Yemen : Désinformation à l’iranienne
Du fait d’explosions en chaine, il en résulte une cinquantaine de morts et cinq cents blessés.
Il n’en faut pas moins aux agences de presse du pouvoir iranien pour annoncer un bombardement d’origine « atomique tactique », elles précisent même que des relevés d’échantillons en apportent la preuve.
Plus simplement, un navire américain en présence dans le golfe d’Aden, vraisemblablement l’un des destroyers de classe Arleigh Burke venait de lancer deux missiles Tomawak contre des cibles situées dans les quartiers de Faj Attan et d’Al-Hafâ. Faj Attan avait déjà été bombardé par la coalition arabe sunnite et était connu pour abriter des armes. Cette fois, c’est un dépôt de missiles sol-sol yéménites R-17 Elbrus (des Scud B d’origine russe) qui a été touché et ce sont les explosions successives de ces engins qui ont fait trembler le sol de Sanaa.
Ceci étant, la situation géopolitique et militaire se tend sur le golfe d’Aden, 9 navires de guerre US contre 7 navires iraniens. Voilà qui ne fait pas l’affaire de l’accord sur le nucléaire perse. .. Gilles Salem pour la rédaction Israël-flash
« Le Yémen est devenu le terrain d’une guerre par procuration entre Riyad et Téhéran »
INTERVIEW – Alors que les combats font rage entre rebelles et partisans du chef de l’État aidés d’un soutien aérien arabe, Franck Mermier, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Yémen, explique que l’implication de Ryad dans le conflit est une façon de dire « stop » à la progression de l’Iran en Irak et en Syrie.
Comment expliquer l’ascension fulgurante des Houthis en moins d’un an?
Depuis l’été 2014, le groupe armé chiite zaydite Ansar Allah («Partisans d’Allah», également connus sous le nom de Houthistes) s’est retrouvé à la tête de grandes manifestations, notamment à Sanaa, pour lutter contre la corruption et l’augmentation des prix de l’essence. Il a d’abord bénéficié d’une importante popularité. D’autant que dans leurs slogans, les Houthistes se présentent comme les défenseurs des valeurs de la révolution de 2011 (à l’origine de l’éviction du président Ali Abdallah Saleh), à laquelle ils ont participé. Pour eux, l’actuel président Hadi (exilé en Arabie saoudite), et ex-président pendant presque 20 ans, fait partie de l’ancien régime dont il faut se débarrasser. Ils sont également de fervents opposants au parti al-Islah, considéré comme la branche des Frères musulmans au Yémen, et contre l’establishment tribal incarné par le cheikh al-Ahmar. Ils vouent aussi une haine particulière au général Ali Mohsen, un cousin de l’ex-président Saleh, qui leur a fait la guerre, au Nord, de 2004 à 2010. Ce n’est donc pas un hasard si Amrane, à une cinquantaine de kilomètres de Sanaa, est le premier verrou militaire que les Houthistes ont fait sauter. Cette ville était tenue par un des commandants fidèles à Ali Mohsen.
Pourquoi sont-ils parvenus à prendre si facilement Sanaa le 21 septembre?
En fait, leur révolte pacifique s’est vite transformée en lutte armée. L’élément déclencheur a été la Conférence du dialogue national: ils s’y sentaient sous-représentés et étaient opposés au système fédéral prôné dans la nouvelle Constitution qui s’apprêtait à être votée. Dans le nouveau partage du pays en 6 provinces, ils voyaient leur territoire se réduire à portion congrue – les régions de Saada et de Hadja – et ne disposaient d’aucun débouché sur la mer. Ils ont donc fini par s’avancer militairement en prenant la capitale.
Auraient-ils pu le faire sans l’appui stratégique de l’ex-président Saleh?
