NdlR : un sujet polémique, vieux de 2000 ans, et qui ressurgit… suffisamment étrange pour y regarder.
Un rouleau de la mer Morte, vieux de 2 000 ans, déchiffré :
Ecrit en ancien hébreu crypté, l’un des derniers rouleaux publiés détaille la scission et les luttes de pouvoir de la secte de Qumran avec Jérusalem sur le contrôle du calendrier
La note, qui est le récit détaillé de la manière dont s’observe la fête ésotérique de l’offrande du bois, a été coupée en six fragments. Elle commence entre deux colonnes mais la direction de l’écriture se met soudainement à dévier. Ratson s’est alors demandée s’il s’agissait du même écrit. Et c’est l’étudiant en doctorat Asaf Gayer, dans les laboratoire de Haïfa, qui lui a alors suggéré que le scribe n’avait pas eu peut-être suffisamment d’espace entre les colonnes et avait donc changé la direction de l’écriture.
Ecoutant la suggestion de Gayer, elle a alors commencé à ré-assembler les morceaux de la note de marge. Ce qui lui a permis de relier les fragments de différentes colonnes et d’apporter de la cohésion dans le texte.
« Parfois, on a juste besoin de trouver le ‘truc’ au début et ça fonctionne après », dit-elle.
Ratson estime que les 60 fragments qui ont été assemblés ne forment que la moitié du rouleau original. Toutefois, dans la mesure où le texte respectait une formule bien connue trouvée dans les autres rouleaux calendaires, elle a pensé pouvoir reconstruire de manière convaincante le texte sur la base de demi-mots ou de suggestions de phrases.
« Une fois qu’on trouve quelques phrases, on peut deviner le reste », explique Ratson. « Si on pense à un puzzle, quand on commence, on n’a pas l’image devant soi – mais au bout d’un moment on devine ce qu’on doit attendre et on comprend donc comment rassembler les pièces ».
Mizrahi, de l’université de Tel Aviv, accepte la reconstruction du texte telle qu’elle a été conçue – sous la forme d’une vue d’ensemble – de Ratson. Il ajoute néanmoins que dans la mesure où la plus grande partie du langage convenu s’est également basée sur des fragments incomplets, il peut y avoir des manques.
« Nous devons toujours faire attention à la reconstruction textuelle mais ce genre particulier est très convenu », estime Mizrahi. « La reconstruction est relativement sûre, mais il faut garder à l’esprit qu’elle est schématique et qu’elle manque de précision », ajoute-t-il. Si reconstruction du texte offre un pont de vue global, un mauvais assemblement ou une disparité ici et là ne surprendront pas les spécialistes et ne nuiront pas à la vue d’ensemble.
Ce rouleau, ainsi que huit autres rouleaux de la mer Morte, ont été rédigés dans ce que le spécialiste Milik qualifie « d’écriture cryptique A ».
Déchiffrée dans les années 1950, cette écriture est un code de remplacement, explique Ratson. Le scribe remplaçait des lettres en hébreu par d’autres lettres de l’alphabet ou par des signes particuliers, notamment des lettres inversées ou des symboles similaires aux lettres grecques ou paléo-hébraïques, dit-elle. « C’est un simple cryptage… La langue en elle-même reste l’hébreu ».
Ben-Dov émet l’hypothèse que ce cryptage soit « une affaire de prestige ». Mizrahi en convient, disant que « écrire en écriture ésotérique possède une forme de fonction sociale. Le lecteur se sent très important parce qu’il comprend des choses que les autres ne peuvent pas déchiffrer ».
En même temps, dit Ratson, tout ce qui a pu être déchiffré en écriture cryptique A a été découvert également en écriture non-cryptée – ce qui laisse aux spécialistes le soin de continuer à chercher à déterminer quel était l’intérêt de son utilisation.
Celui qui contrôle le temps contrôle le monde
La note de marge qui a amené Ratson à déchiffrer l’énigme du rouleau concernait la fête de l’offrande du bois. Elle est mentionnée dans la bible, dans le livre de Néhémie : « De même que les prémices. Souviens-toi favorablement de moi, ô mon Dieu ! ». Cette célébration est une fête presque inconnue dans la littérature rabbinique.
« Chaque nouveau texte a pu éclairer certains aspects de l’antiquité », dit Mizrahi.
« Ce texte en particulier vient rajouter un élément qui n’est pas suffisamment pris en compte – une fête controversée. Certains ont ressenti le besoin pressant de l’ajouter post-factum, en insistant sur le fait que cette réjouissance devait tomber à telle ou telle date. Le texte original ne dit pas cela. Et nous, qui n’entendons plus parler du tout de cette fête, nous pourrons dorénavant tenter de reconstruire la controverse légale et religieuse qu’elle avait soulevée », ajoute Mizrahi.
La controverse, dit-il, reste vraiment concentrée sur la pratique appropriée du culte au temple de Jérusalem – « ce qui est une polémique bien plus compliquée portant sur la vie religieuse de cette période », estime Mizrahi.
