Comment le Mossad a fait sauter l’accord sur le nucléaire iranien…

En une nuit, le Mossad vole les archives iraniennes et les ramène en IsraëlLe Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu prononce un discours sur le programme nucléaire iranien au ministère de la Défense à Tel Aviv le 30 avril 2018. (AFP PHOTO / Jack GUEZ)

Un haut responsable israélien déclare au New York Times que le Mossad avait découvert l’entrepôt en 2016 ; Trump a été informé du raid par le chef du Mossad Yossi Cohen

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu prononce un discours sur le programme nucléaire iranien au ministère de la Défense à Tel Aviv le 30 avril 2018. (AFP PHOTO / Jack GUEZ)

Des espions de l’agence israélienne du Mossad ont découvert l’emplacement top secret d’un entrepôt utilisé pour stocker les dossiers d’armes nucléaires de l’Iran, sont entrés par effraction dans le bâtiment, ont pris une demi-tonne de documents et ont réussi à les faire passer en contrebande en Israël la même nuit, a rapporté lundi le New York Times.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a révélé l’opération audacieuse alors qu’il montrait les documents dans une présentation visant à prouver que l’Iran a menti au sujet de son programme secret d’armes atomiques.

Un haut responsable israélien, qui a parlé sous couvert de l’anonymat pour évoquer la mission secrète, a déclaré au Times que le Mossad avait découvert l’entrepôt en février 2016 et que le bâtiment était sous surveillance depuis lors.

Les agents sont entrés par effraction dans le bâtiment une nuit de janvier dernier, ont retiré les documents originaux et les ont ramenés clandestinement en Israël la même nuit, selon le journal.

Le président américain Donald Trump a été informé de l’opération par le chef du Mossad, Yossi Cohen, lors d’une visite à Washington en janvier dernier.

Le haut responsable a déclaré que le retard dans la publication des documents était dû au temps qu’il a fallu pour les analyser, la grande majorité d’entre eux étant en persan.

Netanyahu a décrit le bâtiment abritant les archives comme un « entrepôt délabré » dans le quartier de Shorabad, au sud de Téhéran.

« C’est là qu’ils gardaient les archives atomiques. Peu d’Iranien connaissaient l’endroit où elles se trouvaient, seules quelques personnes, et aussi quelques Israéliens », a ajouté M. Netanyahu.

« De l’extérieur, ce complexe semblait anodin. On aurait dit un entrepôt en ruines. Mais à l’intérieur, il contenait les archives atomiques secrètes de l’Iran enfermées dans d’immenses conteneurs », a-t-il expliqué.

Il a montré une photo de longues rangées de coffres-forts et a dit que les agents ont réussi à rapporter « une demi-tonne de documents » comprenant 55 000 fiches et 55 000 documents sous forme de 183 CD.

La cache, a-t-il poursuivi, contenait « des documents incriminants, des graphiques incriminantes, des exposés incriminants, des plans incriminants, des photos incriminantes, des vidéos incriminantes et plus encore ».

« Nous avons partagé ces documents avec les États-Unis, et les États-Unis peuvent se porter garants de leur authenticité », a-t-il conclu.

 

Iran: Les révélations du Premier ministre ne feront changer personne d’avis

Pour les défenseurs de l’accord, l’impressionnante saisie du Mossad confirme ce qu’on savait déjà : l’Iran a un programme nucléaire secret ; mais aucun signataire n’en sera ému

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu donne un discours sur les preuves acquises, selon lui, par Israël des mensonges de l'Iran sur son programme nucléaire depuis le ministère de la Défense de Tel Aviv, le 30 avril 2018 (Crédit : AFP Photo/Jack Guez)

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu donne un discours sur les preuves acquises, selon lui, par Israël des mensonges de l’Iran sur son programme nucléaire depuis le ministère de la Défense de Tel Aviv, le 30 avril 2018 (Crédit : AFP Photo/Jack Guez)

Juste à temps pour les informations de 20 heures, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exposé lundi à la nation – et au monde – une opération impressionnante menée par l’agence israélienne d’espionnage du Mossad. Les agents ont réussi à obtenir plus de 100 000 dossiers tirés des archives mêmes de l’Iran, remplis d’informations top-secrètes sur le programme d’armes nucléaires illicite du régime dans le passé.