Sans doute pas. L’ennemi d’hier, qui les a combattu pendant la guerre de Saada, s’est en effet imposé comme un allié tactique. Ali Abdallah Saleh, qui nourrit toujours le rêve d’un retour au pouvoir, agit en sous-main grâce aux unités militaires qui lui sont restées fidèles, notamment les hommes de l’ex-Garde Républicaine et les forces spéciales, très bien entraînés. En plus, Saleh avait mis plusieurs fils et cousins à la tête de ces unités. C’est donc grâce à cette complicité que les Houthis ont pu s’emparer de Sanaa, pour ensuite forcer le président Hadi à signer un accord politique garantissant l’augmentation de leur représentation au sein du Dialogue national. Mais très vite, ils se sont révélés jusqu’au-boutistes. Ils ont occupé tous les ministères, et paralysé le gouvernement. Deux mois plus tard, Hadi démissionne, il est placé en résidence surveillée et le Parlement est dissous. Dans la foulée, les Houthistes créent un Conseil révolutionnaire. En fait, il y a eu un coup d’État qui a commencé à partir de l’été 2014, et qui s’est soldé, en janvier 2015, par la prise de pouvoir officielle des Houthistes – et par la fuite, en mars, de Hadi dans le Sud, puis en Arabie saoudite. Dans le Sud, ce dernier dispose du soutien des comités populaires. Il a également le soutien d’une grande partie de la population de Taez, Hodeyda, Mareb et Bayda.
Quelle idéologie défendent les Houthistes?
Les Houthistes se réclament du zaïdisme, une minorité de l’islam chiite, bien différente des chiites d’Iran. Dans leurs pratiques, les zaïdistes sont même plus proches des sunnites que des chiites. Mais aujourd’hui, on assiste à une affirmation idéologique qui s’illustre par exemple par le changement de certains imams dans les mosquées ainsi que par une rhétorique anti-al Qaida – et par extension antisunnite. Soutenus par Téhéran, ils ont également pour modèle le Hezbollah libanais. Certains commentateurs yéménites aiment d’ailleurs se moquer de leur leader, Abdel Malek el-Houthi en disant qu’il essaye de ressembler à Nasrallah. Nouvelle tendance: on assiste aussi à un processus de «chiitisation» du zaïdisme: les Houthis ont commencé à faire de grandes processions religieuses comme l’Achoura, qui n’existaient pas avant. Ils organisent des parades militaro-religieuses comme le parti de Dieu libanais. Bref, aujourd’hui, il y a une spécificité houthiste en contradiction avec le zaïdisme. Dans leurs slogans, on peut entendre «Mort à l’Amérique», «Mort à Israël», «Malédiction aux juifs». Or dans les années 80, les zaïdistes étaient connus pour avoir protéger les juifs. Aujourd’hui, les Houthistes sont également en train d’imposer certaines pratiques rétrogrades. Certains de leurs hommes ont empêché les femmes de conduire à Sanaa, d’autres ont interdit la musique dans les fêtes de mariage. On peut y voir une sorte de débordement venant de certains miliciens, notamment ceux qui arrivent des montagnes. En même temps, c’est une réalité qui existe au sein de ce groupe.
Leur arrivée à Aden, en mars, était-elle motivée par des velléités expansionnistes ou était-ce un calcul politique?
Je crois qu’ils ont été poussés par Saleh dans cette aventure. D’abord, ils ont pris Taez, où les forces qui sont sous les ordres de l’ex-président leur ont prêté allégeance. Ensuite ils se sont avancés vers Mokha. Puis ils ont pris la base d’Annat et ils ont attaqué le Sud. Je pense qu’ils voulaient vraiment proclamer leur pouvoir sur tout le Yémen. Après, il y avait peut-être des calculs. Une partie du mouvement sudiste, actuellement à Dubaï et inféodé à l’Iran, a vu l’arrivée des houthistes d’un bon œil pour ensuite négocier quelque chose. Quant à Saleh, il les a poussé à s’aventurer vers le Sud, avant de lancer des appels à la paix. Cet homme ne roule que pour lui. Son alliance avec les Houthistes n’est pas pérenne. Au final, je pense que les Houthistes ont attaqué le Sud, fleur au fusil, pour pouvoir ensuite négocier avec d’autres forces politiques notamment sudistes un nouveau partage du pouvoir, où ils auraient eu la mainmise: un peu comme le Hezbollah libanais qui contrôle les choses tout en apparaissant en retrait. Mais avec le jeu machiavélique de Saleh, la donne est plus complexe.
