Vers une guerre Iran-Arabie Saoudite ?
Par Guy Millière
L’Iran, depuis 1979 et la mise en place du régime des mollahs, est un régime islamique révolutionnaire résolument anti-occidental. Il n’a cessé de tenter de déstabiliser la région, a armé le Hezbollah, puis le Hamas et al Qaida.
Il n’a cessé de vouloir renverser le régime saoudien. L’Arabie Saoudite, régime féodal et autocratique, a exporté l’islam partout où cela lui était possible (je dis l’islam, car c’est de l’islam qu’il s’agit : le salafisme est la lecture du Coran conformément aux exigences du Coran), mais s’est conduit en allié du monde occidental, et en force du statu quo.
Dans le jeu complexe des alliances régionales, l’Arabie Saoudite a soutenu Saddam Hussein lors de la guerre Irak-Iran, mais s’est retourné contre Saddam Hussein lorsque celui-ci a envahi le Koweit sous George Herbert Walker Bush, et a accueilli sur son sol des bases américaines. Dans le jeu complexe des alliances régionales encore, sous la présidence Bill Clinton, l’Arabie Saoudite est restée du côté de l’Occident, et a, pour partie financé al Qaida, essentiellement aux fins qu’al Qaida ne soit pas pleinement sous la coupe de l’Iran, et aux fins qu’al Qaida reste à l’écart de l’Arabie Saoudite, d’où Oussama Ben Laden a été expulsé dès 1992. Sous George Walker Bush, al Qaida a, on le sait, frappé les Etats Unis : ce n’est pas l’Arabie Saoudite qui a commandité les attentats du onze septembre, et si des Saoudiens étaient majoritaires parmi les terroristes, c’était aux fins de déstabiliser l’Arabie Saoudite et de la voir incriminée.
Les Saoud ont immédiatement approuvé le renversement du régime taliban en Afghanistan, la destruction des bases d’al Qaida, puis le renversement de Saddam Hussein. Ils ont approuvé les projets américains d’endiguement de l’Iran, où Oussama Ben Laden séjournait souvent. Les djihadistes qui se sont acharnés contre les troupes américaines en Irak après le renversement de Saddam Hussein passaient par l’Iran, ou, plus souvent, par la Syrie, devenue alliée de l’Iran. Al Qaida en Irak avait le soutien de l’Iran, et quand son chef, Abu Musab al Zarqawi, s’est attaqué aux chiites, ce fut le signal qu’al Qaida en Irak allait être abandonné par les mollahs.
A la fin de la présidence de George Walker Bush, la situation était claire. L’Arabie Saoudite, alliée des Etats Unis tenait le statu quo, qui concernait aussi les émirats du Golfe, l’Egypte de Moubarak, le Liban, où le Hezbollah était endigué, le Yemen où Ali Abdallah Saleh était allié des Saoud. Erdogan en Turquie, bien qu’islamiste, réfrénait se ardeurs. L’Irak était stabilisé. Al Qaida en Irak était éliminé. L’Iran faisait peu parler de lui. La Syrie, chassée du Liban par la « révolution du cèdre », après l’assassinat de Rafic Hariri, était sur la défensive. D’autres pays arabes sunnites coopéraient avec les Etats Unis : la Libye de Kadhafi, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc.
C’est sous la présidence Obama qu’un renversement s’est opéré. Obama a choisi pour allié les Frères Musulmans, force islamiste révolutionnaire financée par l’Iran, le Qatar et la Turquie, contre les alliés sunnites des Etats-Unis, et donc, contre les Saoud. Il a donné son feu vert au Qatar pour qu’il soit clairement base arrière des Frères Musulmans, et à Erdogan pour qu’il se fasse explicitement islamiste. Il s’est donné pour perspective stratégique de faire de l’Iran la puissance régionale hégémonique. Il a choisi, à terme d’abandonner l’Irak à l’Iran. La suite est connue, ou devrait l’être.
Les régimes alliés des Etats Unis les plus vulnérables sont tombés les uns après les autres : la Tunisie, l’Egypte, le Yemen, la Libye. Les Frères Musulmans sont arrivés au pouvoir dans chacun de ces pays : en Libye, ils ont été chassés par le chaos islamiste. Au Liban, Saad Hariri a été renversé par le Hezbollah, avec l’assentiment d’Obama. Le régime syrien a résisté aux Frères Musulmans. L’Irak est passé aux mains de l’Iran début 2012. La Turquie et le Qatar ont financé ce qui est devenu l’Etat Islamique, sans qu’Obama fasse quoi que ce soit. L’Arabie Saoudite a tenté de financer l’Etat Islamique pour ne pas être attaqué par lui, puis s’est tourné vers Jabhat al Nosra, issu d’al Qaida, aux fins de tenter de freiner l’Etat Islamique et d’essayer d’affaiblir ou de renverser le régime Assad en Syrie, et d’éviter que l’Iran tienne à la fois le Liban et la Syrie.
La Russie, alliée de l’Iran et de la Syrie est intervenue de façon de plus en plus directe pour sauver le régime Assad.
