Un chercheur établit l’existence de 53 personnages bibliques : Lawrence Mykytiuk recherche les personnalités anciennes qui ont laissé leur empreinte – que cela soit sur une chevalière ou sur un monument
Cela ressemblait pourtant à un projet improbable : Un professeur du Midwest qui vérifie les noms antiques du Moyen-Orient. Et pourtant, la formation de bibliothécaire de Mykytiuk et l’intérêt qu’il porte à la Bible l’aident à faire ce que les archéologues sur le terrain ne peuvent pas faire par manque de temps – se plonger dans les revues et les livres, examiner minutieusement les inscriptions découvertes lors des fouilles et tenter d’associer les noms appartenant à l’histoire à ceux qui figurent dans la bible.
« Si ces détails correspondent aux trois mêmes mentions avancées dans la bible, cela offre une certitude presque complète », affirme Mykytiuk. « Il peut y avoir un certain nombre de gens avec le même nom, le même nom du père », ajoute-t-il, « Mais le même statut ? Cela va trop loin. Je considère donc que ces critères établissent une quasi-certitude, ou alors c’est qu’il s’agit d’un sosie – une certitude presque complète ».
Il note toutefois dans une présentation en PowerPoint que les vérifications de noms bibliques ne garantissent pas de la même manière les vérifications des événements décrits dans la bible et impliquant les mêmes individus.
Développé durant 25 ans, le système de Mykytiuk est, sans aucun doute, réussi. Étudiant 94 inscriptions, il a vérifié notamment – et entre autres – les existences de rois, de pharaons, de grands prêtres et de scribes.
Tous ces noms sont des noms d’hommes, même s’il explique qu’il « espère pouvoir identifier une femme à partir des inscriptions. Mais pas pour le moment ».
Parmi ces personnages dont l’existence a été vérifiée, huit rois du Royaume d’Israël du nord et six du Royaume du sud de Judée. L’un est le roi Ahab du Royaume du nord d’Israël, qui avait combattu dans la bataille de Qarqar en l’an 853 avant l’ère commune – un événement que Mykytiuk, aux yeux de lynx, a retrouvé dans le livre des Rois et sur une image du Kurkh Monolith.
« Il n’y avait qu’un seul roi israélite à l’époque qui pouvait avoir combattu [dans la bataille], estime Mykytiuk. « Bingo. Il y avait une correspondance entre l’inscription et la bible ».
La plus ancienne vérification de Mykytiuk porte sur un autre souverain – le roi David lui-même, de l’an 1000 avant l’ère commune. Il a trouvé une correspondance entre le protagoniste de Samuel I et l’inscription qui figurait sur un mur de la « Maison de David » trouvée lors de fouilles entreprises à Tel Dan, dans le nord d’Israël.
« Le ‘roi d’Israël’ était en une ligne », explique Mykytiuk. « La ligne suivante disait ‘Melech Beit David’. C’était en araméen, par les ennemis. Les Araméens qui avaient conquis Tel Dan l’avaient indiqué sur un monument de victoire, une stèle, un gros panneau en pierre. Les Israélites ont reconquis la ville et brisé en morceaux la stèle, qui a été utilisée pour construire un mur ».
‘David est tellement important dans la bible hébraïque et dans le Nouveau Testament… Si on veut vérifier l’existence de quelqu’un, c’est bien de la sienne’
« David est tellement important dans la bible hébraïque et dans le Nouveau Testament… Si on veut vérifier l’existence de quelqu’un, c’est bien la sienne », ajoute-t-il.
Les Perses, les Babyloniens, les Egyptiens, les Moabites, les Araméens et les Damascènes sont également présents sur la liste de Mykytiuk – une fraction des quelques 3 000 personnes figurant dans la bible hébraïque.
« Pour la plupart, le nom, c’est tout ce que nous avons », explique Mykytiuk. « Peut-être pas plus de 200 personnages présentent suffisamment d’éléments permettant de les identifier dans d’autres sources écrites ».
Mais les identifications continuent. La dernière d’entre elles – publiée dans l’édition de mai-juin de la Biblical Archaeology Review – est celle de Tattenai, administrateur perse officiant à l’époque de Darius le Grand et de Nebuzaradan et Nergal-sharezer, deux guerriers de Babylone qui avaient combattu au nom du roi Nabuchodonosor II, qui avait détruit le Premier temple.
