ISRAËL et les SAOUDS : pourquoi ils vont devenir alliés !

L'ARABIE SAOUDITE COMPTE SUR ISRAËLL’ARABIE SAOUDITE COMPTE SUR ISRAËL

Il est certain qu’Israël n’est plus aujourd’hui le grand Satan, lui qui a de tout temps était confronté au terrorisme, depuis les fameux Fedayin contre lesquels avait combattu Moshé Dayan. Dans le cadre d’une coalition militaire étendue à 44 pays sunnites, l’Arabie saoudite envisage de plus en plus d’intégrer Israël dans son dispositif de défense. Cette évolution a été préparée par le maître espion Yossi Cohen qui vient d’être nommé à la tête du Mossad (l’Institut), le service extérieur des renseignements.
Cet expert vétéran du Mossad a beaucoup voyagé durant une trentaine d’années en tant qu’agent secret de terrain, toujours en mouvement, au point de devenir le spécialiste des cas difficiles. Il était connu sous le sobriquet de «Monsieur Y». Il a dirigé, de 2006 à 2011, le département des ressources humaines à l’étranger qui mettait l’accent sur le recrutement et la manipulation d’agents et d’informateurs. Il a été éduqué dans l’art de traiter les affaires dans le secret. Avec lui, le Mossad ne sera plus uniquement une agence de renseignements mais une annexe du ministère des affaires étrangères, avec l’Iran et Daesh comme objectifs clés. Il avait déjà inspiré la politique étrangère israélienne qui souffre d’une absence de ministre à plein temps et de ce fait, il avait dans l’ombre beaucoup secondé Benjamin Netanyahou en étant son émissaire personnel auprès des pays avec lesquels Israël n’entretient pas de relations diplomatiques, aidé en cela par une connaissance parfaite des langues anglaise et arabe.
La diplomatie israélienne se fait de plus en plus dans le secret des antichambres royales. Yossi Cohen est très introduit auprès des pays arabes qui partagent ses inquiétudes sur un Iran nucléaire et sur un Daesh envahissant. Avec lui, le Mossad fera évoluer son activité exclusive de recherche de renseignements en se chargeant des approches avec les pays arabes et musulmans, frileux quand il s’agit d’accepter des relations officielles. Netanyahou a contourné le ministère des affaires étrangères et a préféré utiliser Yossi Cohen, à l’aise dans ses contacts, pour préparer des alliances de convenance et de circonstance avec des capitales arabes, sans chercher à ouvrir forcément des ambassades de manière prématurée. Il peut compter sur le chef du Mossad qui est un habitué des rencontres avec les monarques et les émirs arabes.
La nomination de Yossi Cohen change la donne car il est perçu comme un dur capable de modifier la stratégie israélienne vis-à-vis de l’Iran. Il s’appuie en effet sur l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Koweït, à majorité sunnite, qui ont un intérêt commun avec Israël face à un Iran nucléaire. Yossi Cohen a aussi déjà parcouru l’ensemble des capitales occidentales pour diffuser la bonne parole du gouvernement israélien. Fort d’un appui acquis de la part de pays arabes «modérés», qui sont prêts à aider Israël à éradiquer le danger nucléaire iranien, il fera de l’Iran son cheval de bataille en tant qu’expert. Par ailleurs, après les attentats de Paris, de Californie et de Londres, il placera le Mossad en première ligne pour contrer «le sombre islam radical» selon les termes de Netanyahou, afin d’assurer la sécurité nationale d’Israël.
L’État juif fait face à de nombreuses menaces venant du Hezbollah libanais, de Daesh en Syrie et en Irak, d’Iran et depuis quelques temps de l’Afrique qui est devenue une source de ravitaillement en armes pour le Hamas et les terroristes du Sinaï. Pour faire face à ces défis, Netanyahou avait besoin d’un homme avec des talents à plusieurs facettes, connaissant les hommes et la cybernétique, rompu aux techniques du renseignement et capable de réformer le Mossad pour l’ajuster aux défis actuels. Mais il ne perd pas de vue que l’Institut peut certes susciter la guerre mais aussi favoriser la paix. Yossi Cohen dispose des compétences militaires, diplomatiques et sécuritaires pour envisager l’option militaire contre l’Iran si le pouvoir politique le décidait. C’est une option qui intéresse au plus haut point l’Arabie saoudite qui a déjà apprécié son esprit fonceur et ses méthodes agressives, sinon directes, déjà appliquées sur le terrain. Il aura les mains libres pour prendre des décisions rapides, risquées et solitaires dans l’intérêt de l’État en limitant au mieux les vies humaines. Il aura surtout la capacité de conseiller le gouvernement dans le choix d’une politique géostratégique, peut-être aventureuse militairement.
