Pour la première fois, le Premier ministre ukrainien est Juif : Vlodymir Groysman, 38 ans, a été nommé par la coalition pour sortir le pays de la crise économique et civile ; il est le plus jeune Premier ministre du pays
Mais contrairement à beaucoup d’entre eux, Groysman, l’ancien maire de Vinnytsia, ne se rendait pas à la synagogue juste pour la politique. Il y allait en tant que membre de la communauté juive de sa ville d’Ukraine centrale.
Les députés ont voté par 257 voix contre 50 pour approuver la démission du Premier ministre Arseniy Yatsenyuk, condamné par le président Petro Poroshenko pour avoir perdu la confiance du public, et ont choisi Groysman pour le premier remaniement de gouvernement depuis la révolte ukrainienne pro-UE de 2014.
Il est la première personne ouvertement juive à occuper le deuxième poste du pays, et, à 38 ans, il est le plus jeune Premier ministre jamais nommé en Ukraine.
La judaïté de Groysman n’est pas très surprenante, même pour un maire et un politicien important en Ukraine, où vivent 360 000 personnes d’ascendance juive. Mais son ouverture à ce sujet n’est pas habituelle dans un pays où l’antisémitisme et des décennies de répression communiste ont autrefois rendu indésirable d’être vus comme Juifs pour les politiciens, a déclaré le rabbin local, Shaul Horowitz.
Fin 2014, sa réputation d’administrateur honnête et efficace a rapporté à Groysman le poste de président du Parlement ukrainien.
Depuis sa nomination à ce poste, il a su préserver un calme relatif au sein de l’assemblée même si des heurts y ont encore eu lieu, comme lorsqu’en décembre 2015 un député avait saisi par l’entrejambe le désormais ex-Premier ministre Arseniy Yatsenyuk pour l’arracher de la tribune, ce qui avait provoqué une bagarre générale.
« Il a une capacité à régler les différends et à négocier avec les gens, même les plus difficiles », assure à l’AFP l’un de ses collaborateurs sous couvert de l’anonymat.
Josef Zissels, dirigeant de l’organisation Vaad des Juifs ukrainiens, a souligné que l’ascension de Groysman en politique est une preuve de l’absence d’antisémitisme sérieux en Ukraine. La Russie a régulièrement pointé l’antisémitisme présumé du pays pour justifier son conflit avec l’Ukraine, et l’annexion de la Crimée.
« Clairement, la nomination de Groysman montre le contraire », a déclaré Zissels à propos de ces affirmations.
La nomination de Groysman lundi a suivi la démission la veille de Yatsenyuk en raison de son échec apparent à combattre la corruption et à mettre en place des mesures de restructuration économique.
« Je sais que nous nous trouvons dans des conditions extrêmement difficiles, que le gouvernement a une énorme responsabilité et que les défis qu’il affronte sont simplement gigantesques », a déclaré Groysman mercredi à propos de la dette de 17 milliards de dollars de l’Ukraine au FMI [Fonds monétaire international], de la crise financière qui a diminué de moitié la valeur de la devise nationale face au dollar et du conflit avec la Russie. « Je sais aussi qu’avec le soutien des citoyens ukrainiens, nous mettrons fin à cette crise. »
Mais pour beaucoup, Groysman qui, contrairement à son prédécesseur, ne parle pas anglais, manque de l’expérience et de la fermeté nécessaires pour mettre en œuvre des réformes difficiles et faire face aux puissants oligarques qui dominent encore la vie politique ukrainienne.
Lui-même a promis de poursuivre les réformes exigées, notamment pour la reprise de l’aide financière occidentale cruciale pour Kiev. « Je suis bon pour ça. Je suis capable de travailler 24 heures par jour », a-t-il lancé.
Si, selon un de ses anciens conseillers s’exprimant sous couvert de l’anonymat, Arseniy Yatsenyuk avait une vision « globale de la situation », « ce n’est pas le cas de Groysman » dont la « vision du monde se limite à Vinnytsia » et qui « n’est pas prêt à entrer en conflit avec Poroshenko ».
Son image de fidèle du président s’est toutefois un peu estompée au fil des négociations sur le nouveau gouvernement, quand Groysman s’est fermement opposé aux tentatives de Poroshenko de placer ses personnes de confiance à des postes clés dans son cabinet.
Horowitz est l’un de ceux qui pensent que Groysman réussira là où d’autres ont échoué. Le rabbin souligne le bilan de Groysman en tant que maire de sa natale Vinnytsia.
« C’est un homme d’action qui ne parle pas trop mais en fait beaucoup », a déclaré Horowitz.