Quatre heures auparavant, son bureau avait annoncé un communiqué portant sur « un développement significatif en ce qui concerne l’accord sur le nucléaire avec l’Iran ». Netanyahu a fait sa conférence à la Kirya, le siège, à Tel Aviv, de l’establishment de la défense israélienne et non, comme il le fait habituellement, depuis son bureau de Jérusalem. Ses conseillers avaient promis des révélations fracassantes qui changeraient la manière dont le monde considère le pacte passé avec l’Iran.

Mais cet exposé de 20 minutes a-t-il tenu ses promesses ?

« Les informations contenues dans les documents révélés par Netanyahu ne sont pas nouvelles », a écrit Dan Shapiro, ancien ambassadeur américain en Israël sous la présidence d’Obama et soutien de l’accord, sur Twitter. « Elles confirment ce que nous savons depuis longtemps. L’Iran a eu un programme d’armes nucléaires, il l’a gelé mais préservé en 2003 et le pays continue à le préserver pour le relancer au moment où il le voudra ».

De nombreux analystes ont partagé le même point de vue, notant que l’Agence internationale de l’énergie atomique l’avait déjà reconnu il y a des années.

Même certains responsables israéliens, farouches opposants à l’accord, ont exprimé une certaine déception dans des conversations privées face à la présentation très théâtralisée de Netanyahu, ayant attendu des preuves tangibles de la violation des termes de l’accord par l’Iran.

Citant des documents originaux iraniens, Netanyahu a montré que l’Iran avait menti lorsque la république islamique avait affirmé n’avoir jamais eu de programme d’armement nucléaire. Il a également présenté des preuves que l’Iran, même après l’accord historique passé en 2015 avec six puissances mondiales, cherche encore à élargir son savoir-faire nucléaire pour un usage futur. Mais aucun de ces éléments n’a surpris les experts.

Selon la convention, l’Iran a été sommée de dire la vérité sur son passé mais ne l’a pas fait, a montré le Premier ministre. Ce qui représente, strictement parlant, une violation du pacte. Une violation grave, du point de vue de Netanyahu, mais marginalisée sous la forme d’une formalité par les autres. Les responsables européens qui ont réagi à la conférence de presse de Netanyahu ne se sont pas émus. Et, sans surprise, cela a également été le cas de la Russie de Vladimir Poutine.

Netanyahu n’a présenté aucune preuve concluante concernant la période qui s’est écoulée depuis la conclusion de l’accord. Il n’a pas prouvé que l’Iran contreviendrait aux conditions d’opération du pacte. Il n’a pas affirmé que les Iraniens avaient repris l’activité interdite sous les termes de la convention, qu’il s’agisse d’enrichissement de l’uranium ou d’un éventuel usage militaire.

« L’accord sur le nucléaire est basé sur des mensonges. Il se base sur les mensonges iraniens et la duplicité iranienne », a expliqué Netanyahu, faisant référence au fait que les responsables, à Téhéran, ont toujours nié – et qu’ils continuent à nier – avoir voulu acquérir des armes nucléaires.

Mais quelques-uns, hors des frontières iraniennes, n’ont jamais mis en doute l’existence d’un programme antérieur d’armes nucléaires, un programme connu sous le nom de projet Amad.

« Nous n’avons jamais nié que l’Iran avait un programme d’armement nucléaire secret », a confié un diplomate occidental au Times of Israel, pendant la conférence de presse de Netanyahu.

A la fin de son discours, Netanyahu a semblé exprimer l’espoir – sans toutefois le dire explicitement – que le président américain Donald Trump annoncera son retrait de l’accord, le 12 mai.

