Notre Dame de Sion à Jérusalem : retour aux racines hébraïques

A Notre Dame de Sion, le Nouveau Testament est enseigné par des Juifs.

L’objectif de la congrégation des sœurs n’est plus la conversion mais le développement du dialogue interreligieux dans un lieu fondé par un Français en 1843

La soeur Celia Martin de Notre Dame de Sion dans la citerne souterraine du bâtiment d'Ecce homo, qui devait servir à fournir de l'eau à l'ancien  Temple il y a 2000 ans, le 3 janvier 2018 (Crédit :  Melanie Lidman/Times of Israel)

La soeur Celia Martin de Notre Dame de Sion dans la citerne souterraine du bâtiment d’Ecce homo, qui devait servir à fournir de l’eau à l’ancien Temple il y a 2000 ans, le 3 janvier 2018 (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

La salle de prière du couvent Ecce Homo du Centre de Formation Biblique ressemble exactement à ce que l’on attend d’un tel espace dans un ancien couvent traditionnel catholique, niché dans la Vieille Ville de Jérusalem. Les vieilles pierres de Jérusalem étouffent les sons du marché bouillant de vie qui se trouve juste devant, un orgue imposant se dresse deux étages au-dessus de bancs en bois tandis que l’odeur de l’encens flotte dans l’air frais et sombre du couvent.

Vingt personnes sont rassemblées pour prier. Elles ouvrent leurs livres de prières, mais plutôt que le latin, les mots qu’elles prononcent sont en hébreu – la chanson populaire juive « Heiveinu Shalom Aleichem », ou « Apporte-nous la paix ».

La mission de base de la congrégation était très claire : son but principal était de prier pour la conversion des Juifs.

Au siècle dernier, la congrégation a opéré une transformation radicale, une volte-face à 180 degrés dans sa philosophie, en passant des prières pour convertir les Juifs jusqu’à inviter des professeurs juifs pour enseigner le Nouveau Testament.

Mais plutôt que de vouloir cacher les éléments moins politiquement corrects de l’histoire de leur congrégation, les sœurs parlent franchement de leur évolution, en se confrontant publiquement aux éléments plus sombres de leur histoire afin d’encourager l’ouverture d’esprit et la tolérance chez leurs étudiants.

« Nous avions des prières horribles dans notre liturgie qui étaient très condescendantes envers les Juifs », a déclaré Sœur Margaret Zdunich, la directrice du Centre Ecce Homo pour la Formation biblique. « Nous priions pour la conversion des Juifs, car c’était la norme. La politique d’évangélisation de l’église avait pour but ultime que tout le monde soit catholique ».

Theodore Ratisbonne, un important banquier juif français, a fondé la Congrégation de Notre Dame de Sion en 1843 avec le soutien de son frère Alphonse Ratisbonne. Theodore Ratisbonne s’était converti au catholicisme en 1827, et son frère avait suivi son exemple en 1842. Avant leurs conversions, les deux frères soutenaient des actions de charité au sein de la communauté juive.

Après leur conversion, les deux frères ont voulu continuer à aider les Juifs – mais ils avaient le sentiment que la meilleure façon de le faire était en priant pour que les Juifs se convertissent au catholicisme. « Quand nous avons commencé, la ‘tendance’ de l’époque était à la conversion des gens, a déclaré Zdunich. Theodore avait le sentiment que les Juifs devaient accepter Jésus pour accéder à Dieu. Il a interdit le prosélytisme, donc si nous ne pouvions pas convertir activement les Juifs, nous pouvions prier pour cela ».

Après la Shoah, les sœurs de Notre Dame de Sion ont été impliquées dans la politique polémique de l’Eglise Catholique de ne pas rendre les enfants juifs à leurs familles s’ils avaient été baptisés. Parfois, les enfants juifs qui étaient cachés dans des institutions catholiques pendant la Deuxième Guerre mondiale étaient baptisés : les responsables de l’Eglise pensaient qu’il s’agissait d’une stratégie pour les sauver des nazis. Pourtant, après la guerre, ils ont été inquiets à l’idée de rendre à leurs parents juifs des enfants convertis au Catholicisme.

« Les Enfants qui ont été baptisés ne doivent pas être confiés à des institutions qui ne seraient pas en situation de garantir leur éducation chrétienne », a statué une lettre du Vatican datée de 1946, qui examinait la question des enfants juifs baptisés.

La polémique s’est cristallisée autour de l’histoire de deux enfants juifs français, Gerald et Robert Finaly. Les parents des enfants les ont envoyés dans une crèche catholique en 1944, avant qu’ils ne soient déportés à Auschwitz et assassinés. Leur nourrice française catholique les a secrètement baptisés.

