Malgré l’adoption du budget, l’unité de la coalition reste menacée
Plusieurs questions litigieuses déchaînent les passions au sein du gouvernement, qui tente de se forger une vie « stable » au-delà du budget
Par Raoul Wootliff 9 novembre 2021, 13:07
- Les membres de la coalition posent pour une photo après l’adoption du budget 2022, le 5 novembre 2021 (Crédit : Idit Silman, via twitter)
Samedi soir, lors d’une conférence de presse et aux côtés du ministre des Affaires étrangères Yair Lapid et du ministre des Finances Avigdor Liberman, le Premier ministre Naftali Bennett a salué l’adoption d’un nouveau budget comme la fin de « trois années d’instabilité. »
La Knesset a adopté le budget 2022 d’Israël tôt vendredi matin, levant ainsi le dernier obstacle de cette législation complexe et couronnant un succès majeur pour l’alliance gouvernementale de Naftali Bennett, plusieurs fois critiquée car composée de huit partis idéologiquement disparates. Le budget 2021 a lui été approuvé tôt jeudi.
Si le budget 2021 n’avait pas été adopté avant le 14 novembre, le gouvernement aurait été dissous et des élections anticipées auraient été organisées, les cinquièmes en deux ans.
Naftali Bennett a toutefois déclaré que la coalition avait « adopté un budget qui assurera la stabilité politique et financière… Le fait que nous ne soyons pas au milieu du cinquième scrutin est une bénédiction et un grand cadeau pour l’État d’Israël. » « Le gouvernement est stable. Il ira jusqu’au bout de son mandat », a-t-il déclaré. Le Premier ministre Naftali Bennett, aux côtés du ministre des Affaires étrangères Yair Lapid (à gauche) et du ministre des Finances Avigdor Liberman, s’exprime lors d’une conférence de presse à Jérusalem, le 6 novembre 2021 (Haim Zach/GPO)
Mais alors que le Premier ministre – accompagné de Yair Lapid et Avigdor Liberman – rêvait de présenter un front gouvernemental uni pour l’avenir, plusieurs questions potentiellement litigieuses menacent déjà le calme relatif au sein de l’alliance.
Il y a quelques semaines, des dissensions autour de plusieurs mesures prises par le nouveau gouvernement concernant le conflit avec les Palestiniens ont amené les partis de gauche de la coalition à affirmer qu’ils avaient été écartés et à mettre en garde contre une confrontation imminente.
Avec l’adoption du budget, certaines de ces questions, ainsi qu’un certain nombre de mesures concernant le chef de l’opposition Benjamin Netanyahu, semblent se présenter comme des dangers possibles pour la stabilité promise par Naftali Bennett.
1. Pas de place pour le consulat américain à Jérusalem
Répondant aux questions de la presse samedi soir, Naftali Bennett et Yair Lapid ont présenté un front uni dans leur opposition à la réouverture par les Etats-Unis de leur consulat pour les Palestiniens à Jérusalem.
Le Premier ministre a déclaré qu’ »il n’y a pas de place pour un consulat américain au service des Palestiniens à Jérusalem ». Cette position a été transmise à Washington « à la fois par moi-même et par le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid », a-t-il déclaré avant d’ajouter : « Nous exprimons notre position de manière cohérente, calme et sans drame, et j’espère qu’elle est comprise. Jérusalem est la seule capitale d’Israël. »
Yair Lapid a soutenu Naftali Bennett en disant que « si les Américains veulent ouvrir un consulat à Ramallah, nous n’avons aucun problème avec cela.. Mais la souveraineté à Jérusalem appartient à un seul pays – Israël ».
Mais certains membres de la coalition – notamment les travaillistes de centre-gauche et le Meretz de gauche – sont plus ouverts à la position américaine, et moins disposés à risquer une confrontation avec les États-Unis sur cette question.
Yair Lapid a rejeté l’idée selon laquelle le gouvernement étant plus stable après l’adoption du budget, les dirigeants pourraient être plus disposés à s’attaquer à un sujet aussi délicat sur le plan politique.
« Ce n’est pas une question de politique. C’est une objection israélienne de principe à l’ouverture d’un consulat à Jérusalem. » Le consulat américain à Jérusalem le 27 octobre 2021. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le président américain Joe Biden s’est engagé à rouvrir le consulat, mais la question a été un point de friction entre Israël et les États-Unis, ainsi que parmi certains membres du Congrès américain. Le consulat a été fermé par le président américain de l’époque, Donald Trump, en 2019 et son personnel a été intégré à l’ambassade américaine – qui avait été déplacée de Tel-Aviv à Jérusalem un an plus tôt – dans ce que les Palestiniens ont considéré comme une dégradation de leurs liens avec les États-Unis.
Fin octobre, un haut fonctionnaire du département d’État américain a déclaré aux sénateurs que l’autorisation d’Israël serait nécessaire avant que les États-Unis puissent rouvrir leur consulat à Jérusalem au service des Palestiniens.
