La liste des sept cents candidats a été réduite à sept personnalités acceptables pour les gardiens de la révolution à Téhéran, et ces hommes doivent maintenant s’affronter pour décrocher une fonction à laquelle n’est plus attaché depuis des années aucun pouvoir de décision stratégique en matière de politique étrangère.Le président détient « la plus haute fonction officielle du pays », mais seulement « après celle du Guide ».
Le ministre israélien des Renseignements a appelé dimanche les grands puissances à maintenir la pression sur l’Iran concernant son programme nucléaire et les sanctions économiques, en dépit de l’élection du dignitaire modéré Hassan Rohani à la présidence. »L’hypothèse de travail doit être que (le guide suprême, l’ayatollah Ali) Khamenei, qui dirige ce programme depuis 24 ans, continuera à le diriger, et donc à défaut d’une pression incessante contre l’Iran, il n’y a aucune chance de voir des changements significatifs dans la stratégie nucléaire », a déclaré Youval Steinitz à la radio militaire.
Iran : le modéré Hassan Rohani remporte la présidentielle dès le premier tour
Hassan Rohani, soutenu par les camps modéré et réformateur, a obtenu 50,68% des voix au premier tour du scrutin disputé vendredi face à cinq candidats conservateurs, a précisé Mostapha Mohammad Najjar, le ministre de l’Intérieur iranien, citant des résultats définitifs.
Il devance très largement le maire conservateur de Téhéran Mohammad Bagher Ghalibaf (6,07 millions de voix) et le chef des négociateurs nucléaires Saïd Jalili (3,17 millions), qui était soutenu par l’aile dure du régime.
Le taux de participation est de 72,7%, a ajouté Mostapha Mohammad Najjar.
Après une campagne atone, ce proche de l’ex-président modéré Akbar Hachémi-Rafsandjani, a bénéficié du désistement du candidat réformateur Mohammad Reza Aref et de l’appui mardi du chef des réformateurs Mohammad Khatami, président entre 1997 et 2005.
Tout en étant le représentant du guide suprême Ali Khamenei au Conseil suprême de la sécurité nationale, M. Rohani, 64 ans, prône plus de souplesse dans le dialogue avec l’Occident, un dialogue qu’il avait dirigé entre 2003 et 2005 sous la présidence Khatami. Durant la campagne, il a évoqué de possibles discussions directes avec les Etats-Unis, ennemi historique de l’Iran.
Londres appelle Hassan Rohani à « mettre l’Iran sur un nouveau chemin »
Le Royaume-Uni a appelé samedi le nouveau président iranien Hassan Rohani « à mettre l’Iran sur un nouveau chemin », notamment en « s’attelant aux inquiétudes de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien ».
« Nous prenons note qu’Hassan Rohani a remporté l’élection présidentielle » iranienne, a déclaré le ministère britannique des Affaires étrangères dans un communiqué. « Nous l’appelons à mettre l’Iran sur un nouveau chemin pour l’avenir, en s’attelant aux inquiétudes de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien, en faisant avancer une relation constructive avec la communauté internationale et en améliorant la situation politique et des droits de l’Homme », a ajouté le ministère.
Hassan Rohani, l’espoir des réformateurs
Hassan Rohani, le seul candidat issu du clergé, a en quelques jours réussi à fédérer derrière lui le camp dit modéré et celui des «réformateurs». Deux termes qui sonnent agréablement en Occident, d’autant plus que Hassan Rohani a suivi une partie de sa formation à l’université de Glasgow, mais qui ne signifient pas pour autant que ces deux camps, unis pour cette élection, remettent en question le dogme central de la république islamique, le «velayat-e faqih» (suprématie du religieux sur le politique), ni le programme nucléaire. Depuis l’appel à voter pour lui lancé en début de semaine par Mohammed Khatami (président entre 1997 et 2005, à une période de relative détente avec les occidentaux) et Hachemi Rafsandjani, chef de file des réformateurs qui a été interdit de candidature, Hassan Rohani incarne les espoirs de revanche des réformateurs après le fiasco de la présidentielle de 2009. On se souvient que Mir Hussein Moussavi avait alors incarné en Iran, mais aussi dans le monde entier, un espoir de changement (malgré un parcours de serviteur loyal du régime des mollahs, impliqué dans moult répressions et le développement du programme nucléaire), avant que la révolte des jeunes et des classes moyennes ne soit durement réprimée. Mir Hussein Moussavi est depuis lors en résidence surveillée et toutes les candidatures de réformateurs à la présidentielle d’aujourd’hui ont été invalidées.