Lors d’une longue procédure judiciaire, les sœurs de Notre Dame de Sion et certains prêtres ont aidé à faire partir en secret les enfants vers l’Espagne en 1953 afin de ne pas avoir à rendre les enfants à des membres de leur famille juive. La police a arrêté plusieurs sœurs et prêtres qui étaient impliqués dans l’enlèvement, et les enfants Finaly ont pu être réunis à leur tante et à leur oncle après une bataille juridique de huit ans.

Toutes les sœurs de Notre Dame de Sion n’ont pas soutenu cette position. De nombreuses sœurs ont caché des enfants juifs pendant la Shoah en prenant elles-mêmes de grands risques, elles n’ont pas essayé de les convertir ou de les baptiser et ont rendu les enfants avec joie aux familles qui avaient survécues.

Yad Vashem, le musée israélien de la Shoah, a reconnu sept sœurs de Notre Dame de Sion et un Père de Sion comme « Justes » pour leur sauvetage des Juifs pendant la Shoah.

Préconiser une nouvelle approche

Les arrestations liées à l’affaire Finaly ont constitué un point tournant pour la congrégation. « La sœur supérieur de l’époque a dit ‘Quelque chose ne va pas. Nous avons besoin de comprendre pourquoi nous nous comportons ainsi, pourquoi nous avons cette attitude envers les Juifs, a dit Zdunich. Nous obéissions à l’Eglise, mais nous avons commencé à militer en faveur du changement. Et, nous-mêmes n’étions pas parfaitement claires ».

Et alors que les sœurs de Sion ont commencé un processus d’introspection et de changement de direction, l’Eglise Catholique a aussi commencé une transformation massive avec le Concile de Vatican Deux. Le Pape Jean XXIII a convoqué un Concile Œcuménique, une assemblée de 2500 responsables religieux catholiques du Vatican afin de régler des questions de doctrine.

Entre 1962 et 1965, le Vatican a publié 16 documents qui ont fortement transformé l’Eglise catholique, modernisant l’Eglise afin de répondre aux changements culturels majeurs qui se sont produits à travers le monde après la Deuxième Guerre mondiale.

Avec le Concile de Vatican Deux, l’Eglise est passée d’une forteresse fermée, préoccupée par sa propre survie, à une institution religieuse plus ouverte sur le monde extérieur.

La conversion n’était plus le but ultime des interactions avec les non Catholiques. Les sœurs de Notre Dame de Sion ont joué un rôle important pour développer de meilleures relations entre Juifs et Catholiques dans le Concile de Vatican Deux.

Changer une institution hiérarchique comme l’Eglise catholique était un peu comme vouloir qu’un tanker fasse un demi-tour. De nombreux membres et dirigeants au sein de l’Eglise ont résisté aux nouvelles approches, et certaines factions continuent, encore aujourd’hui, à résister aux changements.

En 1965, le Pape Paul VI a publié Nostra Aetate, « A Notre Epoque », sur la nouvelle relation de l’Eglise Catholique avec les religions non-chrétiennes. Le document condamnait l’antisémitisme et reconnaissait le lien de parenté entre Chrétiens et Juifs, et peut-être de manière encore plus importante, a renoncé à l’idée du « déicide » – idée qui soutenait que les Juifs contemporains étaient responsables du meurtre de Jésus.

Le document notait : « Ce qui s’est passé pendant la passion de Jésus ne peut pas être imputé à tous les Juifs de l’époque, sans distinction, ni aux Juifs d’aujourd’hui. Comme l’Eglise l’a toujours considéré et continue de le considérer, le Christ, dans son amour sans limite, a subi librement Sa passion et sa mort pour les péchés de tous, pour que tous puissent obtenir le salut ».

Observez les enseignements

Après Vatican II, la congrégation de Notre Dame de Sion a continué à être en pointe de l’Eglise catholique pour sa relation avec les Juifs. Aujourd’hui, la congrégation est plus connue pour son approche unique aux textes chrétiens puisqu’elle invite des professeurs juifs à enseigner des passages du Nouveau Testament.

A Jérusalem, la congrégation dirige le centre Ecce Homo pour la Formation Biblique, une maison pour pélerins et un centre d’étude situé au cœur de la Vieille Ville du quartier musulman de Jérusalem. Le bâtiment inclut « l’Arche Ecce Homo » construite en 135 avant JC par l’Empereur Hadrien. L’arche est situé à la Deuxième Station de la Via Dolorosa, la voie qu’aurait empruntée le Christ en chemin vers la crucifixion. Ecce Homo signifie en latin de « Regardez l’Homme », ce que Ponce Pilate aurait dit à la foule avant la crucifixion de Jésus, selon le Nouveau Testament.