Qu’est-ce qui a poussé l’Arabie saoudite à intervenir militairement?
Pour l’Arabie saoudite, et pour son allié égyptien (qui fait aussi partie de la coalition), l’arrivée sur Aden a été la provocation de trop. L’idée d’avoir un allié de l’Iran chiite sur le front Sud, qui aurait le contrôle le détroit de Bab el-Mandeb, était impensable. En plus, les Saoudiens avaient toutes les justifications nécessaires: un président légitime, reconnu par la communauté internationale, en péril, des manifestations anti-Houthis dans les grandes villes… Ils avaient donc une certaine couverture intérieure. Le royaume saoudien garde également en mémoire les débordements houthistes à sa frontière, en 2009. Sans compter la crainte de voir sa propre minorité chiite tentée par un soulèvement.
Pendant ce temps, on a l’impression que les djihadistes d’al-Qaida dans la Péninsule arabique (Aqpa) en profitent pour étendre leur influence…
La menace d’Aqpa n’est pas nouvelle. En 2011, ses hommes, qui se font également appeler Ansar al-Charia, avaient pris une partie de la province d’Abyan, pas loin d’Aden. Ils en avaient été chassés par les tribus locales qui forment maintenant une partie des comités populaires pro-Hadi. Aujourd’hui, les djihadistes d’al-Qaida sont surtout présents dans les régions où il y a une confrontation avec les Houthistes, notamment la région de Radaa et Bayda. Ils attaquent aussi souvent des postes militaires à Hadramout. De toute évidence, ils profitent de l’instabilité et du chaos pour progresser. Ce qui est frappant, c’est l’exacerbation confessionnelle: d’un côté, les rebelles houthistes manifestent de plus en plus leur chiisme ; de l’autre, al-Qaida se présente comme un rempart contre ces «hérétiques». En parallèle, on assiste à une surenchère inquiétante entre groupes djihadistes avec l’émergence de l’État islamique. Avec Daech, on est effet passé à un autre registre qui est la terreur. En 2013, al-Qaida avait présenté ses excuses après l’attaque contre un hôpital militaire de Sanaa qui avait fait plus de 50 morts, dont des médecins et des infirmières. Les combattants de l’État islamique, eux, n’ont aucun scrupule à tuer des civils. Exemples, ces attaques mortelles contre deux mosquées de Sanaa, fin mars, considérées comme zaïdistes mais où beaucoup de sunnites vont également prier.
Peut-on craindre une guerre confessionnelle?
C’est plus compliqué que ça. Les zaïdistes, par exemple, ne sont pas tous Houthistes. Les sunnites non plus ne forment pas un bloc uni. Au-delà de l’angle confessionnel, je pense qu’il faut mesurer les choses en termes régionaux: Sanaa, Aden, Hadramout… On assiste à des luttes qui se polarisent autour de régions. La dimension géopolitique est également à prendre en compte. Aujourd’hui, on assiste à une lutte d’influence entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. Le Yémen est devenu le terrain d’une guerre par procuration entre Ryad et Téhéran. L’implication de Ryad, c’est une façon de dire «stop» à la progression de la République islamique d’Iran en Irak et en Syrie. Par ailleurs, les Saoudiens voient également d’un mauvais œil le rapprochement irano-américain dans les négociations sur le nucléaire. Tout ceci entre en jeu.
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Yémen: l’offensive militaire saoudienne régionalise le conflit
Avec l’aide d’une dizaine de pays, Ryad a bombardé tôt jeudi matin plusieurs sites tenus par les rebelles chiites houthis qui menacent de conquérir Aden, la deuxième ville du pays.