*********************************************************************************************************************
IRAN • Présidentielle : que signifie la victoire du modéré Rohani ?
« L’homme de l’espoir a gagné » affirment ce 16 juin les quotidiens réformateurs de Téhéran, comme Shargh ou Etemaad.
Dans le quotidien Shargh, un éditorialiste se réjouit de la forte participation et de cette victoire d’un modéré, qui « ouvre une ère de succès sur le plan national et international ». Dans les rues de Téhéran, les Iraniens ont laissé éclater leur joie à l’annonce de la victoire de Rohani le 15 juin.
Qui est donc Hassan Rohani, ce religieux de 64 ans qui a su fédérer 18 millions d’Iraniens autour de sa candidature ? Seul religieux et seul modéré face à cinq conservateurs, il a remporté dès le premier tour le scrutin présidentiel. Après huit ans d’Ahmadinejad, les Iraniens s’offrent un président « normal », au parcours plutôt classique pour la République islamique.
Il a fait son éducation religieuse dans la ville de Qom, puis aurait obtenu un doctorat de droit en Ecosse. Serviteur fidèle du fondateur de la République islamique l’ayatollah Khomeyni. Rohani a occupé ses premières fonctions importantes pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). Il s’est surtout fait connaitre lorsqu’il était négociateur dans le dossier du nucléaire iranien (1997-2005), à une époque où les relations étaient meilleures avec les Occidentaux. Mais aussi une époque où les Iraniens ont largement dissimulé l’avancée du nucléaire, avant la révélation en 2003 du programme d’enrichissement de l’uranium. A ce moment-là, pour calmer la communauté internationale, le guide Ali Khamenei avait autorisé la suspension de l’enrichissement. Mais ces négociations avait valu à Rohani d’être qualifié de traitre dans son pays et favorisé l’arrivée d’Ahmadinejad au pouvoir.
Najmeh Bozorgmehr, correspondante du Financial Times à Londres, rappelle « qu’il ne faisait pas partie du mouvement ‘vert’, le mouvement d’opposition à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Mais c’est un homme politique centriste et pragmatique. »
Pour le quotidien Shargh, « la victoire de Rohani doit beaucoup au soutien de deux anciens présidents, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani et Mohammad Khatami ». Trois jours avant le scrutin, ces derniers ont appelé à le soutenir, comme unique représentant du camp réformateur. Rafsandjani, qui avait posé sa candidature, a été exclu en mai par le Conseil des gardiens, instance non élue qui valide les candidats. Cette décision avait provoqué un vent de panique dans les rangs des réformateurs, qui se sont finalement réorganisés autour d’un unique candidat, « une excellente stratégie », commente le journal. Alors que dans le camp adverse, même les plus petits candidats ont refusé de se retirer, divisant les voix de leurs partisans entre cinq hommes.
Côté conservateur, les journaux font profil bas, saluant la victoire du « peuple iranien ». Le grand quotidien ultraconservateur Kayhan se contente d’ête très informatif : « Hassan Rohani vainqueur de la présidentielle iranienne ». Dans son éditorial, ce journal connu pour ses diatribes incendiaires contre les réformateurs, salue plutôt la très forte participation, « une défaite pour l’Occident ». « Cela montre l’inefficacité des sanctions prises contre notre pays. La nation iranienne est forte et résistera à la pression internationale ».