Le Centre de Formation biblique a ouvert en 1984 quand un prêtre doménicain et une Sœur de St Joseph ont lancé un programme d’étude biblique en langue française à Jérusalem. L’étude biblique a finalement été transférée au bâtiment de Notre Dame de Sion dans le quartier musulman, qui avait auparavant utilisé comme une école pour filles.

Aujourd’hui, le centre offre des programmes d’études intensifs focalisés sur des thématiques habituelles de fêtes comme « Pessach et Pâques » et la période de fête juive de l’automne. Le centre propose aussi des cours sur le Nouveau Testament, mais aussi sur les Evangiles de Matthieu et de Luc. Le cours examine les différentes manières dont la culture juive a affecté les vies de figures bibliques.

« Nous examinons l’Evangile dans le contexte du judaïsme, a déclaré Zdunich. Comment cela a-t-il façonné notre lecture ? Nous nous intéressons aux Evangiles, comme des midrash ou commentaires ».

Au même moment où le Centre de Formation biblique a commencé à proposer ses premiers cours, la sœur Maureena Fritz Notre Dame de Sion a aidé à la fondation de Bat Kol, un autre programme d’étude à Jérusalem. Bat Kol se focalise presque uniquement sur l’enseignement des textes juifs aux Chrétiens.

« Quand nous lisons l’Ancien Testament, nous nous disons : ‘Il y a une relation de communauté avec Dieu’, donc qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui ? », s’est demandé la sœur Celia Martin, la responsable du Centre de Formation biblique. Nous ne pouvons pas comprendre le Nouveau Testament à moins de revenir en arrière, de fouiller dans le passé, et d’avoir une bonne compréhension des écritures de [l’Ancien testament] dans une perspective juive », a-t-elle souligné.

« Il y a quelques années, j’ai fait un cours sur le Lévitique à Bat Kol, et tous les enseignants, à part deux, étaient juifs, a dit Martin. Certains chrétiens seraient tentés de dire que le Lévitique concerne des lois de pureté. Mais quand j’ai fini le cours, j’ai compris que le Lévitique traitait surtout des relations : relations à la terre, relations aux personnes, relations au sens large du terme ».

Le Dr. Marcie Lenk, une des professeurs réguliers du Centre de Formation Biblique et directrice académique de l’Institute Bat Kol, a déclaré que la congrégation de Notre Dame de Sion avait complètement changé sa vie en tant que personne et enseignante juive. Ayant reçu une éducation juive orthodoxe à Teaneck, dans le New Jersey, Lenk a déclaré sa connaissance de Christianisme se limitait à ce qu’elle avait entendu dans sa communauté : « Jésus était un Juif, les Chrétiens ont essayé de nous tuer ou de nous convertir, alors nous devrions avoir peur d’eux ».

Lenk a rencontré certaines sœurs de Notre Dame de Sion en 1990 lors d’un group d’étude inter-religieux appelé Bnei Avraham, à Jérusalem. Ses interactions avec des Chrétiens du groupe – et la prise de conscience qu’ils n’essayaient pas de tuer ou de convertir les Juifs autour d’eux – a incité Lenk à commencer à en apprendre plus sur le Christianisme et ses liens au Judaïsme. Lenk a fini par faire son doctorat sur le début du christianisme à l’Université d’Harvard ; elle enseigne aujourd’hui des textes chrétiens aux Juifs et des textes juifs aux Chrétiens.

Lenk examine le Nouveau Testament d’une perspective juive.

« Le Sermon sur la montagne [le sermon fondateur de Jésus au-dessus de la mer de Galilée, qui expose sa morale et sa philosophie] se base et se développe autour des lois des écritures juives – il s’agissait des écritures de Jésus et d’autres Juifs autour de lui, a dit Lenk. Ce sont des conversations juives éternelles sur ce que cela signifie de remplir la volonté de Dieu… à l’époque où Jésus et les Apôtres en parlaient, il s’agissait de Juifs qui avaient une discussion juive ».

Lenk, qui se difinit comme une Juive religieuse, a expliqué qu’elle aidait les Chrétiens à comprendre pourquoi certains passages du Nouveu Testament sont si offensants pour les Juifs, tout particulièrement les passages sur comment les Juifs ont tué Jésus. « En tant que juive, j’essaie d’aider ces groupes chrétiens à voir ce qu’un Juif perçoit quand il lit ce passage, même si cela ne leur sauterait pas aux yeux a priori, a-t-elle expliqué. Nous discutons sur l’influence que la lecture des écritures en elle-même peut avoir sur les relations entre Chrétiens et Juifs ».

