 21 mai 2017 (Crédit : Bandar Algaloud/Saudi Royal Council/Anadolu Agency/Getty Images)

L’entreprise FlyDubai des EAU, par exemple, a annoncé que tous ses vols depuis et vers le Qatar seraient interrompus dès mardi matin.

Et qu’arrivera-t-il à Qatar Airways, l’une des compagnies aériennes de premier ordre dans le Golfe et sponsor du FC Barcelone, maintenant qu’elle ne pourra plus utiliser l’espace aérien saoudien ? L’incertitude monte en flèche.

Le ministère des Affaires étrangères qatari a émis un communiqué disant qu’il condamne des décisions prises par les pays – ce à quoi on pouvait s’attendre. Mais Doha s’est également efforcé d’apaiser des investisseurs nerveux, alors que le marché boursier du Qatar s’est trouvé en chute libre suite à cette annonce.

« Le Qatar prendra les mesures nécessaires pour déjouer les tentatives d’influencer la société qatarie et l’économie », a-t-il indiqué.

Mais, tandis que ce communiqué ne calmera probablement pas les turbulences financières, le partisan le plus riche et le plus enthousiaste des Frères musulmans apprend qu’il y a un prix économique à payer pour ses politiques.

Le Qatar, qui, depuis des années, s’est efforcé » d’agir comme un partenaire occidental pour les affaires, a simultanément investi des dizaines, sinon des centaines de millions de dollars, dans des organisations terroristes qui attaquent l’Occident et Israël à chaque opportunité.

L'émir du Qatar Sheikh Tamim Bin Hamad Al-Thani à Riyad, lors de la visitie du président américain Donald Trump, le 21 mai 2017. (Crédit : AFP/MAndel Ngan)

Ils ont également financé la chaîne d’information Al Jazeera, considérée comme l’un des porte-paroles des Frères musulmans contre les autres pays du Golfe et le Front al-Nosra, un groupe terroriste syrien.

Mais c’est la relation naissante entre Doha et l’Iran, et les vents nouveaux qui soufflent depuis Washington, qui semblent avoir permis la rupture des liens.

L’étreinte chaleureuse donnée par le président américain Trump à Ryad était le signal dont avait besoin le roi saoudien Salman pour savoir que le moment était venu de régler les comptes avec la « cinquième colonne » qatarie – un pays sunnite qui, selon eux, a fait pas mal de choses pour agresser et saper ses voisins du Golfe.

Même si le gouvernement de Trump ne se presse pas pour rejoindre ce coup apporté au Qatar, Washington a très probablement eu connaissance de la décision prise par les quatre pays.

Malgré tout son argent, Doha avait refusé de venir à la rescousse de Gaza pour résoudre la crise d’électricité une seconde fois, même si le montant requis serait relativement insignifiant pour la trésorerie qatarie.

Saleh al-Arouri (Crédit : capture d'écran YouTube)

Doha est également en train d’effectuer des démarches pour améliorer son image en prenant ses distances face au Hamas. Le pays a récemment expulsé un certain nombre de dirigeants de l’aile militaire du groupe terroriste, dont Saleh al-Arouri et Musa Dudin, connus pour leurs liens avec des cellules terroristes en Cisjordanie. Al-Arouri aurait orchestré le kidnapping et le meurtre en 2014 de trois adolescents israéliens en Cisjordanie, ce qui aurait précipité la guerre, cet été là, entre Israël et le Hamas.

Selon des informations, la « pression extérieure » a été citée par les qataris – et on peut imaginer que ces demandes ont probablement émané de Jérusalem et de Washington.

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