Passeport vaccinal: l’UE avance, la France n’y coupera pas
Petit à petit, l’idée d’un « laisser-passer » pour les personnes vaccinées fait son chemin en Europe. A Bruxelles, la création d’un passeport harmonisé « interopérable » est en marche depuis le mois dernier. Et la France pourrait ne pas avoir d’autre choix que de suivre le mouvement. « Dans les aéroports, cela va s’imposer peu à peu, comme les tests PCR aujourd’hui », annonce un diplomate français à France Inter. Pour autant, pas question de déployer ce document, vraisemblablement numérique, trop rapidement. « Aujourd’hui, on ne peut pas dire : ‘Mauricette peut aller voyager et boire un coup, et pas vous’. Autrement on prépare des émeutes », s’inquiète un ministre rattaché au Quai d’Orsay. Le passeport vaccinal, s’il voit le jour, sera donc mis en place seulement quand tous les Français auront eu la possibilité de se faire vacciner.
L’Union européenne a annoncé qu’un «passeport vaccinal» était à l’étude et serait présenté dans le courant du mois de mars, avant une possible adoption par ses États membres. Si la France semble encore sceptique, rien ne semble pouvoir empêcher la généralisation d’un tel certificat. Décryptage.
Passeport vaccinal, nouvel épisode. Cette fois-ci, l’Union européenne s’en mêle. Lundi 1er mars, la présidente de la Commission européenne a annoncé qu’elle présenterait en mars un passeport attestant d’une vaccination ou d’un test négatif au Covid-19. Objectif? «Permettre graduellement aux Européens de se déplacer en sécurité au sein de l’UE ou en dehors, pour le travail ou du tourisme», a expliqué sur Twitter Mme von der Leyen.
Il y a encore quinze jours, l’ancienne ministre allemande assurait encore que l’instauration d’un «passeport vaccinal» était «prématurée». «Tant que tous les citoyens n’ont pas eu la possibilité de se faire vacciner, les certificats ne devraient pas être utilisés à d’autres fins», affirmait-elle ainsi dans une interview donnée aux Échos le 16 février dernier. Comment expliquer un tel revirement?
La limitation de liberté de circulation ne peut être que «provisoire»
Pour l’heure, un test PCR négatif de moins de 72 heures est exigé aux voyageurs (hors travailleurs frontaliers) provenant de l’Union européenne désirant entrer sur le territoire français. La plupart des pays de l’UE réclament eux aussi un test récent pour accéder à leur sol. Mais cette limitation de la libre circulation des personnes au sein même de l’espace Schengen n’a pas vocation à durer, d’où la réflexion actuelle sur le passeport vaccinal. «La limitation de la liberté de circulation dans l’espace Schengen doit être par définition circonstanciée, c’est-à-dire limitée dans le temps et justifiée», explique ainsi Michel Nassar, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit européen.
Au tout début de la crise sanitaire, la plupart des pays de l’UE avaient purement et simplement fermé leur frontière intérieure devant la nécessité de contrôler l’épidémie. Une mesure parfaitement légale, souligne l’avocat Aurélien Raccah, qui précise au micro de Sputnik que cette «exception au régime de libre circulation des personnes ne peut excéder deux ans et doit être renouvelée tous les six mois.» Et le maître de conférences à l’Université catholique de Lille d’ajouter:
«Dans le cadre de l’espace Schengen, les États peuvent réinstaurer des frontières temporaires, en l’occurrence pour des raisons de santé publique qui sont parfaitement justifiées.»
Les détracteurs du passeport vaccinal dénoncent cependant un risque de discrimination de fait entre les vaccinés et les non-vaccinés. Pour le moment, moins de 5% de la population de l’Union européenne est vaccinée.
Passeport sanitaire, «une société à deux vitesses»?
Dimanche 28 février, le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, reconnaissait d’ailleurs sur France Info que la vaccination ne pouvait «être le sésame unique de la réouverture des activités, sinon on crée une société à deux vitesses, très injuste.»
D’un point de vue juridique, Me Aurélien Raccah estime pourtant que le terme de «discrimination» n’est pas adapté. «Il n’y aurait pas de “discimination” au sens du droit européen, car le passeport vaccinal n’implique pas une rupture d’égalité sur une base non objective, par exemple en fonction de la nationalité», détaille l’avocat.
«Tout dépendra de l’application de ce passeport vaccinal: si le droit de voyager est conditionné au vaccin, cela risque de poser problème», nuance Michel Nassar au micro de Sputnik. «En revanche, s’il peut y avoir un assouplissement supplémentaire pour les vaccinés par rapport à la situation actuelle avec les tests PCR négatifs et les isolements, je n’y vois pas de difficulté.»
Selon Les Échos, Bruxelles réfléchit justement à la possibilité d’intégrer les tests PCR négatifs au passeport de libre circulation. Reste un enjeu majeur: quid de la protection des données avec ce fameux «passeport vert»?
Risques sur la protection des données personnelles?