Interrogé sur la question lors d’une conférence de presse aux côtés de Lapid à Washington il y a deux semaines, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a réitéré l’intention de l’administration Biden de poursuivre le projet.
« Comme je l’ai dit en mai, nous allons poursuivre le processus d’ouverture d’un consulat dans le cadre du renforcement des liens avec les Palestiniens », a-t-il déclaré.
Toutefois, à huis clos, Yair Lapid aurait averti Antony Blinken qu’une telle démarche risquerait de renverser la coalition gouvernementale composée de partis dont l’idéologie recoupe l’ensemble du spectre politique. Le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid, le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis Sheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyan participent à une conférence de presse conjointe au Département d’État à Washington, le 13 octobre 2021. (Crédit : Andrew Harnik / POOL / AFP)
2. Projets de construction à Jérusalem-Est
Dans un autre sujet concernant à la fois les Palestiniens et les États-Unis, le gouvernement israélien fait discrètement avancer plusieurs projets de construction controversés dans et autour de Jérusalem, dans une démarche qui, selon les critiques, ouvrira la voie à une croissance rapide une fois que le climat politique aura changé.
La semaine dernière, alors que Yair Lapid rencontrait des responsables américains à Washington, un comité de planification local à Jérusalem a approuvé l’expropriation de terres publiques pour le quartier controversé de Givat Hamatos, qui couperait en grande partie les parties palestiniennes de Jérusalem-Est du sud de la Cisjordanie.
Le même comité a avancé des plans pour la construction de 470 logements dans le quartier existant de Pisgat Zeev à Jérusalem-Est. Et les autorités ont prévu une audience le 6 décembre pour un autre projet de construction de 9 000 logements à Jérusalem-Est, dans le quartier d’Atarot, à la limite nord-est de la ville.
Un organe militaire a, quant à lui, prévu deux réunions dans les semaines à venir pour discuter d’un projet d’implantation de 3 400 logements sur une colline aride située à l’extérieur de Jérusalem et connue sous le nom de E1. Selon ses détracteurs, ce projet diviserait largement la Cisjordanie, rendant impossible la création d’un État palestinien viable aux côtés d’Israël. Une solution à deux États est toujours considérée au niveau international comme la seule façon réaliste de résoudre le conflit.
Cette solution est fortement soutenue par les travaillistes et le Meretz, dont la position critique à l’égard de la construction dans les implantations est en contradiction avec l’idéologie pro-implantations de Yamina dirigé par Naftali Bennett, de Tikva Hadasha de Gideon Saar et d’Yisrael Beytenu d’Avigdor Liberman. La zone industrielle d’Atarot, avec la banlieue de Ramallah, Kafr Aqab, en arrière-plan. (Miriam Alster/Flash90)
Israël considère l’ensemble de Jérusalem-Est comme faisant partie de sa capitale indivisible et affirme qu’il devrait pouvoir y construire à sa guise. Mais la plupart de la communauté internationale n’a jamais reconnu l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et considère les quartiers juifs de la ville comme des implantations.
Depuis 1967, tous les gouvernements israéliens ont étendu les quartiers juifs de Jérusalem-Est et les implantations de Cisjordanie, des territoires que les Palestiniens veulent pour leur futur État. Les Palestiniens considèrent les implantations et les quartiers juifs de Jérusalem-Est – qui abritent aujourd’hui quelque 700 000 personnes – comme un obstacle majeur à la paix, et la plupart de la communauté internationale les considère comme illégaux.
Israël considère la Cisjordanie comme le cœur biblique et historique du peuple juif, mais il s’est abstenu d’annexer le territoire en raison de la pression internationale et parce qu’il abrite plus de 2,5 millions de Palestiniens, dont l’absorption pourrait éroder la majorité juive d’Israël.
Alors que Naftali Bennett et un certain nombre de dirigeants de la coalition sont opposés à un État palestinien, sa coalition hétéroclite de partis issus de l’ensemble de l’échiquier politique – dont certains sont opposés aux implantations israéliennes en Cisjordanie – semble rechercher un terrain d’entente qui mettrait la question sur la touche, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
3. Le scandale des sous-marins
Si l’opposition au consulat américain à Jérusalem et le soutien à la construction en Cisjordanie irritent ceux qui se trouvent à gauche de la coalition, deux questions politiques internes brûlantes irritent certaines forces situées plus à droite.