Le nouveau patron du Mossad est un habitué des palais royaux et sa diplomatie secrète réussit sans faire de vagues, à petit pas, mais sans nécessairement passer par l’ouverture d’une ambassade. Israël pourrait partager des renseignements militaires avec l’Arabie et collaborer puisque son armement est exclusivement américain. Les deux pays sont prêts à contrer la réintégration de l’Iran dans la communauté internationale. Les Saoudiens ont créé leurs propres alliances pour protéger leurs intérêts nationaux.
L’Arabie saoudite aurait renoué depuis longtemps des relations avec Israël si elle n’envisageait pas d’être le leader du monde sunnite dont certains membres sont viscéralement opposés à Israël. Son idéologie figée l’empêche de reconnaître le droit à l’existence d’Israël dans ses frontières actuelles, tandis que l’État juif rejette de son côté le plan de règlement proposé par Riyad, impliquant le retour aux frontières d’avant 1967. Mais les positions politiques ont évolué poussant les deux pays à accepter des contacts officiels malgré l’absence de relations diplomatiques.  Selon des sources sécuritaires, depuis le début de l’année 2014, cinq réunions secrètes se sont tenues en Inde, en Italie et en République tchèque avec des délégués des deux pays. Le chef du Mossad s’est rendu secrètement à Riyad pour des discussions avec les responsables locaux. Le précédent directeur général de l’Agence du renseignement saoudien, le prince Bandar bin Sultan, s’était entretenu avant sa démission à Genève avec des hauts fonctionnaires des services secrets israéliens. Le prince Khaled ben Bandar ben Abdelaziz, qui est le nouveau chef des renseignements, utilise le canal marocain pour organiser les bases d’une coopération avec Israël.
À l’occasion d’une conférence à Washington, le 5 juin 2015, Dore Gold, Directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, avait rencontré en public le général Anwar Eshki Majed qui lui a présenté son plan stratégique consistant à établir une coopération entre les pays arabes et Israël pour isoler le régime iranien. Le roi Salman a par ailleurs été l’instigateur du dialogue avec la communauté intellectuelle israélienne.  Le magnat des medias saoudien, le prince Talal Bin Waleed, a exhorté toutes les nations arabes à abandonner leur «position acrimonieuse envers la nation juive afin d’œuvrer pour un Moyen-Orient plus pacifique, plus prospère et homogène». Selon le quotidien saoudien Okaz, il a ouvertement annoncé son intention de participer à un pèlerinage de sept jours en Terre Sainte pour prier dans la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, le troisième lieu saint de l’islam : «Tous mes frères et sœurs musulmans doivent comprendre qu’il est devenu un impératif moral pour tous les habitants du Moyen-Orient déchiré par la guerre, à savoir les Arabes, de cesser leur hostilité absurde envers les Juifs. Mon souverain, le roi Salman m’a chargé d’ouvrir un dialogue direct avec les liens amicaux de construction intellectuelle d’Israël avec nos voisins israéliens». Son voyage pourrait être certes le signe avant-coureur d’un projet de paix mais aussi l’assurance d’un développement d’une coopération militaire avec Tel Aviv.
En écho, le ministre saoudien du Pétrole et des Ressources minérales Ali Al-Naimi a confirmé que son pays était prêt à exporter l’or noir vers Israël. En août 2014, le chef du ministère saoudien des affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal avait déclaré à l’Assemblée mondiale de savants islamiques à Djeddah: «Nous devons rejeter la haine envers Israël et nous devrions normaliser les relations avec l’État juif». Enfin, le journaliste israélien Jacky Hugi, spécialiste des questions arabes, a repéré en juillet 2015 à Jaffa une Mercedes grise immatriculée en Arabie saoudite ce qui pourrait témoigner d’un réchauffement des relations entre Israël et l’Arabie saoudite.
Israël et l’Arabie s’étaient retrouvés unanimes dans la condamnation de l’accord nucléaire avec l’Iran. Tel-Aviv l’avait qualifié «d’erreur historique» et Riyad l’avait interprété comme une menace directe à ses intérêts nationaux. Ces prises de position avaient forcé les États-Unis à réagir rapidement en proposant aux pays du CCG de nouvelles armes modernes en grandes quantités. Mais les États-Unis, réticents à l’égard du conflit au Yémen, avaient peu appuyé l’Arabie saoudite dans son bombardement des rebelles chiites Houthis. Les Israéliens se sont substitués aux Américains pour fournir des données de renseignement. Riyad est convaincu qu’avec la levée des sanctions, l’Iran fera des progrès significatifs dans les domaines scientifiques et techniques afin d’améliorer les capacités militaires de ses forces armées. Une menace réelle se profile donc selon les Israéliens, suivis en cela par les Saoudiens. Mais les Américains ne voient pas une alliance israélo-saoudienne d’un mauvais car elle correspond à leurs intérêts au Moyen-Orient dans le cadre d’un contrepoids face à un éventuel renforcement de l’Iran. Ils y voient aussi un moyen de neutraliser les groupes radicaux islamistes. Par ailleurs les États-Unis seraient favorables à une concurrence entre Israël, la Turquie, l’Égypte, les monarchies du Golfe et l’Iran dans un but de neutralisation réciproque.