Tattenai est mentionné dans des sources bibliques comme Esdras III et sur une tablette de Darius datant de l’an 502 avant l’ère commune.
Nebuzaradan et Nergal-sharezer apparaissent respectivement dans le Livre des rois et chez Jérémie. Leurs noms sont inscrits en cunéiformes sur un Prisme de Nabuchodonosor, reproduit dans le livre en anglais de James B. Pritchard intitulé « Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament ».
Mykytiuk dit que son critère « s’applique à tous les niveaux ». Et en effet, il élargit son spectre d’application dorénavant au nouveau testament.
Un anneau pour les gouverner tous
L’intérêt porté par Mykytiuk à ce type de vérifications est apparu en 1992, alors qu’il était en troisième cycle en hébreu et études sémites à l’université du Wisconsin-Madison. Il avait vu l’image d’une empreinte en argile sur une chevalière qui appartenait au roi Ezéchias, souverain du royaume du sud de Judée, et qui est mentionné dans le livre des Rois. Il se souvient avoir observé ce qui semblait être le nom du roi.
« Cela datait de l’an 700 avant l’ère commune », explique-t-il. « Cela m’a captivé ».
Il déclare que son intérêt n’a cessé d’augmenter à une époque où certains spécialistes qui étaient « majoritairement des Européens, disaient que la bible hébraïque était un ouvrage de fiction avec quelques références historiques qui y avaient été jetées ». Il se souvient ainsi avoir riposté à une occasion : ‘Attendez. Je viens de voir l’empreinte d’un sceau d’un serviteur d’Ezéchias ».
Et c’est là que la démarche de Mykytiuk — lui-même chrétien – de vérification des noms dans l’Ancien Testament a commencé, en étudiant les inscriptions. Il en a fait le sujet de sa thèse, achevée en 1998 et publiée en 2004 sous la forme d’un livre en anglais : « Identifying Biblical Persons in Northwest Semitic Inscriptions of 1200-539 BCE ».
Il a tiré son inspiration auprès de l’archéologue israélien Nahman Avigad, décédé en 1992 et qui avait établi un précédent en termes de vérifications bibliques. Mykytiuk a dédié sa thèse à Avigad.
« Il a posé les fondations [de ce travail] avec quelques critères que j’ai utilisés et sur lesquels j’ai construit », explique Mykytiuk. « Personne n’avait jamais établi de critères en dehors de lui. J’ai pu construire sur ce qu’il avait fait ».
Deux autres spécialistes ont adopté le système de Mykytiuk, indique-t-il – Kenneth Kitchen, professeur d’égyptologie à l’université de Liverpool, et Bob Becking, professeur émérite en faculté et enseignant en religion, en identité et sur la bible à l’université d’Utrecht.
« Quand le livre de Larry est paru, je l’ai immédiatement acheté et je l’ai lu », écrit Becking dans un courriel, ajoutant que, de son point de vue, une approche multi-dimensionnelle comme celle de Mykytiuk aide à offrir « une base plus solide aux études bibliques ».
‘J’ai dit : Attendez une minute. Je viens de voire l’empreinte d’un sceau d’un serviteur d’Ezéchias’
D’autres ont remarqué aussi le chercheur, notamment le rédacteur en chef de la Biblical Archaeology Review, Hershel Shanks, qui a lu le livre écrit par Mykytiuk en 2012 dans lequel il publiait les meilleurs résultats qu’il avait obtenus.
« [Shanks] a vu là-dedans un article à faire pour la Biblical Archaeology Review« , se rappelle Mykytiuk. Et, ajoute-t-il, Shanks « voulait que je fasse l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, tout. C’était trop ».
Il a publié les vérifications de 50 personnages de la bible hébraïque 2014, faisant des mises à jour à l’aide de ses découvertes les plus récentes cette année. Il a également écrit sur l’existence historique de Jésus – un sujet qu’il qualifie « d’éternellement controversé » – et reviendra au Nouveau Testament pour ses deux prochains articles.