Dimanche dernier, au début de la semaine cruciale du vote du budget, le ministre de la Défense, Benny Gantz, a soumis une demande officielle d’enquête gouvernementale sur l’ »affaire des sous-marins », un accord obscur entre Israël et un constructeur allemand de navires de guerre, qui a déjà donné lieu à de multiples inculpations. Le ministre de la Défense Benny Gantz s’exprime lors d’un événement célébrant le premier anniversaire des accords d’Abraham, au parlement israélien à Jérusalem, le 11 octobre 2021. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le scandale, également connu sous le nom d’affaire 3000, porte sur des allégations de corruption massive dans le cadre de l’achat par Israël, pour plusieurs milliards de shekels, de navires militaires – sous-marins et grands navires lance-missiles – au constructeur naval allemand Thyssenkrupp. Plusieurs des personnes impliquées dans l’accord ont été inculpées dans le cadre de cette affaire, y compris des proches de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui avait demandé l’achat, mais pas l’ex-Premier ministre lui-même.
Le scandale concerne également la vente de deux sous-marins de classe Dolphin et de deux navires de guerre anti-sous-marins par l’Allemagne à l’Égypte, qui aurait été approuvée par Benjamin Netanyahu sans consulter ni notifier le ministre de la Défense de l’époque, Moshe Yaalon, et le chef d’état-major de l’armée israélienne de l’époque, Benny Gantz. Israël s’est longtemps vu accorder un droit de veto officieux sur ces ventes par l’Allemagne.
« La formation de la commission est essentielle pour l’establishment de la défense et l’État d’Israël – si nous ne découvrons pas la vérité, nous ne serons pas en mesure de tirer des leçons pour l’avenir », a déclaré Benny Gantz dans une déclaration la semaine dernière.
Bien que les opposants à Benjamin Netanyahu réclament depuis longtemps une enquête gouvernementale sur l’affaire, ses partisans ont affirmé qu’une telle enquête serait motivée par des considérations politiques.
Alors que le parti Yesh Atid de Yair Lapid et d’autres partis de la coalition se sont prononcés publiquement en faveur d’une commission d’enquête, le parti Yamina de Naftali Bennett n’a jusqu’à présent pas commenté la proposition, à laquelle il s’était farouchement opposé avant la formation du nouveau gouvernement.
Compte tenu de la lutte politique potentielle qui pourrait éclater, le vote sur la commission a été prévu pour n’avoir lieu qu’après l’adoption du budget par le gouvernement, ce qui permet d’envisager de prochaines disputes partisanes sur la question.
4. Empêcher Benjamin Netanyahu d’entrer en fonction
Le gouvernement hétéroclite formé en juin a été surnommé le « gouvernement du changement » parce qu’il a chassé Benjamin Netanyahu du pouvoir, s’engageant à changer le discours politique après 12 ans de règne consécutif du Premier ministre le plus ancien d’Israël. Le leader de l’opposition Benjamin Netanyahu montre ses cheveux lors d’un discours à la réunion de la faction du Likud à la Knesset le 25 octobre 2021. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Afin d’y parvenir, le ministre de la justice Gideon Saar, leader du parti de droite Tikva Hadasha, a proposé une loi visant à interdire aux législateurs accusés d’un crime grave de devenir Premier ministre, ce qui, s’il est approuvé, empêcherait Benjamin Netanyahu de revenir au pouvoir.
L’amendement proposé aux lois fondamentales semi-constitutionnelles d’Israël empêcherait tout membre de la Knesset inculpé pour un crime incluant une peine minimale de trois ans et une turpitude morale d’être chargé par le président de former un gouvernement.
Un tel député ne pourrait pas non plus être inclus dans un vote de confiance dans un nouveau gouvernement ou devenir Premier ministre suppléant. La loi proposée, si elle est approuvée, entrera en vigueur après les prochaines élections, lorsqu’un nouveau Parlement aura prêté serment.
Benjamin Netanyahu est actuellement jugé pour fraude et abus de confiance dans trois cas, et pour corruption dans un cas. Il nie tout acte répréhensible et affirme être victime d’une tentative de chasse aux sorcières politique impliquant la police, les procureurs, l’opposition de gauche et les médias.
Cependant, il n’est pas clair à l’heure actuelle si le projet de loi bénéficie d’un soutien suffisant pour avancer. Selon les médias israéliens, la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked et le député Nir Orbach – tous deux membres du parti Yamina – s’opposent au projet de loi. Le parti islamiste Raam de la coalition aurait également des réserves non précisées sur la proposition.
Naftali Bennett, qui a déjà signalé qu’il s’opposerait à une telle loi, n’a pas commenté publiquement la proposition, mais le radiodiffuseur public Kan a rapporté que le mois dernier, le Premier ministre a donné à Saar « le feu vert » pour aller de l’avant avec la publication des détails du projet de loi.
Le succès de la coalition dans l’adoption du budget a été considéré comme une réprimande à l’encontre de Benjamin Netanyahu, qui n’avait pas pu, et parfois pas voulu, adopter un nouveau budget depuis 2018 au milieu d’une série d’impasses politiques, et qui avait prédit que la coalition serait incapable de diriger efficacement le pays compte tenu des idéologies concurrentes en jeu.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.