Si certains étudiants chrétiens n’étaient pas à l’aise avec l’enseignement du Nouveau Testament par une « non-croyante », Lenk pense que sa simple présence apporte un niveau plus profond de compréhension aux discussions. Elle donne certains cours en tandem avec un professeur chrétien ou catholique, et chacun donne sa propre perspective sur le même texte.

« Si nous parlons de questions raciales et tout le monde dans la pièce est blanc, la conversation sera à un niveau, a expliqué Lenk. Quand vous faites entrer dans la pièce des gens qui sont noirs, la conversation change. Il y a l’idée que ‘oh, nous devrions écouter les choses différemment’ ».

« Je ne suis pas sûr que les mots que j’utilise ou les passages que je lis ou les interprétations que je donne de lectures soient si différentes de ce que leur propres professeurs catholiques ou chrétiens donneraient, a ajouté Lenk. Mais c’est une question d’impression, parfois les gens entendent différemment quand il y a un « autre » dans la pièce. Je suis l’autre et je pense que c’est utile. Cela a été important dans ma vie d’avoir des ‘autres’ dans mes conversations. J’ai beaucoup appris de gens qui ne sont pas comme moi, maintenant, c’est à mon tour d’être ‘l’autre’ ».

Lenk, qui est aussi directrice du programme de Leadership chrétien de l’Institut Shalom Hartman à Jérusalem, a dit que l’ouverture d’esprit pour entendre des perspectives différentes dans la foi sert à renforcer les liens vis-à-vis du texte plutôt qu’à les affaiblir.

« Quand nous nous retranchons dans nos convictions religieuses, nous n’avons pas beaucoup de respect pour les autres. Mais en nous ouvrant vraiment à une compréhension profonde des autres religions et des autres communautés, cela nous pousse à nous occuper d’eux, non pas parce que c’est poli ou sans danger, mais pour les connaître véritablement. C’est la base d’une meilleure pratique de la religion, d’une foi plus profonde. Si j’ai peur de mieux connaître quelqu’un d’autre, qu’est-ce que cela dit sur la superficialité de ma propre foi, qu’elle est toujours en danger ? »

Apprendre de « l’autre »

Au cours des 50 dernières années, les sœurs de Notre Dame de Sion ont cultivé l’idée que l’on pouvait apprendre des communautés juives. Zdunich se rappelle d’un certain nombre de sœurs qui ont étudié au Collège Leo Baeck, une école rabbinique juive réformée à Londres, tout en portant leur habit complet et leur voile de nonne. La congrégation ne porte plus ces habits, mais il y a encore une sœur à Leo Baeck, et elle rédige actuellement son doctorat.

Comme de nombreuses institutions rabbiniques, la congrégation exige des jeunes femmes qui veulent devenir des sœurs de Notre Dame de Sion d’effectuer une année d’étude à Jérusalem. Zdunich a déclaré qu’ils considèrent qu’un des éléments les plus importants pour construire un respect inter-religieux se retrouve dans une présence physique en Israël, pour vivre dans un pays à majorité juive.

« Une partie importante du programme [du Centre de Formation Biblique] consiste à faire découvrir la ville aux participants, a déclaré Zdunich. Nous emmenons des groupes à Yad Vashem. C’est une expérience intense pour les gens, nos étudiants sont vraiment très internationaux ; nous avons beaucoup d’étudiants d’Asie, d’Inde, et d’Afrique, des endroits où il n’y a pas de grandes communaués juives et ils ne connaissent pas forcément l’histoire de la Shoah ».

« Je ne peux pas vous dire combien de gens disent que ce programme a changé leurs vies, a continué Zdnich. Ils disent ‘je ne lirai plus jamais les Ecritures de la même façon. Ils découvrent un Judaïsme vivant, et c’est une prise de consciende très forte ».

Patricia O’Reilly, la directrice de Programme de Développement au Centre Ecce Homo de Formation Biblique, a dit que l’enseignement des textes chrétiens dans une perspective juive a beaucoup de sens quand cela se déroule à Jérusalem.

« Regardez ce lieu, a dit O’Reilly. En dehors des classes, une terrasse donne sur une vue panoramique de la Vieille Ville. Le sanctuaire du Dome du Rocher brille au soleil, les flèches des Eglises pointent vers le ciel, les bâtiments en pierre blanche de Jérusalem embrassent les contours de la terre ».

« Nous sommes à cinq minutes à pied du mur Occidental, de l’Eglise du Saint Sépulcre, et du mont du Temple, a-t-elle dit. On voit l’archéologie et la foi. Dès qu’il arrivent, une bonne partie du travail est déjà faite, parce que l’endroit est si magnifique ».

 

 

 

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