L’Arabie saoudite, aux abois, utilise la manière forte pour étouffer dans l’œuf toute contestation chiite. L’Iran se sent visé et ne peut que s’élever contre les exécutions dont sont victimes des chiites. En particulier, le 2 janvier 2016, le royaume a tué quarante-sept personnes condamnées pour terrorisme, dont le dignitaire chiite Nimr Baqer Al-Nimr, figure de la contestation contre le régime. Cette exécution envenime déjà les relations avec l’Iran qui n’aura de cesse de venger la mort des chiites. Il s’agit d’un pari risqué pour l’Arabie mais c’est peut-être le moyen de crever l’abcès et de compter ses amis. Ces exécutions arrivent au moment où la situation extérieure se complique puisqu’au Yémen, le cessez-le-feu entré en vigueur le 15 décembre dernier a été dénoncé. Des jours sombres sont à prévoir pour la coalition arabe conduite par l’Arabie saoudite. Le sécurité des Saoudiens est de plus en plus à l’ordre du jour. L’Arabie a compris que sa dernière chance de sauver son régime passe par une alliance avec Israël car, contrairement aux apparences, elle se trouve dans une situation délicate. L’Arabie veut empêcher l’Iran de dominer la région mais l’armée iranienne, même faible économiquement, est bien plus forte et stratégiquement mieux organisée que la sienne. Malgré la manne financière qui a été distribuée par l’Arabie, le Royaume reste paradoxalement très isolé alors qu’il a consacré en vain des dizaines de milliards de dollars pour maintenir l’Égypte dans son camp. Mais la révolution de Morsi a appauvri le pays qui a eu son heure de gloire ; l’Égypte n’est plus en état de s’affirmer militairement sur l’échiquier moyen-oriental. Même les alliés du CCG, à l’exception certes du Qatar, ne font pas le poids malgré un armement surdimensionné.
L’Arabie, en manque d’alliés, doit se tourner vers d’autres horizons. La Turquie, dotée d’un régime islamiste sunnite et membre de l’OTAN, aurait pu constituer un bon partenaire avec une même vision politique sur la Syrie. Mais Erdogan a beaucoup à faire avec l’insurrection kurde qui mobilise son armée, sans compter le nouveau conflit ouvert avec la Russie qui menace sa frontière nord avec ses troupes en Ukraine et sa frontière sud avec son armada en Syrie. L’Arabie, pour contrer les États-Unis, aurait pu envisager de se tourner vers la Chine qui a de gros besoins pétroliers pour sa croissance. Mais les Chinois sont peu interventionnistes et ne voient pas leur intérêt dans un conflit où tous les Grands sont déjà impliqués. L’Inde a développé de manière importante son armement et est aussi touchée par l’extrémisme islamique. Son nouveau gouvernement d’extrême-droite l’a fait basculer vers les États-Unis et surtout vers Israël qui est devenu un grand fournisseur militaire. Mais l’Inde héberge une importante minorité musulmane, à majorité chiite, et elle a toutes les raisons pour ne pas s’enliser dans un conflit qui la regarde peu.
C’est pourquoi Israël est la seule puissance forte du Moyen-Orient vers qui l’Arabie peut tourner, disposant d’un gouvernement de droite où les nationalistes font partie de la coalition. Mais même si Benjamin Netanyahou n’envisage pas à court terme la création d’un État palestinien, il reste un allié possible et probable. D’ailleurs de nombreux pays du CCG n’hésitent plus à commercer ouvertement avec Israël et certains envisagent même une normalisation des relations diplomatiques par le biais de bureaux de représentation pour commencer.
L’Arabie ne serait pas opposée à réviser sa stratégie car, sur de nombreuses questions politiques, elle se trouve en phase avec Israël. Elle est opposée au régime iranien qui soutient Bachar Al-Assad et qui arme le Hezbollah libanais. Elle veut combattre l’expansion de Daesh. Alors face à des ennemis communs, l’Arabie choisira le moins dangereux et le plus fiable, en l’occurrence Israël.

Par Jacques BENILLOUCHE

Laisser un commentaire