Dans le quotidien en exil Rooz, l’éditorialiste Mehrangiz Kar estime que « ce vote pour Rohani est un vote-sanction contre la politique nucléaire mené par Téhéran. Les Iraniens n’en peuvent plus des difficultés économiques, résultat de cette politique nucléaire. C’est un désaveu pour Saïd Jalili, l’actuel négociateur dans le nucléaire iranien, qui a obtenu très peu de voix ». « Est-ce que l’Occident entendra les Iraniens, ou continuera dans sa politique de sanctions ? » s’interroge-t-elle. La journaliste rappelle néanmoins qu’en Iran, la marge de manoeuvre du président reste étroite, face au guide suprême Ali Khamenei, religieux non élu qui dirige le pays.
Néanmoins, l’analyste iranien Karim Sadjadpour (Fondation Carnegie pour la paix internationale) rappelait récemment dans le Guardian : »tant que l’ayatollah Khamenei restera le guide suprême, un nouveau président n’a que peu de chances d’infléchir la politique nucléaire de l’Iran, son soutien au régime d’Assad en Syrie ou sa ‘résistance’ à l’égard des Etats-Unis et d’Israël”.
Iran : Israel pour le maintien de la pression
Le ministre israélien des Renseignements a appelé dimanche les grands puissances à maintenir la pression sur l’Iran concernant son programme nucléaire et les sanctions économiques, en dépit de l’élection du dignitaire modéré Hassan Rohani à la présidence.
« L’hypothèse de travail doit être que (le guide suprême, l’ayatollah Ali) Khamenei, qui dirige ce programme depuis 24 ans, continuera à le diriger, et donc à défaut d’une pression incessante contre l’Iran, il n’y a aucune chance de voir des changements significatifs dans la stratégie nucléaire », a déclaré Youval Steinitz à la radio militaire.
*****************************************************************************************
Par Lefigaro.fr avec AFP-Publié le 15/06/2013 à 21:35
Iran: Ali Khamenei, seul maître après Allah
Ebranlé par le mouvement vert de 2009, le guide suprême, Ali Khamenei, a su sauver son trône. Et il n’a rien à craindre du scrutin présidentiel de ce 14 juin. Témoignages à l’appui, Le Vif/L’Express revient sur son parcours. Ou comment un théologien de rang moyen est devenu le monarque absolu du régime de Téhéran.
© DR
Serait-il insubmersible ? Un temps déboussolé, le guide a tangué sous l’orage sans jamais perdre son cap. Au printemps de 2009, lorsque les enfants de la « vague verte », rébellion civique dopée par la réélection frauduleuse du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, bombardent de slogans assassins l’ayatollah Ali Khamenei, « guide suprême de la révolution islamique » jusqu’alors intouchable, ils brisent un tabou. De là à casser les reins du gardien du dogme théocratique chiite… Quatre ans plus tard, et au prix d’une implacable répression, Son Eminence tient toujours la barre d’une poigne ferme.
Le scrutin présidentiel de ce 14 juin entretient une illusion d’optique : celle d’un régime reposant à parité sur deux piliers, le Coran et l’isoloir. Car Khamenei et son clan verrouillent le rituel électoral. Qui a validé les huit candidatures jugées acceptables ? Le Conseil des gardiens, organe composé de 12 juristes : six nommés par le guide, et autant choisis par le Majlis – Parlement aux ordres –, sur proposition du chef du pouvoir judiciaire, désigné par qui vous savez. Exit l’iconoclaste Esfandiar Rahim Mashaie, poulain et confident d’Ahmadinejad ; exit aussi l’ancien raïs Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, suspecté de rouler pour le Grand Satan américain et accusé de bienveillance envers les « séditieux » de l’insurrection vaincue. Rafsandjani, ce complice d’antan auquel Khamenei doit tant, donc trop ; celui-là même qui, à l’heure du soulèvement fatal au chah, en 1979, propulsa auprès de l’imam Rouhollah Khomeini le mollah venu de la lointaine Machhad (Nord-Est).
