AFGHANISTAN : échec et mat ?

L’Occident a-t-il perdu la guerre contre le jihad islamiste ?

En 2001, l’ennemi absolu de l’Occident s’appelle Al-Qaïda. 20 ans plus tard, le jihadisme a fait des métastases, les groupes sont plus nombreux et géographiquement mieux répartis

Des responsables talibans installent un drapeau taliban avant une conférence de presse du porte-parole des Talibans Zabihullah Mujahid, au Government Media Information Center à Kaboul, en Afghanistan, le 17 août 2021. (AP Photo / Rahmat Gul)

En 2001, l’ennemi absolu de l’Occident s’appelle Al-Qaïda, derrière la figure de son chef Oussama Ben Laden. Vingt ans de guerre plus tard, l’échec est peu contestable: le jihadisme a fait des métastases, les groupes sont à la fois plus nombreux et géographiquement mieux répartis.

Les cendres des Twin Towers fumaient encore que le président américain George W. Bush lançait ce qu’il a appelé tour à tour la « croisade » ou la « guerre » contre le terrorisme. En ligne de mire, le régime des talibans en Afghanistan, coupable d’avoir laissé Al-Qaïda préparer l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré contre un pays occidental.

Deux ans et une victoire militaire plus tard, Bush affirmait en janvier 2003, dans son traditionnel discours sur l’état de l’Union: « en Afghanistan, nous avons contribué à libérer un peuple opprimé et nous continuerons de l’aider à rendre sûr son pays, à reconstruire sa société et à instruire tous ses enfants, garçons et filles ».

Mais l’histoire ne l’a pas entendu. Les talibans ont repris Kaboul et instaurent la charia. Que leurs discours apaisants soient jugés crédibles ou pas, ce sont bien des islamistes ultra radicaux, très proches d’Al-Qaïda, qui dirigent le pays.

La guerre contre le terrorisme aurait donc échoué ? « Ils ont réussi à tuer Ben Laden mais si l’objectif était de mettre fin au jihadisme transnational, c’est un échec total », répond sans détour Abdul Sayed, politologue à l’université de Lund, en Suède. Cette photo non datée montre le chef d’Al-Qaida, Oussama ben Laden, en Afghanistan. (Crédit : AP)

Bilan désastreux

Les États-Unis n’ont certes plus été victimes d’une telle attaque depuis 2001. Mais les objectifs fixés « étaient inatteignables », renchérit Assaf Moghadam, chercheur de l’Institut international pour le contre-terrorisme (ICT) en Israël. « Le terrorisme ne peut être défait. La menace évolue constamment ».

Le Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington a estimé en 2018 que le nombre de groupes actifs (67) était à son plus haut niveau depuis 1980. Quant au nombre de combattants, il variait alors, selon les sources compilées par le CSIS, entre 100.000 et 230.000. Soit 270% d’augmentation par rapport aux estimations de 2001. Même en admettant que les chiffres sont discutables, la tendance ne fait pas débat.

Vues les dépenses engagées – sans doute plus de mille milliards de dollars rien que pour les Américains en Afghanistan – le bilan est désastreux et renvoie à des erreurs manifestes, selon les analystes.

Le renversement du régime irakien de Saddam Hussein en 2003 est ainsi régulièrement cité comme une faute majeure. « Il a permis à Al-Qaïda de ressusciter, ce qui a posé les bases de la création (du groupe) Etat islamique », estime ainsi Seth Jones, expert du terrorisme au CSIS.

Un jihadisme bicéphale

Au delà, les observateurs décrivent une stratégie privilégiant l’affrontement, sans suffisamment prendre en compte le terreau du jihadisme: la guerre, le chaos, la mauvaise gouvernance, la corruption.

« Des conflits comme celui de la Syrie peuvent mobiliser et radicaliser des milliers de combattants en peu de temps », relève Tore Hamming, chercheur au Département des études de la guerre du King’s College de Londres. « Le problème majeur n’est pas militaire », ajoute-t-il. « L’un des mécanismes les plus forts pour prévenir le recrutement de militants islamistes est de fournir aux gens de meilleures alternatives. Les armes ne font pas ça ».