Evaluer l’exactitude
Certains spécialistes estiment que les vérifications bibliques ont leurs limites. C’est notamment le cas de Marc Zvi Brettler, professeur en études judaïques à la Duke University.
Dans un courriel, Brettler écrit qu’ « il n’est pas surprenant que certains personnages ayant vécu à l’époque biblique – même si ce n’est pas à ses débuts ou en son milieu – se retrouvent également dans des textes non-bibliques. Mais tout ce que montrent ces preuves archéologiques, c’est qu’ils ont existé. Cela ne prouve pas que ce que dit la bible à leur sujet est vrai, pas plus que la vérification de certains individus apparaissant dans le livre II des rois, par exemple, ne prouve que la Genèse ou les Juges sont historiquement vrais ».
En exemple, Brettler évoque Tel Dan, notamment l’inscription figurant dans la Maison de David et qui a été utilisée par Mykytiuk pour vérifier l’existence du roi David.
Brettler note que « même si le nom de David est probablement vérifié par l’inscription de Tel Dan, cette inscription date d’au moins un siècle après que David a vécu selon la chronologie biblique, alors tout ce que cela prouve, c’est qu’un siècle ou plus après que David a vécu, certaines personnes pensaient qu’il avait existé, et retracé une dynastie en son nom. Cela ne prouve pas l’existence de David en tant que personnage historique et cela ne vérifie sûrement rien de ce qui est dit dans les livres bibliques sur David ».
Et, ajoute-t-il, « nous devons également débattre des cas où des informations extérieures montrent que la bible est dans le faux ».
‘Nous devons également débattre des cas où des informations extérieures montrent que la bible est dans le faux.’
Il cite le Livre des rois II 19:36-37 et sa discussion du siège de Jérusalem : « Et Sennachérib, roi d’Assyrie, ayant levé son camp, partit et s’en retourna, et il resta à Ninive. Comme il était prosterné dans la maison de Nesroch, son Dieu, Adramélech et Sarasar, ses fils, le frappèrent avec l’épée, et s’enfuirent au pays d’Ararat. Et Assarhaddon, son fils, régna à sa place. »
« Ce verset établit de manière correcte que Sennacherib a été assassiné par ses enfants et que Assarhadon lui a succédé, mais suggère de manière incorrecte que cela est survenu immédiatement après qu’il fut revenu chez lui, après le siège de Jérusalem, en l’an 701 avant l’ère commune, et il écorche le nom des enfants comme le nom du Dieu assyrien », a expliqué Brettler. « C’est un bon cas qui illustre la manière dont des sources extérieures montrent que parfois la bible a en partie raison et qu’elle peut avoir en partie tort ».
De nouvelles directions
Mykytiuk continue ses vérifications – cette fois, en impliquant le Nouveau Testament.
Il raconte qu’après ses 50 premières vérifications effectuées dans l’ancien testament, Shanks lui a déclaré que « nous pouvons finir aussi le Nouveau Testament ».
Mykytiuk qualifie cette entreprise de « challenge. Je suis plutôt sur la bible hébraïque. Je vais m’impliquer dans une étude du Nouveau Testament. C’est quelque chose de très différent, avec des inscriptions grecques et latines et des pièces de monnaie que vous n’avez pas à gérer avec l’Ancien Testament, les études de la bible hébraïque ».
Son prochain article comprendra les vérifications de 23 personnages politiques issus du Nouveau Testament. Il espère les faire paraître dans l’édition de septembre/octobre de la Biblical Archaeology Review. Contrairement à ses précédentes vérifications de l’Ancien Testament, celles du Nouveau concerneront les hommes et les femmes.
« Un grand nombre sont mentionnés sur les pièces – les gouvernants et les femmes qui étaient leurs épouses ou leurs soeurs et qui étaient politiquement influentes », explique Mykytiuk.
Mykytiuk travaille également sur un autre article qu’il espère terminer en 2017 sur des personnalités religieuses du Nouveau Testament comme Jean-le-Baptiste, Gamaliel et d’autres grands prêtres.
Dans le même temps, il peut se dire satisfait d’avoir d’autres exploitations possibles de son système moderne de vérification de textes vieux de plusieurs millénaires.