Restent donc en lice une poignée de disciples du « Rahbar » (guide). Les moins serviles ? Le religieux modéré Hassan Rohani et un réformiste inoffensif. Le plus zélé ? L’intransigeant mais terne Saïd Jalili, envoyé de Khamenei sur le front de négociations nucléaires en cale sèche et ancien conseiller politique au sein du Beit-e Rahbari (Bureau du guide), où un autre prétendant, l’ex-ministre des Affaires étrangères Ali Akbar Velayati, joue les sherpas diplomatiques depuis seize ans. Autant dire qu’aucun des qualifiés ne discute la prééminence absolue, sacralisée par la Constitution, de « Sa Sainteté ». Celle-ci aurait-elle un favori ? « Le guide n’a qu’une voix, et nul ne sait pour qui il vote », rétorque l’intéressé.
Un « martyr vivant » Une certitude : Khamenei ne veut à aucun prix d’un clone d’Ahmadinejad, ce tâcheron laïque à la piété rustique qu’il parraina en 2005 aux dépens – déjà – de Rafsandjani, et dont il avalisa en 2009 la douteuse victoire, au risque de ruiner à jamais son magistère d’arbitre supposé impartial. D’autant que le protégé populiste osa ensuite défier son mentor, plaçant çà et là ses obligés, tentant de s’emparer des leviers du pétrole ou du renseignement. Trentenaire à bout de souffle tétanisée – quoi qu’en dise la propagande patriotique en vigueur – par les sanctions occidentales, la théocratie iranienne n’a pas les moyens de s’offrir un nouveau conflit de légitimité. Le guide songerait d’ailleurs à abolir purement et simplement la présidence… Une manie : en 1989, il avait supprimé la fonction de Premier ministre, alors occupée par son rival Mir Hossein Moussavi. Deux décennies plus tard, celui-ci, porté par la jeunesse urbaine, défiera en vain dans les urnes Mahmoud Ahmadinejad. Il rumine depuis lors son échec en résidence surveillée. Armée, police, services secrets, justice, relations internationales, programme nucléaire, radio-télévision : Khamenei, qui fêtera ses 74 ans en juillet, tient à garder la haute main sur tous les dossiers cruciaux. « Chaque bulletin glissé dans l’urne, martèle-t-il, sera un vote en faveur de la République islamique. » Encore faut-il convaincre les Iraniens de se prêter au simulacre.
L’élégante raideur du maintien, la barbe grise de patriarche, les lunettes cerclées sur un regard figé, le turban noir des seyed – descendants du Prophète – : fils d’un cheikh azéri, Ali Khamenei cultive les attributs de l’austère apparatchik chiite. Panoplie assortie de l’aura du miraculé : l’attentat au magnétophone piégé qui, à l’été 1981, le priva d’une main et de l’usage d’un bras lui vaut aussi le très noble statut de « martyr vivant ». Pour autant, ceux qui l’ont côtoyé avant la tourmente révolutionnaire dépeignent un tout autre personnage, jeune religieux progressiste, voire gauchisant, épris de littérature, de poésie et de musique persane, volontiers sarcastique envers le clergé fondamentaliste. Tel est le cas de son neveu Mahmoud Moradkhani, médecin ORL à Croix, près de Lille (nord de la France). « Je me souviens d’un être très sociable et d’un abord agréable, raconte cet opposant établi en France depuis un bon quart de siècle. A la maison, il m’arrivait souvent de lui allumer sa pipe et de lui masser la nuque.
Seule anicroche, cette engueulade le jour où il me convia à son cours de lecture du Coran. Quand vint mon tour, je commis tant de fautes qu’il en perdit son calme… » L’autre accroc surviendra bien plus tard, quand Mahmoud, désireux de quitter l’Iran, sollicite en vain un passeport auprès de son oncle, devenu entre-temps président. Rigueur à géométrie variable : en 1990, raconte l’anthropologue Fariba Adelkhah, Khamenei autorise l’inhumation du poète Mehdi Akhavan Sales à Tus, dans la province du Khorasan, non loin du caveau de Ferdowsi, écrivain légendaire du Xe siècle. Il faut dire que, dans ses jeunes années, « Seyed Ali » fréquentait assidûment cet intellectuel libertaire, qui lui récitait ses élégies, parfois lestes, tout en pinçant les cordes de son tar, un luth à long manche. Ce qui n’empêchera pas l’ayatollah de fermer, six ans plus tard, les écoles de musique, lieux de perdition.