Vingt ans après le 11-septembre, le paysage n’a donc plus rien à voir. Le jihadisme était monocéphale, incarné par Al-Qaïda : il est désormais bicéphale depuis la création de l’EI et la proclamation du « califat » à cheval sur l’Irak et la Syrie, avant cinq années (2014-19) d’atrocités retransmises en direct sur les réseaux sociaux. Des manifestants scandent des slogans pro-État islamique alors qu’ils agitent les drapeaux du groupe devant le siège du gouvernement provincial à Mossoul, en Irak, le 16 juin 2014. (Crédit : AP, File)

L’ampleur géographique de la menace jihadiste a elle aussi changé. Les groupes se limitaient au Moyen-Orient, ils sévissent désormais aussi aux quatre coins de l’Afrique, dans la majorité du monde arabe ainsi qu’en Asie du sud et du sud-est.

Les liens entre ces groupes jihadistes sont lâches, leurs relations avec les centrales souvent faibles. Et leurs revendications locales l’emportent sur les ambitions internationales. Mais certains d’entre eux sont « devenus de sérieux acteurs politiques », constate Assaf Moghadam. « On ne parle plus d’un petit nombre de gens qu’il faut mettre sur une liste à surveiller. La menace a fait des métastases. Il y a un plus grand nombre de régimes, dans des zones dispersées, qui sont confrontés à l’extrémisme violent ».

Nouvel ordre mondial

L’Afrique est ainsi devenue la nouvelle frontière du jihadisme entre Sahel et Maghreb, Somalie et Libye, Mozambique et République démocratique du Congo (RDC). Une expansion qui, là encore, résonne comme un échec. Des soldats pro-gouvernement affichent le drapeau syrien et posent pour une photo dans le village d’al-Sahel, près de Yabroud (Crédit : AFP/STR)

Le front du jihad « s’est déplacé du Moyen-Orient vers l’Afrique et je ne pense pas que cela ait été anticipé », regrette Brenda Githing’u, analyste du contre-terrorisme basée à Johannesburg, évoquant l’incapacité des Occidentaux « à prévoir l’émergence d’un nouveau champ de bataille et à prendre en compte le potentiel de l’Afrique en termes de nouveau jihad ».

Mais du côté occidental aussi, les temps ont changé. L’ordre mondial s’est transformé. Le 11-septembre avait, du jour au lendemain, proclamé le terrorisme islamiste « ennemi numéro un » des États-Unis et de ses alliés. Depuis, les tensions se sont accrues avec notamment l’Iran, la Russie et surtout la Chine.

Seth Jones en convient, « les États-Unis ont changé leurs priorités » et s’inquiètent, comme d’autres capitales occidentales, de la menace chinoise. « Il y a un immense débat au sein de la communauté du renseignement américain sur la question de savoir s’il faut ou non continuer à s’éloigner de l’anti-terrorisme ».

Or, d’autres menaces pointent leur nez. Certes, ni Al-Qaïda ni l’EI ne semblent avoir les moyens de frapper immédiatement l’Occident dans un attentat de masse, comme lors des attentats de Paris le 13 novembre 2015. Mais les polices et services de renseignement sont débordés par les « loups solitaires » et autres militants isolés, parfois natifs du pays qu’ils frappent, souvent radicalisés sur internet et qui tuent aveuglément, au nom de l’un ou de l’autre, avec un couteau, une arme à feu, un camion.

Vingt ans après, la menace jihadiste n’est donc nullement vaincue, elle a muté. Son efficacité a même fait des émules du côté des suprémacistes blancs et de l’extrémisme de droite.

Assurément le défi des années à venir, craint Assaf Moghadam. « Il existe un certain degré de tolérance et de sympathie, en Occident, pour les idées de l’extrême droite », constate-t-il. Elles « puisent abondement dans le nationalisme, qui a été une idéologie puissante depuis un siècle et demi »