À Haïfa, des catholiques défilent pour la Vierge Marie avec des drapeaux israéliens
Certains participants à la procession disent que c’est un témoignage de la force de la communauté chrétienne-arabe au sein de l’État juif
Marche des scouts arabo-chrétiens à la procession de la Vierge Marie à Haïfa, Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Lidor Canaan/Times of Israel)
En ce dimanche dernier dimanche d’avril, une dizaine de femmes et d’hommes âgés ont sorti de l’église Saint-Joseph de Haïfa un char de 900 kilogrammes représentant une Madone grandeur nature.
Une fanfare aide le groupe à garder le rythme, alors qu’il tire le char, surmonté de la Vierge Marie de Haïfa, dans tout le centre-ville, à l’aide d’épaisses cordes.
C’est une tradition catholique centenaire à laquelle des milliers de personnes assistent régulièrement, et que certains considèrent comme un témoignage des libertés qu’Israël accorde à ses chrétiens, contrairement aux persécutions et oppressions dont ils sont victimes dans une grande partie de la région.
Après 200 mètres environ, la pente devient raide et ceux qui tirent commencent à chanceler, incitant de nouvelles personnes – essentiellement de jeunes hommes de la minorité arabo-chrétienne – à faire le travail.
Alors que le groupe avance, les hommes tirent à tour de rôle le char en montée, le long d’un itinéraire long de trois kilomètres avec un dénivelé de 130 mètres, jusqu’au monastère de Stella Maris, la base de l’ancien ordre catholique connu sous le nom de Carmélites.
La traction est supposée être pénible, expliquent les habitants, conformément à la tradition de pénitence par auto-flagellation de coutume dans les communautés catholiques du pourtour méditerranéen et au-delà.
Mais contrairement à beaucoup de ces expressions austères de dévotion, l’atmosphère de la procession de Haïfa est joviale, et les habitués plaisantent entre eux (« L’année prochaine, j’apporte un chariot élévateur », s’exclame un homme, provoquant des rires polis).
Pour certains, cette relative décontraction est liée au fait que la procession de la Vierge Marie, qui a lieu le deuxième dimanche après Pâques, n’a pas encore été entièrement canonisée, occupant une zone grise qui se situe entre une tradition locale et un rite religieux.
D’autres, conscients de l’oppression impitoyable des chrétiens dans la région, sont ravis de célébrer leur foi ouvertement et sans crainte. Des fidèles touchent le char de la Vierge lors de la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
« Ce que vous voyez ici, c’est notre tradition, qui se répète là où nous avons grandi », explique Fadi Talhamy, 37 ans, père de deux enfants, alors qu’il suit le char, prêt à soulager un autre fidèle.
« C’est une sorte de rite d’appartenance. Une validation que nous ne sommes pas des étrangers, que nous sommes d’ici : l’État d’Israël, que nous aimons, et qui nous donne non seulement une liberté de culte totale, mais aussi des ressources pour l’exercer », ajoute Talhamy, désignant du regard les dizaines de policiers, qui chaque année bloquent plusieurs voies de circulation pour les besoins de la procession.
Certains, parmi les quelque 3 000 participants à la procession de dimanche, sont venus de loin, notamment de Ramallah et d’autres villes sous contrôle de l’Autorité palestinienne.
Plusieurs dizaines de jeunes catholiques du mouvement scout de Cisjordanie défilent à Haïfa, avec sur leur uniforme le drapeau palestinien. Ils jouent aux côtés d’autres scouts catholiques arabes d’Israël, qui arborent un drapeau israélien et les armoiries de leur église. Une cheffe scout palestinienne défile lors de la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
De hauts responsables de l’Église, parmi lesquels le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, sont également présents, chantant des psaumes et des hymnes en l’honneur de la Vierge Marie, alors qu’ils défilent devant la Vierge. Le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, en rose, assiste avec d’autres membres du clergé à la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
« Pour certains Israéliens, ces événements peuvent sembler normaux, mais pour un Arabe, c’est remarquable », explique Carmeline Ashkar, une Arabe chrétienne de la ville de Fasuta en Galilée, qui dirige une association promouvant l’intégration des chrétiens dans tous les domaines de la société israélienne.
« Ailleurs dans la région, nous devons faire profil bas, rester à notre place, être, au mieux, exhibés à Noël et remis dans l’armoire, si tant est que nous sommes tolérés », ajoute-t-elle.
Les relations judéo-chrétiennes ne vont pas sans tensions en Israël, où des extrémistes juifs harcèlent régulièrement les chrétiens, et profanent leurs cimetières.