Une biographie officielle enjolivée S’ils adoucissent quelque peu le rugueux profil du Rahbar, les témoignages recueillis écornent aussi la pieuse légende de la biographie officielle ; laquelle dépeint la maison exiguë de Machhad où le petit Ali dînait, les soirs de chance, de pain et de raisins secs, et exalte la geste héroïque du résistant persécuté. « Bien sûr, mon oncle recevait chez lui étudiants et insurgés, mais il ne fut jamais un acteur de premier plan des manifs hostiles à la dynastie Pahlavi, soutient le Dr Moradkhani. Disons qu’il a suivi le mouvement. Si son cadet Hadi, aujourd’hui réformateur sous surveillance, a passé cinq ans en taule, lui n’y a fait que de brefs séjours. Les périodes d’exil intérieur ? Un châtiment très supportable. » En ces temps troublés, le futur guide doit sa quiétude à un commerçant du bazar local, adepte du nationaliste Mohamad Mossadegh, qui l’héberge discrètement. « En fait, précise un autre cousin, Khamenei ne sortira de l’ombre qu’à son arrivée à Téhéran. Même si sa réputation d’orateur talentueux l’y avait précédé. La première mission que lui assigne Khomeini – dont il fut l’élève en la cité sainte de Qom en 1958 – sera d’ailleurs celle d’imam de la prière du vendredi. »
Site Web en 13 langues et compte Twitter trilingue « Plus qu’un théologien ou un juriste de haute volée, confirme Ahmad Salamatian, député d’Ispahan puis vice-ministre des Affaires étrangères de la République islamique naissante, c’est un bon prêcheur. Idéologiquement proche des Frères musulmans. » De fait, Ali traduit en farsi les écrits de l’Egyptien Saïd Qotb, maître à penser de la mouvance « frériste ». Désormais libraire à Paris, dans le Quartier latin, Salamatian a vécu la métamorphose du seyed lettré. « Le soir même de la chute du chah, il s’installait au siège du renseignement militaire du pouvoir déchu. Son dada : l’appareil sécuritaire. Au fond, c’est en treillis que Khamenei était alors le plus à l’aise. » Bientôt promu vice-ministre de la Défense puis émissaire de l’imam vénéré auprès de l’état-major, le « mollah-mili » se voit aussi confier la supervision du corps d’élite des gardiens de la révolution, les fameux pasdaran. Position rêvée pour tisser de robustes liens avec la garde prétorienne du régime comme avec les miliciens bassidji, gardes-chiourmes aveuglément loyaux. Maints hauts gradés officient d’ailleurs au sein du Bureau du guide, vaste bunker logé au cœur de la capitale. « Trois fidèles y jouent un rôle-clé, avance un parent du Rahbar. Ali Asghar Hejazi, maître de l’agenda et des finances, un certain Vahid, patron de la sécurité rapprochée, et le très discret Mojtaba, fils cadet et messager favori de Khamenei. » A l’en croire, les deux derniers auraient orchestré l’écrasement du soulèvement citoyen de 2009, que Seyed Ali, l’ami de la poésie, a ordonné et couvert. Comme il avalisa au fil de sa carrière la liquidation de milliers de « traîtres » et les assassinats ciblés de dissidents. Mais qui entend encore les gémissements des civils torturés et violés dans d’immondes cachots ?
Président sous Khomeini, l’enfant de Machhad hérite du trône de Rahbar à la mort de l’icône redoutée. Dignité pourtant promise à Hossein Ali Montazeri, sommité religieuse destituée in extremis pour avoir osé dénoncer les massacres de prisonniers politiques. Voilà comment, avec le concours du Machiavel persan Rafsandjani, un clerc au pedigree théologique médiocre, promu à la hâte au rang d’ayatollah, accède au nirvana. Et ce, au grand dam des marjas – l’échelon suprême de la hiérarchie cléricale – de Qom, atterrés par ce qu’ils tiennent pour une imposture.