Quand Groysman, avocat pourvu d’une formation commerciale, est devenu maire en 2006 (à 28 ans, il a été le plus jeune maire de l’histoire du pays), « l’endroit ressemblait à une ville du tiers monde », s’est rappelé Horowitz. Quatre ans plus tard, il est réélu avec 78 % des suffrages.
« Les routes étaient délabrées, il n’y avait pas de lumière dans la rue, les feux éclataient régulièrement », a-t-il dit.
Mais aujourd’hui, Vinnytsia, une ville étendue de 370 000 habitants, a un système de tram fiable, l’une des meilleures gares d’Ukraine, des lumières partout dans la rue et trois nouveaux hôpitaux.
‘C’est un homme d’action qui ne parle pas trop mais en fait beaucoup’
En utilisant des relations internationales et en attirant des oligarques pour installer des magasins dans la ville, Groysman a presque doublé son budget de 500 millions de hryvnia [la devise ukrainienne] en 2007 à presque un milliard de hryvnia en 2010.
« Si Groysman fait pour l’Ukraine ce qu’il a fait pour Vinnytsia, alors il aura fait quelque chose de vraiment formidable pour cette nation », a déclaré Koen Carlier, un citoyen belge qui vit à Vinnytsia, où il dirige les opérations du groupe local des Chrétiens pour Israël.
Pour relancer l’économie de sa ville, Groysman a utilisé ses relations avec Israël. Il a de la famille à Ashdod, où se rend régulièrement son père, Boris, 69 ans. En 2012, Groysman a accueilli le ministre des Affaires étrangères d’Israël, Avigdor Liberman, à Vinnytsia pour l’ouverture d’un centre de diagnostic médical de pointe qu’Israël a construit.
Ce projet a démontré le talent de Groysman à utiliser son large réseau pour répondre aux besoins de ses électeurs et partenaires, selon un fonctionnaire ukrainien qui a parlé à JTA à condition de rester anonyme, car il n’est pas autorisé à s’exprimer dans la presse.
« Avec la peur d’un isolement international croissant, Israël est anxieux de prouver qu’il a des alliés, a déclaré le fonctionnaire. Groysman le savait, et il savait aussi que c’était un pays où les politiciens sont disponibles et agissent vite. Donc il a travaillé à une symbiose pour en faire bénéficier sa propre ville. »
La récente ascension de Groysman dans la politique ukrainienne doit beaucoup à ses connaissances – particulièrement Poroshenko, avec qui il avait une relation étroite bien avant qu’il ne devienne président.
En 2012, Poroshenko, oligarque qui a fait fortune dans les chocolats, a ouvert la plus grande usine de confection d’Ukraine à Vinnytsia, créant des centaines d’emplois. Poroshenko, qui est devenu président en 2014, était également partenaire dans la construction du centre médical israélien.
Poroshenko a demandé à Groysman de devenir président du Parlement peu après son arrivée au pouvoir à la suite d’une révolution qui s’est terminée par l’éviction de son prédécesseur, Viktor Yanukovych. Cette insurrection sanglante avait commencé avec des affirmations disant que Yanukovych était un pion corrompu du Kremlin.
Groysman dirige la commission d’Etat chargée de coordonner l’enquête sur le crash du vol MH17, abattu en juillet 2014 dans l’est séparatiste de l’Ukraine et ayant tué 298 personnes.
A Kiev, des médias lui ont reproché de pousser à la nomination de ses proches du « clan de Vinnytsia » à des postes publics importants, notamment à la tête de la Poste, profitable mais opaque, ce qu’il a nié.
Élu au Parlement sur la liste du parti présidentiel en octobre 2014, Groysman en devient président un mois plus tard. Depuis, il a été maintes fois accusé de violer les règles de l’assemblée, notamment en faisant revoter plusieurs fois d’affilée les députés pour faire passer des lois voulues par Poroshenko.
Ce fut le cas lors du vote d’un amendement au code du travail visant à interdire les discriminations envers les homosexuels, mesure réclamée par l’Union européenne mais impopulaire en Ukraine où l’homosexualité reste très stigmatisée.
Pendant des entretiens avec des médias ukrainiens, Groysman a parlé de la survie de son grand-père Isaac pendant l’Holocauste, quand il a fait semblant d’être mort après avoir été jeté par les nazis dans un charnier.
Le 27 janvier, le jour du souvenir international de l’Holocauste, quand Groysman était président du Verkhovna Rada, le Parlement, il a demandé aux autres députés de se lever pour une minute de silence en l’honneur des victimes du génocide juif. C’était la première fois qu’un tel geste avait lieu au Parlement.
« Contrairement à beaucoup qui ont essayé de cacher leur judaïsme ou simplement de ne pas en parler, Groysman est un Juif ouvert et chaleureux, parce qu’il fait partie d’une nouvelle génération, dans un nouveau pays », a dit Horowitz.