L’argument de la menace portée contre les libertés fondamentales est ainsi brandi par une partie de la classe politique française. «Qu’à l’intérieur du pays, on veuille enregistrer tous les Français, avoir leurs conditions de santé et que, pour circuler […], on soit obligé de montrer patte blanche, je le combattrai de toutes mes forces», a par exemple tempêté ce dimanche 28 février sur Europe 1 Nicolas Dupont-Aignan, quand le député LR Julien Aubert a de son côté fustigé un système «pervers» sur Twitter.
Difficile en effet d’imaginer une protection scrupuleuse des données médicales transmises au moment de la création du passeport vaccinal. Ce dernier serait soumis au Règlement général sur la protection des données (RGPD), instauré en 2016 dans l’UE, mais rien n’indique que ce dispositif juridique puisse assurer une opacité totale des données et empêcher des fuites.
«Les dispositions du RGPD prévoient que la personne concernée donne son accord. En tout état de cause, chacun devrait pouvoir demander le retrait de certains fichiers s’il le souhaite. Cela ne pose pas de problème, tant que l’Union européenne ne délègue pas cette gestion à une entreprise privée qui pourrait en faire un usage commercial!», prévient ainsi Me Raccah.
De son côté, Me Nassar suggère aux autorités publiques de «s’inspirer de ce qui est fait dans les cryptomonnaies avec la blockchain», afin d’éviter que les données personnelles de chacun ne tombent entre de mauvaises mains.
«Il n’y aurait pas de centralisation de la base de données, c’est-à-dire qu’elles ne seraient stockées dans aucun endroit en particulier. Les données seraient ainsi cryptées et permettraient d’anonymiser totalement les informations recueillies par le passeport vaccinal. Cela se fait déjà avec les téléconsultations de médecine actuellement», illustre l’avocat.
Quoiqu’il en soit, la pression de certains pays très tributaires du tourisme, tels que la Grèce ou l’Autriche, pour accélérer la préparation de ce document pourrait décider l’UE à agir au plus vite. Angela Merkel a d’ores et déjà annoncé que des passeports vaccinaux seraient rendus disponibles «avant l’été» dans l’UE, tandis que deux pays membres de l’UE et de l’espace Schengen, la Suède et le Danemark, ont déjà mis en place, pour leurs ressortissants, des certificats électroniques destinés aux voyages à l’étranger.En France, le «pass sanitaire» évoqué par Emmanuel Macron le 28 février dernier pour conditionner l’accès aux bars, commerces et restaurants constitue probablement une première étape vers des mesures plus contraignantes. «J’ai comme l’impression qu’Emmanuel Macron nous présente les prémisses du passeport vaccinal européen avec le “pass sanitaire”», confie ainsi Michel Nassar.
“On n’aura pas le choix” : un ministre admet l’adoption prochaine du passeport vaccinal
Ce membre haut placé du gouvernement estime que “quand tous nos voisins européens l’auront mis en place”, la France sera obligée de s’aligner.
L’Italie, l’Espagne, la Suède, le Danemark et l’Estonie l’envisagent. La Grèce et Chypre ont signé un accord avec Israël pour la libre circulation de leurs ressortissants. La France va-t-elle aussi céder aux sirènes du passeport vaccinal ? « Quand tous nos voisins européens l’auront mis en place, on n’aura pas le choix pour voyager, et éviter les quarantaines », concède un ministre haut placé à France Inter. « Le jour où 20% de la population française refusera de se faire vacciner, il faudra qu’ils assument », martèle-t-il aussi.
« Cela va s’imposer peu à peu »
Petit à petit, l’idée d’un « laisser-passer » pour les personnes vaccinées fait son chemin en Europe. A Bruxelles, la création d’un passeport harmonisé « interopérable » est en marche depuis le mois dernier. Et la France pourrait ne pas avoir d’autre choix que de suivre le mouvement. « Dans les aéroports, cela va s’imposer peu à peu, comme les tests PCR aujourd’hui », annonce un diplomate français à France Inter. Pour autant, pas question de déployer ce document, vraisemblablement numérique, trop rapidement. « Aujourd’hui, on ne peut pas dire : ‘Mauricette peut aller voyager et boire un coup, et pas vous’. Autrement on prépare des émeutes », s’inquiète un ministre rattaché au Quai d’Orsay. Le passeport vaccinal, s’il voit le jour, sera donc mis en place seulement quand tous les Français auront eu la possibilité de se faire vacciner.
Bientôt des passeports pour aller… au restaurant ou au musée ?
Dès lors, la nécessité d’un tel document pour aller au restaurant, dans les lieux culturels et sportifs ou même dans les transports en commun se posera. Mais cette hypothèse divise la classe politique et le gouvernement. Si plusieurs parlementaires, dont le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, y sont favorables, un conseiller de l’exécutif s’inquiète auprès de France Inter qu’une telle mesure fasse paraître la vaccination comme « obligatoire », « contrairement à la promesse du président ». Pour un ministre interrogé par la radio, cette question « nécessitera, en tout cas, un débat parlementaire, scientifique et éthique ».