L’envoyé ici-bas du Mahdi – l’imam caché, messie dont les chiites attendent le retour – ne s’aventure guère hors d’Iran. « Il a visité jadis la Libye, la Roumanie de Nicolae Ceausescu et la Corée du Nord, pays qui le fascine », résume Ahmad Salamatian. Si le contenu de ses sermons et de ses fatwas, ou décrets religieux, atteste l’archaïsme de sa vision du monde, et notamment de la mission qui échoit à la femme, le guide approuve la recherche sur les cellules souches, le clonage thérapeutique ou le don de sperme, et juge depuis 2005 haram – proscrit en islam – la détention et l’usage de la bombe atomique. De même, il ne dédaigne pas les instruments de la modernité. Dans cet Iran où l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, vecteurs de la subversion, demeure strictement contrôlé, voire banni, Son Eminence a son site Web en 13 langues – dont le russe, le swahili et le français – ainsi que sa page Facebook et son compte Twitter trilingue (farsi, arabe, anglais).
Les optimistes impénitents veulent croire que, flanqué demain d’un président soumis et déférent, le « lieutenant du Messie » aura les coudées plus franches pour transiger sur le nucléaire ; d’autant que l’isolement de l’Iran entrave l’épopée affairiste des pasdaran, maîtres de pans entiers de l’économie. Après tout, n’a-t-il pas envisagé en mars l’ouverture d’un « dialogue direct » avec Washington ? Le guide, on le sait, n’a qu’une voix. Une seule voix, soit, mais n’a-t-il vraiment qu’une parole ? Par Vincent Hugeux; V. H.
***********************************************************************************************************
IRAN. Une élection pour quoi faire?
Le président détient « la plus haute fonction officielle du pays », mais seulement « après celle du Guide ». (Ahmad Halabisaz/NEWSCOM/SIPA)
« Un Premier ministre ». C’est ainsi que la spécialiste de l’Iran Azadeh Kian qualifie le rôle du président de la République islamique d’Iran, dont la prochaine élection aura lieu le 14 juin. En effet, malgré sa forte visibilité, le président de la République n’a en effet qu’un rôle limité au sein de la théocratie iranienne.
La fonction, créée par Khomeini, était, à l’origine, davantage honorifique. Selon le 113e principe de la Constitution iranienne, le président de la République est le chef du gouvernement, et détient « la plus haute fonction officielle du pays », mais seulement « après celle du Guide », Ali Khamenei. Le président n’est pas le chef de l’Etat, rôle dévolu au Guide suprême de la Révolution. Celui-ci détient l’essentiel des pouvoirs, commande les forces armées, nomme les principales autorités religieuses du pays, de nombreux membres des différentes institutions politiques, ainsi que les directeurs de la radio et de la télévision d’Etat. Elu à vie, il n’est responsable que devant une seule institution, l’Assemblée des experts, très peu sollicitée, et composée de membres qui lui sont favorables.
Le président de la République est de plus soumis à plusieurs organes institutionnels. Selon le 122e principe de la Constitution, il est doublement responsable, à la fois devant le Guide (Rahbar) et le Parlement (Majlis). Ainsi les députés peuvent, grâce à une motion d’interpellation signée par un tiers d’entre eux, convoquer le président pour s’expliquer sur sa politique, comme cela avait été le cas avec Mahmoud Ahmadinejad en mars 2012, une première. Dans le cas où ce dernier ne répondrait pas correctement aux questions des députés, il peut être révoqué par le Guide. A l’inverse, le président ne dispose d’aucun pouvoir sur le Guide et d’aucun droit de dissolution sur l’Assemblée.
« Le Guide a verrouillé la présidentielle »
Cependant, le président possède malgré tout une certaine aura. « C’est l’une des seules institutions où les électeurs peuvent réellement s’exprimer dans les urnes », analyse Azadeh Kian. Elu pour quatre ans au suffrage universel direct, renouvelable une fois, le président tient sa légitimité des urnes, à la différence de la plupart des autres autorités du pays. Le taux de participation pour l’élection présidentielle est ainsi élevé, supérieur à 80% en 2009 selon les chiffres officiels.