L’Arabie Saoudite a appuyé la prise de pouvoir par Abdel Fattah al Sisi en Egypte, mais s’est trouvée néanmoins considérablement affaiblie, et en proie à une déstabilisation menée tout à la fois par l’Etat Islamique et par l’Iran, qui a appuyé les appels au renversement du régime des Saoud par Nimr Baqer al-Nimr, qui n’était pas simplement un chef religieux ou un opposant, mais un agent révolutionnaire au service de l’Iran, qu’il avait quitté en 1994.
L’Iran, lui, se trouve considérablement renforcé, tout particulièrement depuis l’accord signé par l’administration Obama en juillet 2015. L’alliance Russie-Iran est elle-même considérablement renforcée. Le régime Assad, tout au moins ce qui en reste, est sauvé. Le Liban est tenu par le Hezbollah. La Russie, pour l’heure, coopère avec Israël aux fins que les menaces iraniennes restent des mots et ne deviennent pas des actes. L’Arabie Saoudite et l’Egypte se sont rapprochés de la Russie.
L’Iran n’a pas renoncé à déstabiliser l’Arabie Saoudite, tout comme l’Etat Islamique. L’Iran tente de s’emparer du Yemen, et mène une offensive contre l’Etat Islamique par le biais de l’armée de Bagdad, et le recul de l’Etat Islamique en Irak doit être vu comme une avancée iranienne. Les exécutions qui viennent d’avoir lieu en Arabie Saoudite sont un signal envoyé par l’Arabie Saoudite à l’Iran et à l’Etat Islamique, signifiant que les Saoud sont prêts à résister, et ne tomberont pas sans combattre.
Les gagnants, pour l’heure, dans tout cela :
- l’Iran, qui n’a renoncé à aucune de ses visées révolutionnaires,
- la Russie, alliée de l’Iran, et qui a sauvé ce qui reste d’Assad, et bien sûr, ce qui reste de la Syrie d’Assad,
- le Hezbollah, malgré ses pertes en Syrie,
- l’Etat Islamique, désormais présent dans vingt pays de la planète, malgré ses reculs en Irak au profit de l’Iran,
- la Turquie d’Erdogan.
Les perdants :
- l’Arabie Saoudite,
- les émirats du Golfe,
- l’Egypte, même si Abdel Fattah al Sisi l’a partiellement stabilisée,
- mais aussi Israël, qui reste menacé par un Iran qui monte en puissance et par l’Etat Islamique.
- Je pourrais ajouter à la liste la Jordanie, dont je n’ai pas parlé, très déstabilisé par la présence de centaines de milliers de réfugiés sur son sol, et qui achète la non agression de l’Etat Islamique en lui fournissant des véhicules.
Les perdants aussi : les Etats Unis, par lesquels les Saoud s’estiment trahis, et qui ont perdu l’essentiel de leurs alliés dans la région, par décision d’Obama. L’Europe fait partie des perdants dans la mesure où les alliés des Etats Unis étaient aussi ses alliés. Les Européens qui jouent la carte de l’apaisement avec l’Iran et sont prêts à prendre leur distance avec les Saoud risquent de s’exposer à des déconvenues douloureuses. Les Saoud exportent des Corans et des mosquées. Les mollahs achètent la corde qui servira à pendre les Européens, ce qui est pire. Les Européens qui voient en Poutine leur sauveur s’exposent aussi à des déconvenues douloureuses : Poutine essaie de sauver l’empire russe, et entend tenir l’Europe par les matières premières énergétiques. C’est un adepte de la realpolitik et du cynisme autoritaire.
Les Européens qui ont pour grille de lecture une simple opposition sunnisme-chiisme devraient, pour comprendre, superposer une grille de lecture supplémentaire : forces radicales contre forces du statu quo.
L’Iran, je l’ai noté, n’a jamais hésité à financer des forces radicales sunnites : al Qaida, Hamas, Frères musulmans. Les forces du statu quo, jusqu’aux années Obama, ont été surtout sunnites. Il est impossible pour l’Occident de trouver des alliés vraiment présentables dans le monde musulman. Les Saoud ne sont pas présentables, Moubarak était un dictateur, Abdel Fattah al Sisi est un dictateur. Les mollahs au pouvoir à Téhéran sont des fanatiques, ce qui est pire. Les Saoud coupent les têtes au sabre, les mollahs exécutent dix fois plus, par pendaison. L’intérêt d’Obama ? Avoir détruit la puissance et la crédibilité américaines. C’est, il ne faut pas l’oublier, le premier Président anti-américain et anti-occidental des Etats-Unis.
Il n’y aura sans doute pas de guerre directe entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, mais si l’Iran en vient à contrôler le détroit d’Ormuz, ce qui est son but, il contrôlera le commerce du pétrole. Ce contrôle serait aussi l’intérêt de la Russie.
Que fait Obama pendant ce temps là ? Il verse des larmes sur la présence d’armes à feu aux Etats Unis, et il viole allègrement la Constitution, en se conduisant comme un dictateur. Ses larmes semblaient vraies, Hollywood devrait lui donner un Oscar. Qui accuse Obama en Europe, et qui dit qu’Obama a favorisé les forces islamiques les plus radicales, avec les conséquences qu’on voit ? Personne.
Quand il ne pleure pas pour la caméra, quand il ne parle pas du Saint Coran, Obama, semble-t-il, rend aveugle. La prochaine élection présidentielle américaine sera décisive.
© Guy Millière pour Dreuz.info