Le calendrier complexe détaillé dans le rouleau est basé sur un système symétrique de 364 jours. Selon l’article, « les membres des Yahad [secte de Qumran] avaient adhéré à une année de 364 jours, qui était différente de l’année lunaire-solaire du temple de Jérusalem et de l’état hasmonéen… Le nombre de 364 jours se divise soigneusement par sept, un chiffre typologique qui a une connotation religieuse significative. Chaque période de 364 jours contient exactement cinquante-deux semaines, un fait qui permet d’ancrer les fêtes dans des journées semaine fixes, pendant la semaine, ce qui évite qu’elles ne coïncident avec le Shabbat. En plus, le nombre 364 se divise par quatre également, ce qui offre une bonne symétrie avec les quatre saisons, chacune d’entre elles contenant très exactement 91 jours ».
Il n’y a qu’un seul problème : Le calendrier ignore complètement la propriété naturelle de la rotation de la terre autour du soleil en 365 jours (et un quart) par an, et ce qui aurait par conséquent repoussé les saisons au fil des décennies par rapport à leur rythme naturel.
Mais le principe dissimulé derrière l’obsession de la secte de son calendrier et de ses calculs est très instructif et permet d’apprécier le contrôle social du temple de Jérusalem – en raison de la rébellion de la secte contre lui. En exemple, il faut citer la note de marge consacrée à la fête de l’offrande du bois qui, dans la littérature rabbinique, s’étend sur neuf jours durant l’année, et qui est observée par la secte pendant six jours à la fin de l’année.
« Le calendrier ressemble à un aspect technique de ce rouleau mais il est, en fait, très significatif », commente Ratson.
« Nous pensons au temps comme à un moyen de coordonner les activités des individus au sein de la société, mais c’est un élément très politique. Ce calendrier en particulier est probablement l’une des raisons qui auront motivé l’établissement de la secte, l’une des raisons pour lesquelles elle a quitté le temple », explique-t-elle.
Ratson suppose que le calendrier incarne un élément primordial dans les différences existant entre les sectes parce que « celui qui décide du calendrier décide du culte au temple ». Et celui qui contrôle le temple contrôle le lien avec la diaspora juive et l’économie : « Les citoyens paient des impôts conformément au calendrier ».
« Celui qui contrôle le calendrier contrôle tous les aspects de la vie », dit Ratson. La secte de Qumran ne pouvait accepter une autorité construite par l’homme. « Son calendrier est établi depuis le début de la création : C’est le calendrier décidé par Dieu ».
Révélé par des anges, « ce calendrier est parfait », ajoute Ratson, « et il a fait disparaître les conflits qui étaient apparus à cause du calendrier normatif rabbinique dans lequel, par exemple, les fêtes tombaient le jour du Shabbat, ce qui obligeait les fidèles à se demander ce qui était le plus important en termes de pratique. A Qumran, lorsque les saisons changeaient, les membres de la secte blâmaient pour cela les ‘étoiles pécheresses », s’amuse Ratson, et certainement pas leur « calendrier parfait ».
Hors des écrits de Qumran et de quelques autres traditions contemporaines, le calendrier de 364 jours a finalement disparu de l’histoire.
« Chaque nouveau texte nous apprend quelque chose sur cette image compliquée qui reflète la vie religieuse et intellectuelle », dit Mizrahi. « C’est gratifiant de voir la manière dont de minuscules fragments peuvent s’avérer être si plein de sens ».
Ratson travaille dorénavant sur le second rouleau de Torah non-publié – un rouleau astronomique calendaire – qui est également écrit en cryptique A.
Mais qu’il s’agisse véritablement du dernier rouleau non-publié n’est pas encore une certitude. Au cours de l’année passée, les chercheurs de la bibliothèque numérique des rouleaux de la mer Morte de l’IAA ont découvert plusieurs boîtes de fragments qui n’avaient jamais été sortis, extraits de la grotte 11 de Qumran, dans la pièce de stockage de l’IAA réservée aux rouleaux.
Selon une récente lettre d’information publiée par le Centre Orion pour l’étude des rouleaux de la mer Morte et littérature associée à l’université Hébraïque, « dans leur majorité, ces boîtes n’ont jamais été examinées de manière systématique et les fragments n’ont jamais été mis en images ».
Un chercheur de l’IAA, Oren Ableman, a ouvert une boîte dont il a extrait 82 fragments dans un état relativement médiocre. « Dans certains cas, il a été possible de les déchiffrer, de lire des mots entiers et même d’identifier les manuscrits auxquels appartiennent sans doute ces fragments », selon la lettre d’information.
Le travail d’Ableman, ainsi qu’une initiative conjointe menée par le gouvernement et l’AAI de recherches dans les grottes qui hébergent les rouleaux de la mer Morte, continue – et il est très attendu.