Quelques heures après que les forces alliées aux rebelles chiites houthis se soient emparées mercredi soir de l’aéroport d’Aden, le grand port du sud où est réfugié le président Hadi, des avions de combat saoudiens ont bombardé plusieurs sites tenus par les miliciens chiites alliés de l’Iran. Les cibles visées sont une base aérienne et le palais présidentiel à Sanaa, la capitale passée sous le contrôle des Houthis en septembre dernier, que Hadi a du fuir récemment pour se réfugier à Aden, vers laquelle convergent depuis une semaine les combattants chiites épaulées par les partisans d’Ali Abdallah Saleh, l’ancien président évincé du pouvoir en février 2012 dans le sillage des «Printemps arabes».
Depuis Washington, l’ambassadeur saoudien Adel Jubair a souligné que cette opération militaire «vise à défendre le gouvernement légitime du Yémen et à empêcher le mouvement radical houthi de prendre le contrôle du pays».
Les raids ont cessé aux premières heures de la matinée. Ils auraient permis de «détruire les défenses aériennes des rebelles, la base aérienne al-Daïlami (attenante à l’aéroport de Sanaa), des batteries de missiles SAM et 4 avions de combat», selon un premier bilan, cité par l’agence saoudienne Spa.
L’objectif à court terme serait de sécuriser l’espace aérien yéménite afin de mettre en place une large zone d’exclusion aérienne, selon les confidences d’un conseiller saoudien.
Les États-Unis appuient sans participer à l’offensive
Ryad tient à préserver la légitimité du président Hadi, élu en 2012, dont le complexe présidentiel d’Aden a été bombardé mercredi quelques heures avant l’offensive saoudienne. Le raïs toujours soutenu par la communauté internationale est indemne et serait toujours dans «un lieu sûr» à Aden, selon ses proches.
L’Arabie saoudite a rassemblé une coalition d’une dizaine de pays arabes derrière elle, parmi lesquels les Émirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, la Jordanie, le Maroc. Le Pakistan – partenaire stratégique de Ryad qui a financé la bombe nucléaire pakistanaise et qui a longtemps été présent militairement en Arabie – étudie la possibilité de se joindre à la guerre contre les Houthis. Les États-Unis de leur côté appuient sans participer à l’offensive. Ils apportent un «soutien logistique et en renseignement» à l’opération. Inquiets de voir le conflit se régionaliser, Washington a demandé aux Houthis de déposer les armes, et de cesser de nourrir l’instabilité» au Yémen.
L’Iran, de son côté, a réagi en dénonçant «une démarche dangereuse (…) qui va encore plus compliquer la situation, étendre la crise et faire perdre les chances d’un règlement pacifique des divergences internes au Yémen», a déclaré le porte-parole de la diplomatie iranienne à Téhéran. L’Iran peut-elle aller plus loin, à court terme? Pas sûr.
Contagion révolutionnaire
Une chose est sûre: c’est la régionalisation de ce conflit qui gangrène depuis des mois le Yémen, pays le plus pauvre de la Péninsule arabique.
En première ligne, l’Arabie ne pouvait rester inerte alors que son allié le président Hadi était clairement menacé par l’étau militaire qui se resserrait autour de lui à Aden. Même si cette crise a montré l’isolement interne du président Hadi, que ses alliés du sud-Yémen ont peu soutenu, sa chute et la conquête d’Aden par les Houthis constituait une ligne rouge que l’Arabie saoudite ne pouvait accepter. Au-delà, Riyadh est tétanisé par la prise de contrôle du Yémen par l’Iran, via ses alliés houthis.
L’Arabie, frontalière du Yémen – et en particulier de la province nord qui est le fief des Houthis – redoute une contagion révolutionnaire auprès de la minorité chiite qui vit dans les provinces orientales du royaume. Et même si l’appui iranien aux Houthis est difficile à quantifier, à travers les combattants chiites, l’Arabie redoute l’émergence d’un Hezbollah houthi pro iranien sur le modèle du Hezbollah chiite libanais, dont Téhéran se servirait comme d’un puissant levier pour renforcer son entrisme dans les affaires arabes. C’est le cauchemar des Saoudiens, qui ont mobilisé 150.000 soldats et 100 avions dans le cadre de cette opération militaire chez leur voisin yéménite. Un déploiement de forces rare au royaume d’Arabie.
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