Fort de sa légitimité populaire, le président peut faire évoluer la marche de son pays. Le mandat de Mohammad Khatami (1997-2005) a ainsi été marqué par une politique plus modérée, tant sur le plan intérieur qu’à l’étranger. « Khatami a installé un certain nombre de libertés d’expression, il a conduit le Guide à collaborer avec les Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, et à suspendre l’enrichissement d’uranium », détaille Azadeh Kian.
Cependant, l’élection du président elle-même est extrêmement contrôlée. Le conseil des Gardiens de la Révolution, dont la moitié des membres sont nommés par le Guide suprême, filtre les candidatures à la présidentielle. Sur un total de 686 candidats déclarés, seuls huit ont été autorisés à se présenter à l’élection du 14 juin, la plupart très proches du Guide, comme le favori Saïd Jalili, négociateur en chef de l’Iran sur le dossier nucléaire.
Parmi les exclus, on trouvait des poids lourds pouvant faire de l’ombre au Guide, comme l’ancien président de la république modéré Hachemi Rafsandjani (1989-1997), ou le bras droit de Mahmoud Ahmdinejad, Esfandiar Rahim Mashaei. « Le Guide a verrouillé la présidentielle afin d’éviter l’élection d’un président qui ne serait pas sur la même longueur d’onde que lui », souligne Azadeh Kian.
Des pasdarans tout puissants
Le pouvoir du Guide est tout de même à relativiser. D’autres institutions comptent dans la République islamique, comme le Conseil de discernement. Son rôle d’arbitre des conflits entre le Parlement et le Conseil des Gardiens de la Révolution –qui peut bloquer les lois votées par les députés- en fait un rouage clé du régime. Les membres du Conseil, s’ils sont nommés –directement ou indirectement- par le Guide, prennent parfois leur indépendance. Le président du Conseil de discernement, le très influent Hachemi Rafsandjani, avait ainsi critiqué la répression des manifestations de 2009 contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.
Enfin la réalité du pouvoir en Iran se trouve souvent en dehors des institutions traditionnelles. L’armée a acquis une importance croissante sous Mahmoud Ahmadinejad, en particulier le corps des Gardiens de la Révolution ou pasdarans : 100.000 hommes. Cette organisation paramilitaire officielle, l’armée d’élite du régime, dont le chef est nommé par le Guide suprême voit aujourd’hui deux de ses anciens commandants, Mohammad Ghalibaf et Mohsen Rezaï, concourir à la présidentielle.
« Pendant son mandat, Ahmadinejad a donné aux pasdarans le ministère du Pétrole, leur a octroyé des concessions dans les routes, le rail, les barrages, le tout sans aucun appel d’offres », commente Azadeh Kian, qui souligne le poids économique des Gardiens de la Révolution. La spécialiste note l' »énorme influence » de ceux-ci dans la politique étrangère, notamment sur le dossier syrien, ou sur les dossiers économiques stratégiques. Le tout sur fond d’une corruption galopante : selon l’ONG Transparency international, l’Iran serait le 133ème pays le plus corrompu au monde.
Vers la suppression du président de la République ?
Durant les quatre dernières années, les divisions n’ont cessé de s’accroître entre Mahmoud Ahmadinejad et le Guide suprême. Ce dernier n’a pas supporté la prise d’indépendance de celui qu’il avait contribué à élire en 2009 malgré les fraudes massives.
Snobant le Parlement, révoquant des ministres favorables au Guide, Mahmoud Ahmadinejad s’est rapidement mis à dos Ali Khamenei. Echaudé par l’expérience, ce dernier souhaiterait aujourd’hui, selon Azadeh Kian, « concentrer davantage de pouvoir dans ses propres mains », voire même « aller à terme vers la suppression de la fonction de président de la République ».
Une décision qui remettrait en cause le principe même de la théocratie iranienne, tirant sa légitimité à la fois de Dieu et du peuple.
Bruno Meyerfeld – Le Nouvel Observateur
**********************************************************************************************************************