Pourtant, Israël est l’un des rares pays du Moyen-Orient avec une minorité chrétienne dont le nombre augmente d’environ un pour cent chaque année. Forte de 200 000 membres (qui comptent pour 7 % de tous les Arabes israéliens), cette communauté ne fait pas que croître, elle est florissante. Un enseignant conduit ses élèves à la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : anaan Lidor/ Times of Israel)
En 2021, le salaire médian des Arabes chrétiens en Israël était de plus de 11 000 shekels, chiffre presque identique à la moyenne nationale et supérieur de 26% au salaire des musulmans.
Cette différence s’explique en partie par le fait que, en moyenne, les Arabes chrétiens se marient tard (30 ans pour les hommes et 26 ans pour les femmes) et ont moins d’enfants (2) que les musulmans (2,6) et les juifs (2,43), ce qui favorise les études longues et les revenus plus élevés.
Parmi les Arabes chrétiens, 53 % des diplômés du secondaire ont obtenu un diplôme universitaire, contre 34 % dans la société arabe en général et 47 % des Juifs.
La structure familiale relativement égalitaire des familles chrétiennes arabes permet à un pourcentage élevé de femmes d’être titulaire d’un diplôme universitaire (72 % des chrétiens arabes titulaires d’une maîtrise sont des femmes, contre 63 % dans la population générale).
Les maires successifs ont fait de Haïfa un modèle de dialogue et de coexistence interconfessionnels.
Les Arabes chrétiens constituent environ la moitié des 35 000 Arabes qui vivent dans cette ville portuaire à prédominance juive d’environ 285 000 habitants. Des scouts arabo-israéliens défilent lors de la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
La question de la liberté de culte est au cœur et aux origines de la procession, qui a commencé en 1919 lorsque les chrétiens ont craint que les autorités ottomanes ne démolissent le monastère Stella Maris que les croisés avaient érigé au sommet du Carmel, il y a de cela environ 400 ans.
Depuis Stella Maris, dont le nom officiel est le monastère de Notre-Dame du Mont Carmel (la « dame » en question étant la Vierge Marie), les fidèles ont fait passer clandestinement la Vierge à Saint-Joseph, pour la protéger.
Lorsque les habitants ont été assurés que les Ottomans ne détruiraient pas l’église, la Madone a été reconduite en son sommet, au terme d’une montée laborieuse effectuée par des piétons dont l’itinéraire a inspiré celui de l’actuelle procession.
Aujourd’hui, la procession est un rappel de la vocation religieuse souvent négligée de cette ville portuaire, qui, sur la question des pèlerinages, vit dans l’ombre de destinations Jérusalem ou Nazareth. Des religieuses carmélites assistent à la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
Selon Fadua Srougi, une fidèle de cet événement, la procession attire de nombreuses personnes handicapées, persuadées que leur présence leur apportera la guérison.
Une autre tradition consiste à habiller les jeunes filles de l’emblématique Sancta Camisia, couvre-chef bleu qui symbolise le voile que la Vierge Marie aurait porté à la naissance de Jésus. Une mère et sa sœur tiennent un bébé habillé en Vierge Marie lors d’une procession catholique à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
Les filles portent la tenue pendant tout le mois de mai et leurs parents aiment poser avec elles au pied de la Madone, dans le char.
Bien qu’il ne s’agisse pas du char original, celui-ci est très admiré et sert de décor à de nombreux selfies.
Pour beaucoup, il s’agit d’une porte ouverte vers l’histoire des Carmélites, l’un des plus anciens ordres du christianisme catholique, dont le nom complet est l’Ordre des Frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel.
Au cours de ses 803 années d’existence, cet ordre influent a donné un grand nombre de saints et de personnalités notables, comme Thérèse d’Avila, Jean de la Croix ou encore l’objecteur anti-nazi néerlandais Titus Brandsma.
Pour les Arabes israéliens, les traditions carmélites sont vivaces parce qu’elles sont centrées sur l’un des résidents les plus connus du Carmel, à savoir le prophète Elie, qui, selon la Bible, a beaucoup fait sur cette montagne.
L’importance de cette figure biblique dans la théologie fondatrice d’un ordre catholique est inhabituelle, car la plupart sont centrées sur les saints et les figures de la Bible chrétienne.
Observant la procession depuis la ligne de touche, Bassam Ghattas montre des choses à ses deux filles, qu’il élève avec son mari juif. Bassam Ghattas, vêtu d’une chemise grise, montre à ses deux enfants la procession de la Vierge Marie à Haïfa, en Israël, le 30 avril 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
« Je me souviens d’avoir assisté à cette procession lorsque j’avais leur âge », confie Ghattas en désignant les enfants.
« Nous n’élevons pas nos enfants comme des chrétiennes ou des juives : nous les avons amenées ici parce qu’elles sont de Haïfa. Cela fait partie de leur identité », ajoute-t-il.