« Je suis sûr qu’il fera ce qui s’impose. Ce qui s’impose pour les Etats-Unis, ce qui s’impose pour Israël et ce qui s’impose pour la paix dans le monde », a dit le Premier ministre.

Le présentation de Netanyahu, faite majoritairement en anglais, pourrait bien avoir été organisée à l’intention du locataire de la Maison Blanche. Netanyahu a peut-être craint que Trump ne revienne sur ses déicisions quant au retrait de l’accord. Les propos tenus par Trump à la Maison Blanche, peu après, n’ont guère été concluants.

Quoi qu’il en soit, les cinq autres pays qui ont signé l’accord avec l’Iran en 2015 – la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Chine et la Russie – devraient probablement rester imperturbables à l’issue de la présentation de Netanyahu.

« Tout cela soulève manifestement des questions en ce qui concerne la crédibilité iranienne », a déclaré le diplomate européen au Times of Israel quelques minutes après la fin de la conférence de presse. « Mais nous avons conçu cet accord sur le nucléaire très précisément parce que nous ne faisons pas confiance aux Iraniens, pas parce que nous considérerions qu’ils sont dignes de confiance ».

Ilan Goldenberg, expert sur l’Iran au Centre d’une nouvelle sécurité américaine, a déclaré de manière similaire que ceux sont précisément les mensonges de l’Iran qui ont imposé l’accord sur le nucléaire, connu sous le nom de « Joint Comprehensive Plan of Action » (JCPOA).

« Bien sûr, l’Iran a menti dans le passé sur son programme nucléaire. C’est précisément ce POURQUOI le JCPOA ne les prend pas seulement au mot, mais met en place l’un des régimes d’inspection les plus profonds, les plus intrusifs de l’histoire », a-t-il tweeté.

Tandis que le fait que les Iraniens aient mené un programme nucléaire illicite n’est pas une nouveauté, « il peut y avoir de nouvelles informations précieuses dans les fichiers dont parle Netanyahu », a noté Goldenberg.

« La chose intelligente à faire est d’étudier tous ces renseignements [et], s’il y a des preuves convaincantes d’un comportement problématique, de mettre la pression sur l’Iran ».

Goldenberg a expliqué que les informations glanées par le Mossad – Netanyahu s’est vanté d’une « demi-tonne de matériels », avec notamment 55 000 pages et 55 000 dossiers supplémentaires sur 183 CD – devraient être confiées à l’Agence internationale de l’Energie atomique, qui « enquêterait sur les inquiétudes liées à ces informations avec notamment, si nécessaire, des inspections sur des sites militaires ou tout autre site auquel l’agence devra avoir accès » sur la base des conditions établies par le JCPOA (Netanyahu a précisé qu’il partagerait les renseignements avec l’agence).

Si l’Iran devait refuser l’accès des inspecteurs internationaux aux sites soupçonnés, il y aurait alors un consensus global sur la nécessité de restaurer les sanctions suspendues par l’accord, a déclaré Goldenberg.

Netanyahu, sans aucun doute, répliquerait à la logique de certains diplomates et analystes : Comment pouvez-vous, et pourquoi, passer un marché avec des gens auxquels vous ne faites pas confiance ?

Mais cinq des six pays qui ont négocié et signé l’accord pensaient – et ils pensent encore – que son mécanisme de vérification est suffisant pour garantir que l’Iran se trouve dans l’incapacité de s’échapper et de produire suffisamment de matière fissile pour une bombe nucléaire, au moins pendant la durée de l’accord.

Les Etats-Unis vont probablement se retirer du pacte le mois prochain et réinstaurer des sanctions liées au nucléaire sur la république islamique. Les Européens, les Russes et les Chinois ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne suivraient pas le mouvement. C’est d’autant plus vraisemblable que la conférence faite par Netanyahu n’a en rien modifié leur état d’esprit.

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